Innover pour une entreprise: par où commencer?

Innover, oui! Mais comment s'y prendre?
Innover, oui! Mais comment s'y prendre?
Gregory Tesnier
Publié vendredi 18 février 2022
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#Innovation L’innovation est vitale pour une société.

Elle permet de ne pas se laisser endormir par les réussites commerciales passées, elle favorise une résistance indispensable face à la concurrence qui, toujours, cherchera à prendre des parts de marché, à séduire des consommateurs et des consommatrices à la recherche de biens et services toujours plus adaptés à leurs besoins. «Les gens pensent que l’innovation, c’est d’avoir une bonne idée; mais elle consiste en grande partie à agir rapidement et à essayer beaucoup de choses», affirme Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook et désormais patron de Meta Platforms. Lui-même vient de repositionner son entreprise sur le métavers, anticipant des innovations qui, selon son analyse, changeront la donne dans le secteur technologique. Il n’est pas facile, à l’échelle d’une PME, d’une très petite entreprise ou d’un indépendant de suivre le rythme soutenu qu’impose la posture d’innovation, de trouver sans cesse des idées, de stimuler ses collaborateurs et ses associés, de prendre le chemin de la nouveauté, sans jamais se résigner. Dans La jungle de l’innovation, un livre qui aide «le pilotage de (la) dynamique d’innovation», les auteurs mettent en avant quelques grandes règles pour y voir plus clair, pour avancer dans la bonne direction, pour trouver la bonne énergie. Dans cette même perspective, David Narr, directeur de Genilem fournit de précieux conseils.

«Pourquoi parler de «jungle» de l’innovation? Parce qu’à la réflexion, c’est ce que nous inspire notre pratique du domaine depuis des années. L’innovation, c’est souvent le bazar, on a du mal à s’y retrouver, ça part dans tous les sens, avec des acteurs très variés et souvent imprévisibles, hors normes, mus par des idées plus ou moins exotiques, prêts à affronter des dangers inconnus, désireux d’explorer des domaines vierges, de ramener des trésors…» Les propos liminaires de Rémi Maniak et Nicolas Mottis dans leur ouvrage La jungle de l’innovation, sorti il y a quelques mois, peuvent inquiéter, car ils décrivent un certain chaos pour illustrer le monde de l’innovation. Il faut pourtant se laisser rassurer par les deux auteurs, professeurs à l’École polytechnique – prestigieuse école d’ingénieurs en France, qui associe recherche, enseignement et innovation.

Les spécialistes décrivent d’abord la situation qui prévaut dans le monde de l’entreprise: «Tout le monde s’accorde (…) à reconnaître que l’innovation est une composante clé de la survie des organisations, avec de réels effets de mode, que ce soit sur la transformation digitale, le lean ou l’agilité, pour n’en citer que quelques-uns. Mais les points de vue sont souvent très parcellaires. Certains mettent l’accent sur la créativité, misant tout sur le design thinking ou les business model canvas. D’autres règlent la focale sur les aspects stratégiques, à grand renfort d’océan bleu ou d’innovation disruptive. D’autres encore se concentrent sur les start-up, l’évaluation financière de l’innovation, la stratégie ou les Labs d’innovation… Il y a largement de quoi s’y perdre!». Pour éviter ce dernier écueil, les auteurs insistent notamment sur «quelques principes fondamentaux pour organiser l’entreprise afin d’affronter la jungle (de l’innovation)». Arrêtons-nous sur ces principes.

Suivre les bonnes règles

S’il y aura toujours des acheteurs qui préféreront une Clio 6 à une Clio 5, un iPhone 13 à un iPhone12, le monde et les entreprises ont besoin d’innovations plus radicales. Oui, mais comment faire pour les trouver? À l’interne de chaque organisation, promouvoir la flexibilité organisationnelle semble un facteur important. «Des auteurs comme Burns et Stalker ont certainement été les premiers à montrer que, dans des contextes fortement changeants, comme celui de l’industrie électronique, les entreprises de type «mécanistes» (celles qui appliquent à la lettre les principes de la bureaucratie) sont surclassées par les entreprises de type «organiques», qui privilégient les processus flexibles par rapport aux procédures stabilisées.»

Cette flexibilité est toutefois difficile à obtenir, surtout dans de grandes organisations. «Il s’agit avant tout d’articuler finement les activités d’exploration (comme celles réalisées dans les Labs) avec les activités d’exploitation (business, développement).» Les auteurs citent une de leurs recherches: «Dans une étude que nous avons réalisée portant sur vingt-six projets chez neuf constructeurs automobiles mondiaux, nous avons constaté que les constructeurs asiatiques impliquaient dès la phase de recherche les équipes de développement, de production et de commerce et symétriquement continuaient à impliquer les personnels de recherche lors de la poursuite du projet (...). On retrouve les mêmes types de mécanismes de solidarité sur le marché des semi-conducteurs. Ce sont typiquement ces liens de solidarité amont/aval qui permettent, tout en maintenant une spécialisation des équipes entre exploration et exploitation, de garantir un fonctionnement fluide».

