Si les abus de position dominante ou les ententes sur les prix peuvent être lourdement sanctionnés, des comportements qui semblent en flagrante contradiction avec la législation sur la concurrence déloyale restent impunis. Alors que, dans certains domaines du droit de la concurrence, les contrevenants se voient à l’occasion infliger des sanctions qui peuvent être sévères, dans d’autres, des entreprises commettent ce qui ressemble furieusement à des infractions, sans que grand-chose ne se passe. C’est ce qui est ressorti de la douzième Journée du droit de la concurrence, qui s’est tenue le 11 novembre au Centre patronal, à Paudex. Les entreprises qui tenteraient d’abuser de leur position dominante ou de s’entendre sur les prix peuvent trouver la Commission de la concurrence sur leur chemin. Celle-ci s’en prend parfois à de gros acteurs, comme Swisscom, contre laquelle elle a ouvert une enquête à la fin de l’année dernière. Elle soupçonne l’opérateur d’abuser de sa position dominante en empêchant ses concurrents d’obtenir un accès direct à l’infrastructure de son réseau dans les régions où elle le construit seule.
Son action peut aussi viser des PME. Huit entreprises genevoises d’installation électrique ont ainsi été condamnées à des amendes d’un total de plus de 1,27 million de francs pour s’être coordonnées à l’occasion d’appels d’offres. La FER Genève et le Centre patronal ont d’ailleurs publié un guide pratique pour aider les PME à se conformer au droit de la concurrence1. La ComCo ne manie cependant pas que le bâton. Les entreprises collaborant aux enquêtes qui les concernent peuvent se voir accorder des réductions de peine. Certaines préfèrent aussi saisir la ComCo à titre préventif, pour savoir si telle pratique qu’elles envisagent d’adopter pourrait constituer un abus de position dominante. C’est ce qu’a fait Six Payment Services, l’intermédiaire dominant entre les commerçants et les émetteurs de cartes de crédit, lorsqu’il a voulu modifier le mode de calcul des commissions qu’il prélève auprès des commerçants.
Nouvelles attributions
La ComCo gagnera de nouvelles attributions à partir du 1er janvier. Alors que jusqu’à présent, seuls les abus de position dominante étaient proscrits, ce sera dorénavant également le cas des abus de position dominante relative. Sont concernées les entreprises dont d’autres dépendent pour l’achat ou la vente d’un bien ou d’un service, «faute de possibilité suffisante et raisonnable de se tourner vers d’autres services». La disposition pourrait par exemple concerner des entreprises fournissant à d’autres des produits que celles-ci sont obligées de proposer à leurs clients. Aucune sanction n’est cependant prévue.
Dans d’autres domaines, il arrive cependant que le droit de la concurrence soit allègrement bafoué, du moins en apparence, sans que les contrevenants présumés ne soient inquiétés le moins du monde. Une plateforme de e-commerce met ainsi en contact des vendeurs et des acheteurs, avec un accent sur les imitations de produits tendance à prix cassés. Plusieurs de ses méthodes semblent être en infraction frontale avec la législation.
Pratiques douteuses
On y trouve par exemple des «rabais» énormes par rapport à un prix de référence qui semble ne correspondre à rien. Des articles sont gratuits – seule la livraison est facturée. Des objets ressemblant à des produits connus et à la mode sont mis en vente, ce qui pourrait faire naître la confusion dans l’esprit des acheteurs. Dans un cas, c’est même le logo d’une marque très célèbre qui est imité, avec de petites différences qui ne sautent pas forcément aux yeux. Toutes ces pratiques pourraient contrevenir à des dispositions de la loi contre la concurrence déloyale, voire de la loi sur la protection des marques.
Les méthodes d’une plateforme de réservation d’hôtel peuvent également être questionnées. Lorsque l’on trouve un hébergement correspondant à ses critères de recherche, elle mentionne ainsi régulièrement qu’il ne reste plus qu’une chambre à ce prix sur le site. Or, la loi interdit les «méthodes de ventes particulièrement agressives», qui entravent le consommateur dans sa liberté de décision. Est-ce le cas? La justice n’a jamais eu à répondre à cette question.
Des réseaux sociaux tels qu’Instagram ou Facebook se réservent le droit d’utiliser les photos que les internautes y chargent, sans rien payer, voire même de les modifier, selon leurs conditions générales. Une pratique qui interroge au regard de la loi contre la concurrence déloyale, qui interdit les conditions générales abusives.
Pas de gendarme
Bref, des acteurs ont des pratiques qui pourraient peut-être enfreindre, voire enfreignent clairement la loi, et pourtant… rien ne se passe. En matière de concurrence déloyale, la Suisse ne connaît pas de «gendarme» comparable à la ComCo. C’est aux consommateurs ou aux concurrents s’estimant lésés d’agir, directement ou par le biais d’une association. Les actions sont très rares et ne donnent pas toujours raison aux plaignants. Le coût et la longueur des procédures peuvent décourager des particuliers ou des associations – comptez au moins cinq ans et une centaine de milliers de francs de frais d’avocat si l’affaire monte jusqu’au Tribunal fédéral. Des obstacles qui ne sont cependant pas insurmontables pour de grandes marques. Pourquoi n’agissent-elles pas plus souvent? On l’ignore.
1 Hubert O. Gilliéron, Denis Cherpillod, Conformité au droit de la concurrence. Guide pratique à l’usage des PME, Centre patronal et Fédération des Entreprises Romandes Genève, 2014, 88 pages, en vente sur le site internet de la FER Genève.
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