Grandes manœuvres autour de l’Internet des objets

La technologie LoRaWan, open source, a été développée en France (ici: antenne LoRaWan à Kiel, en Allemagne).
La technologie LoRaWan, open source, a été développée en France (ici: antenne LoRaWan à Kiel, en Allemagne).
Pierre Cormon
Publié vendredi 01 février 2019
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#IoT Alors qu’au moins quatre sociétés ont ou vont déployer un réseau spécifiquement dédié à l’Internet des objets sur l’ensemble de la Suisse, deux autres réseaux ont été installés à Genève. Y aura-t-il de la place pour tout le monde?

L’Internet des objets (IoT), s’il fait beaucoup parler de lui depuis plusieurs années, n’a pas encore vraiment pénétré la vie quotidienne des Suisses. Plusieurs opérateurs sont cependant décidés à changer cela. Ils ont déployé ou s’apprêtent à déployer des réseaux spécialement destinés à développer des services dans ce domaine. Des start-up locales commencent également à proposer des applications tirant parti de ces réseaux.

De quoi parle-t-on exactement? L’Internet des objets consiste à placer des capteurs sur des objets ou des êtres vivants, permettant de mesurer différents paramètres (localisation, température, flux, pouls, etc.) et de transmettre des informations. Exemple? «Plusieurs entreprises de matériel de bureau offrent de petites boîtes accolées par exemple aux imprimantes, qui transmettent des informations au fabricant», répond Dimitri Konstantas, directeur de l’Information Science Institute de l’Université de Genève. «En cas de besoin, un technicien arrive sans même que les utilisateurs ne soient au courant du problème.» Cette technologie peut également servir à surveiller à distance la bonne marche d’un appareil, la température et l’humidité d’un bâtiment, les paramètres de santé d’une personne, etc. C’est l’acception courante de l’expression Internet des objets.

Les milieux académiques lui ajoutent un autre critère: «L’information doit circuler dans les deux sens», explique Dimitri Konstantas. «Un compteur d’électricité véritablement connecté envoie non seulement des données sur la consommation du client au fournisseur, mais reçoit également des informations. Le fournisseur doit par exemple pouvoir lui signaler que le réseau approche d’un pic et que le client doit diminuer sa consommation ou payer un prix plus élevé.»

L’IoT devrait pénétrer plus ou moins tous les aspects de la vie, prédisent ses promoteurs. «Comme il sera intégré dans les objets, on ne le verra cependant pas forcément», prévient Sébastien Ziegler, président du IoT Forum, un forum international de l’Internet des objets qui vise à promouvoir la coopération internationale dans le domaine.

Multitude de standards

Depuis quelques années, de nombreuses technologies destinées à l’Internet des objets ont été mises sur le marché ou ont été annoncées. «Il existe plusieurs centaines de standards qui convergent progressivement», note Sébastien Ziegler. Ils ont des caractéristiques différentes, les rendant plus ou moins adaptés à telle ou telle application: ils peuvent requérir une bande passante plus ou moins large, avoir un niveau de sécurité plus ou moins élevé, permettre de transmettre des informations dans un sens ou dans les deux, requérir un réseau propre, se greffer sur des réseaux télécom existants, etc. Même le bon vieux GSM est utilisé dans certaines applications IoT, bien qu’il n’ait pas été conçu dans ce but: «Certains engins de chantier sont équipés de cartes SIM, couplées à des systèmes GPS qui permettent de les suivre à la trace», remarque Xavier Studer, journaliste et blogueur suivant de près les développements de l’IoT en Suisse.

«A terme, je pense que seules deux ou trois technologies subsisteront, pour des usages différents, avec des besoins différents», pronostique Dimitri Konstantas. «Il y aura un standard pour l’IoT dans les habitations, un autre pour l’IoT dans les industries, etc. Mais il est encore trop tôt pour savoir quelles seront ces technologies.»

