Enquêtes internes: quelles sont les obligations de l’employeur?

Les règles propres à la conduite d’un procès pénal ne s’appliquent pas en droit du travail.
Les règles propres à la conduite d’un procès pénal ne s’appliquent pas en droit du travail.
Juliette Jaccard
Publié le mardi 02 avril 2024
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#Droit du travail Lorsqu’un employeur décide de mener une enquête interne, par exemple en cas de plainte pour harcèlement, quelles règles doit-il respecter?

Lorsqu’un employeur décide de mener une enquête interne, par exemple en cas de plainte pour harcèlement, quelles règles doit-il respecter? Le Tribunal fédéral a récemment été amené à se pencher sur cette question1.

Le contexte était le suivant: un directeur a été licencié à la suite d'une plainte pour harcèlement sexuel. Afin de vérifier les accusations portées à l’endroit du directeur, l’employeur a demandé à une équipe interne de mener une enquête. Lors de celle-ci, des employés ont été entendus et le directeur a été convoqué à un entretien sans être informé de l’objet de celui-ci. Le directeur n’a toutefois pas indiqué que ses propos auraient été différents s’il avait été informé préalablement des accusations portées contre lui. Un procès-verbal d’entretien a été rédigé. Le directeur a pu y apporter des corrections écrites.

Lors de l’entretien, le directeur n’était pas assisté d’une personne de confiance, contrairement à ce que permettait la directive interne de l’entreprise sur le harcèlement sexuel. Le directeur n’a cependant pas demandé un deuxième entretien assisté d’une personne de confiance. Durant l’entretien, l’employeur a posé des questions générales au directeur, sans lui indiquer l’identité de la plaignante, et ce pour préserver son anonymat. Plus précisément, durant l’entretien, le directeur a été informé de l’accusation selon laquelle il aurait touché de manière inappropriée des employées lors d’un événement d’entreprise. Il lui a également été demandé s’il avait serré des employées dans ses bras au bureau, s’il avait touché des employées sur la cuisse ou la jupe, s’il avait commenté les relations privées et sexuelles des employées, s’il avait dit aux employées qu’il aimerait avoir une proximité physique avec elles ou s’il avait dit qu’il préférerait que les femmes portent des jupes courtes et des talons.

A la suite de l’audition du directeur, il a été retenu que ses déclarations étaient peu crédibles et en contradiction avec celles des autres personnes interrogées. Dans l’ensemble, les comportements inappropriés décrits par la plaignante et par les autres employés avaient très probablement eu lieu. Une conspiration avait pu être exclue.

Le rapport d’enquête recommandant l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre du directeur, celui-ci a été licencié moyennant respect de son délai de congé.

Considérant avoir été licencié de manière abusive, le directeur a agi en justice contre son ancien employeur. Débouté par la première instance, le directeur a recouru devant la seconde instance. Celle-ci a condamné l’employeur à lui verser une indemnité de septante mille francs pour licenciement abusif. Elle a considéré que le directeur avait été licencié de manière abusive, car l’enquête interne n’aurait pas été menée correctement. Plus précisément, elle reprochait à l’employeur de n’avoir pas prévenu le directeur de l’objet de l’entretien. Elle lui reprochait également le fait que le directeur n’ait pas été assisté d’une personne de confiance lors de l’entretien et qu’il n’ait pas été informé de l’identité de la plaignante. L’employeur a recouru au Tribunal fédéral.

Pour celui-ci, les exigences de la seconde instance concernant le déroulement de l’enquête interne sont excessives. En effet, cette instance a considéré que les règles en matière de procédure pénale devaient également s’appliquer à une enquête interne menée par un employeur privé. Or, selon les juges fédéraux, le code de procédure pénale et les principes de procédure pénales ne s’appliquent pas en droit du travail. L’enquête interne d’un employeur privé n’est en effet pas comparable à une enquête pénale menée par l’Etat. En outre, l’identité du plaignant doit rester confidentielle pour lui éviter des risques de représailles.

En l’occurrence, le Tribunal fédéral a considéré que l’employeur avait effectué des investigations suffisamment approfondies par le biais d’une équipe spécialement désignée avant de prononcer le licenciement. Elle en a conclu que les soupçons contre le directeur étaient fondés et que, partant, le licenciement n’était pas abusif. En conclusion, l’employeur a un devoir de diligence. Une résiliation fondée sur des accusations formulées par d’autres employés peut être abusive s’il n’effectue pas les vérifications adéquates avant la résiliation ou si les vérifications n’étayent pas le soupçon. Toutefois, l’enquête interne d’un employeur privé n’est pas comparable à une enquête pénale menée par l’Etat. Les règles propres à la conduite d’un procès pénal ne s’appliquent donc pas en droit du travail.

1 Arrêt du Tribunal fédéral 4A-368/2023 du 19 janvier 2024.

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