Exploiter le Groenland? Good luck, Mr President !

La région de Narsaq, au Sud du Groenland, regorge de terres rares. Les exploiter est une autre affaire.
La région de Narsaq, au Sud du Groenland, regorge de terres rares. Les exploiter est une autre affaire.
Pierre Cormon
Publié samedi 07 juin 2025
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#Terres rares Le territoire manque de tout ce qui est nécessaire pour exploiter économiquement des terres rares.

Le président américain a raison sur un point: le Groenland regorge de ressources naturelles – pétrole, gaz, terres rares, uranium, etc. Quant à savoir si elles peuvent être économiquement exploitées, pour peu que le Groenland l’accepte, c’est une autre question.

Prenons l’hélicoptère pour Tanbreez, tout au sud de l’île, avec un homme d’affaires et le magazine allemand Die WirtschaftsWoche, qui l’a accompagné. On y trouve des quantités considérables de terres rares lourdes, des substances très précieuses, car elles conservent leurs propriétés à haute température. Le gisement est considéré comme plus riche que ceux que l’on trouve en Chine, au Brésil ou au Canada. Voilà douze ans que le géologue qui a découvert ces ressources fait campagne pour qu’on les exploite. En vain jusqu’à présent. Ce n’est pas un hasard.

Accès difficile

L’accès au site est très difficile. En hiver, on n’y arrive qu’en motoneige ou par hélicoptère, si le temps le permet. Les roches susceptibles de contenir des terres rares devraient être récupérées à l’explosif, puis envoyées par bateau dans des pays qui sont capables d’en extraire les terres rares, le Groenland n’ayant pas le tissu industriel nécessaire.

Il faudrait pour cela disposer d’un port, qui n’existe pas. Il faudrait une source d’énergie. Oubliez le photovoltaïque – la météo ne le permettrait pas. Et les éoliennes ne résisteraient pas aux tempêtes arctiques. Ne resterait que le diesel. Il faudrait aussi faire venir des spécialistes, dans un premier temps du moins. Le Groenland n’en possède pas. Des volontaires pour s’installer dans un village de mille trois cents habitants avec des hivers arctiques et des étés où la température dépasse rarement douze degrés?

Cuisine épicée

Comparez cela avec la plus grande mine de métaux rare, dans la province du Hunan, dans le sud de la Chine. Les terres rares s’y trouvent dans des sols argileux à faible profondeur. Le minerai est aisé à extraire et les terres rares faciles à séparer sur place. Le savoir-faire est là: aucun pays ne possède autant de spécialistes. Il est sans doute moins difficile de les attirer dans un Etat réputé pour sa cuisine épicée et ses beautés naturelles que dans un désert glacé, loin de tout.

Une fois les terres rares extraites, il faut encore procéder au raffinage. Il s’agit d’un processus complexe. «Pour le terbium, par exemple, il faut mille sept cents étapes de préparation sur trente jours – et presque aucune étape n'est informatisée, presque tout est fait à la main», remarque la WirtschaftsWoche. «Seule la Chine dispose aujourd'hui d'instituts de recherche spécialisés dans ces techniques de séparation.»

Terrain miné

L’accord signé entre les Etats-Unis et l’Ukraine, qui donne aux premiers des privilèges dans l’accès aux ressources minérales du second, risque de buter sur d’autres obstacles. De nombreuses ressources présumées en terres rares se trouvent dans des régions densément minées. Les nettoyer pourrait prendre des années, voire des décennies. Bref, l’idée d’une maîtrise complète des chaînes d’approvisionnement, de la mine au produit final, se heurtera très rapidement aux réalités. Ce n’est pas pour rien que les grandes puissances avaient décidé, jusqu’il y a peu, de lui préférer la notion d’échanges internationaux. L’économiste David Ricardo a démontré pourquoi c’était préférable, en 1817 déjà.

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