En Suisse, les acteurs ont déjà commencé à placer leurs pions. Swisscom a déployé un réseau LoRa, une technologie facile à mettre en œuvre, basée sur le protocole LoRaWan et permettant de transporter de petites quantités de données avec une basse consommation d’énergie. Cela permet aux objets connectés de fonctionner avec la même pile pendant une dizaine d’années. Le réseau couvre 95% de la population suisse, affirme l’opérateur. La société lausannoise Heliot a annoncé vouloir installer un réseau concurrent, basé sur Sigfox, une technologie voisine dont elle détient la licence exclusive pour la Suisse (LoRa est en revanche open source). Et UPC, allié à Elektra, a annoncé le lancement de services d’Internet des objets basés sur un réseau Wi-Sun, une technologie concurrente de LoRa et Sigfox.

Quatre technologies

A partir de cette année, les opérateurs téléphoniques devraient également déployer des réseaux 5G, qui permettront de proposer une autre technologie IoT, la NB-IoT. Au moins quatre technologies et plusieurs opérateurs devraient donc coexister au niveau suisse.

A Genève, la situation est encore plus concurrentielle, puisqu’on y compte deux autres réseaux spécifiquement destinés à l’IoT, tous deux basés sur la technologie LoRa. Le premier a été installé par SIG (Services industriels de Genève), avec l’aide de la société Orbiwise. D’abord conçu pour ses propres besoins, il est également ouvert à des clients externes. Le second, Sherpa, appartient à l’opérateur de téléréseau Naxoo.

Techniquement, ce foisonnement de réseaux n’est pas un problème. «Si, dans une zone, la couverture de l’un d’eux n’est pas bonne, on pourra se connecter sur un autre», imagine Didier Helal, cofondateur d’Orbiwise, poids lourd de l’installation de réseaux LoRa au niveau mondial. «On se dirige certainement vers une mutualisation.» Il faudra cependant définir des règles pour éviter l’engorgement des fréquences – encore que les autorités de régulation pourraient en ouvrir de nouvelles.

Economiquement, y aura-t-il de la place pour tout le monde? Cela dépendra notamment de la demande. Des collectivités publiques, à l’instar de Carouge, se lancent déjà dans l’IoT pour mettre en œuvre des projets de smart cities – des villes pilotées par des réseaux d’informations basés sur des capteurs. Elles comptent ainsi mieux piloter la gestion des déchets (un capteur peut indiquer quand il faut relever une benne), des places de parc (un capteur peut signaler si telle place est libre), des bouches d’égout (un capteur peut signaler quand telle bouche est obstruée), etc. Les fournisseurs d’eau et d’électricité s’intéressent également beaucoup à l’IoT, à l’instar de SIG. Des acteurs suisses jouent un rôle important dans les projets IoT financés par l’Union européenne, notamment dans le cadre du projet européen Synchronicity (villes intelligentes), qui groupe une douzaine de villes dans le monde, dont Carouge et deux organisations genevoises, la fondation Mandat International et l’Universal Device Gateway Alliance.

Question de service

Dans l’ensemble, la Suisse est plus avancée dans l’installation d’infrastructures pour l’Internet des objets que dans la mise au point de services permettant d’en bénéficier. Des start-up se sont attelées à cette dernière tâche, à l’exemple d’IEM, active dans les places de parc intelligentes, ou de Necio, qui propose une plateforme pouvant être adaptée à différents usages. La Suisse romande a d’ailleurs tout pour se profiler dans l’Internet des objets: elle compte des entreprises et des chercheurs de pointe dans le domaine, un réseau efficace de soutien à l’entrepreneuriat ainsi que des organes pouvant aider les entreprises et les collectivités publiques voulant s’approprier l’IoT. C’est par exemple le cas du IoT Lab et de l’Université de Genève, qui a lancé un CAS en collaboration avec d’autres acteurs du secteur (lire ci-dessous). Le IoT Forum, qui groupe les grands acteurs du domaine et organise chaque année la conférence IoT Week, est également basé à Genève.

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