Opinions

Faire de sa vie une oeuvre d’art

Eric Décosterd Chargé de cours HES Publié vendredi 17 mars 2023

Lien copié

En constante mouvance, le monde du travail? Sûrement, et c’est bien ainsi. Si la remise en question de nos habitudes professionnelles n’est pas nouvelle, la crise sanitaire a accéléré le processus.

Arrêtons-nous d’abord brièvement sur la question, très débattue en ce moment, de la retraite. Nous observons non sans curiosité le conflit français sur l’augmentation de l’âge de la retraite.

La France est l’un des rares pays où l’âge est encore fixé à 62 ans. L’argument indiscutable qui consiste à dire qu’il y aura bientôt autant de cotisants que de bénéficiaires paraît implacable dans un système de retraite par répartition. N’empêche que la réforme a de la peine à passer. Mais de cela il en a déjà été beaucoup question ces derniers mois. Essayons donc plutôt de voir pourquoi nous aspirons à la retraite et pourquoi nous ne sommes pas prêt à en repousser la limite. Le travail est-il devenu aussi insupportable? Notre rapport au travail a-t-il changé?

Il nous faut tout d’abord constater que, depuis les années 1990, le temps partiel a fortement augmenté sur le marché du travail. Il séduit toujours plus les hommes, tandis que chez les femmes, le taux d’activité réduit est resté stable, à un niveau élevé ces dernières années. Selon l’enquête suisse sur la population active de l’Office fédéral de la statistique, 22,5% des salariés avaient en 2021 un taux d’occupation entre 50% et 89%. La durée annuelle du travail en Suisse reste élevée en comparaison internationale, mais comme chez nos voisins, il y a une tendance lente et constante à la réduction.

Dans les usines au XIXème siècle, les journées de dix heures et les semaines de six jours étaient la règle. Sur une année, cela représentait entre deux mille cinq cents et trois mille heures de travail. Aujourd’hui, le temps de travail moyen en Suisse est de mille quatre cents heures par an. Le temps libre se dissocie du temps de travail; il devient le temps libéré du travail, sous la forme de la consommation, du loisir et du repos nécessaire à la reprise du travail. La Suisse a peut-être été visionnaire dès 1964. Qui s’en souvient?

L’Exposition Nationale avait un Pavillon dédié aux loisirs. A l’époque, certains avaient souri!

Parmi les effets de la pandémie, l’un touche à notre rapport au travail. Comme pour d’autres phénomènes, l’année qui s’est écoulée a joué un rôle d’accélérateur: tout était déjà en place, notamment avec l’avènement de la génération Y, mais il aura fallu une crise mondiale pour que des mécanismes discrètement à l’œuvre deviennent sociétaux. Dans ce contexte, la semaine de travail générale de quatre jours est un thème récurrent. L’idée séduit beaucoup en Allemagne, et toujours plus en Suisse. Cette formule est censée accroître la productivité horaire et permettre un meilleur équilibre entre travail et vie privée.

Une étude réalisée par Audencia en 2022 a permis de mettre en évidence que l’immense majorité des salariés sont en quête de sens dans leur activité professionnelle. De quoi s’agit-il? Le sens du travail peut se définir à travers la perception d’utilité qu’un individu a de son travail et de sa valeur pour l’organisation et la société. Dit trivialement, «pourquoi je fais cela et à quoi cela sert?». On attribue à Charles Peguy l’histoire d’un passant qui croise un casseur de pierre. L’ouvrier a le sourire alors que le métier est très pénible. «Que faites-vous» demande Péguy. «Je bâtis une cathédrale», répond le casseur de pierre!

L’une des meilleures façons de donner du sens au travail est de communiquer efficacement avec les employés; les informer de la vision et des valeurs de l’entreprise, de la stratégie et de l’organisation et instaurer un climat de confiance. Les impliquer dans des projets et leurs donner des feedbacks. Leur fixer des objectifs SMART - spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporels - et les évaluer. Leur offrir de l’autonomie et valoriser les progrès accomplis. Bref, leur montrer qu’ils sont utiles!

En rappelant cela, j’ai l’impression d’enfoncer des portes ouvertes; en m’observant, je constate en revanche que l’on n’est jamais au bout du voyage. Donnons l’occasion à chacun de faire de sa vie une œuvre d’art! n