Systématiser l'intrapreneuriat

Autre piste suggérée par les auteurs: systématiser l’intrapreneuriat. «L’entreprise dispose en son sein de talents qui connaissent le système et ses limites et qui pourraient insuffler les transformations nécessaires. Mais plutôt que d’attendre l’émergence spontanée de ces individus providentiels, l’enjeu est de mettre en place des processus systématiques permettant d’activer ces énergies. (…) Le premier réflexe est de considérer ces individus comme des entrepreneurs.» La «culture de l’innovation» doit être favorisée à tous les niveaux et l’émergence d’idées repose sur le fait «que les salariés se sentent investis d’une mission qui dépasse le respect de leur fiche de poste, et que la prise d’initiatives déviantes voire transgressives est encouragée et valorisée».

Les chercheurs mettent finalement en avant «la capacité et la vélocité d’apprentissage» d’une organisation pour favoriser l’innovation en son sein. «On pourrait multiplier les exemples de théories et méthodes qui décrivent la capacité d’apprentissage comme un gène salvateur.» Ils insistent: les machines de production doivent devenir des machines à concevoir, mais aussi des machines à apprendre. Vite, mais pas trop tout de même. «L’expérience montre que comprendre les dynamiques profondes d’un secteur et les actifs clé à créer, bien réfléchir avant d’agir et mobiliser quelques outils et concepts finalement assez simples n’est pas totalement stupide: cela ne freine pas l’innovation et augmente même ses chances de succès.»


Votre entreprise est elle bâtie pour innover?

Quelques questions clé à se poser pour savoir si son entreprise est capable d’innover efficacement:

  • Comment sont accueillies les idées et propositions qui ne cadrent pas avec la stratégie proclamée, les produits existants ou les compétences disponibles?
  • Les revues de projets sont-elles centrées sur la vérification que les tâches prévues ont bien été effectuées, ou sur le partage des hypothèses et incertitudes et la mise en place de plans d’action pour les instruire vite et bien? 
  • Les activités d’innovation sont-elles efficacement articulées avec les activités opérationnelles? Pouvez-vous identifier les mécanismes critiques qui permettent cette articulation?

«L’innovation doit répondre à un besoin!»

«L’innovation n’est pas «que technologique». Le tissu économique suisse romand n’est pas composé «que» de start-up au sens strict du terme. Les très petites entreprises (TPE) et PME représentent, comme les fonds marins, une richesse largement inexploitée», affirme le rapport L’innovation silencieuse, rédigé récemment par Genilem, association à but non lucratif «dont la mission est d’aider les entrepreneurs des cantons de Vaud et Genève à bâtir des entreprises innovantes et viables dans tous les secteurs d’activité». Le rapport note aussi qu’au cœur de l’innovation, «il y a les échanges, les rencontres». Elles sont «capitales pour générer des idées, leur optimisation relève d’un savant mélange de sérendipité et d’organisation». Plus globalement, Genilem note que les TPE et les PME romandes peuvent explorer différentes pistes pour trouver l’inspiration et innover (au-delà du seul critère technologique donc): les canaux de distribution, le modèle de revenus, les processus internes, les réseaux de partenaires, la performance des produits, l’image de marque, les services offerts aux consommateurs et aux consommatrices, le système de fidélisation de la clientèle, etc. David Narr, directeur de Genilem, donne plus de détails sur sa vision de l’innovation et celle de Genilem.

Dans la préface du rapport L’innovation silencieuse, vous affirmez qu’innover, «ce n’est pas simplement améliorer son produit ou son service, c’est changer de modèle d’affaires, trouver de nouvelles manières de recruter, s’adresser autrement à ses clients, importer et adapter des solutions qui n’existent pas ici, trouver des canaux de vente inédits, des composants durables et locaux, des partenaires inattendus...» Comment votre organisme peut-il aider une entreprise à atteindre ces objectifs?

Genilem n’agit pas spécifiquement en direction des programmes d’innovation des entreprises. Notre mission – depuis vingt-sept ans – est d’accompagner globalement des projets innovants, c’est-à-dire des entreprises de moins de trois ans qui portent une idée nouvelle capable de rencontrer son public sur un marché donné. Nous offrons des outils de coaching pour soutenir les personnes qui entreprennent dans les aspects opérationnels de leur société et dans la recherche de solutions pour accélérer les ventes. Les innovations que nous accompagnons concernent des perspectives très diverses de la vie d’une entreprise: le marketing, la distribution, les conditions de livraison, la politique de prix, l’offre commerciale, les services offerts, la communication, le positionnement, la localisation, etc. Pourquoi puis-je parler d’innovation quand je décris tous ces points? Parce que les entrepreneurs que nous suivons ont fait preuve d’écoute du marché et de leur environnement pour amener une nouveauté demandée. L’innovation est venue de la rencontre entre de multiples réflexions entrepreneuriales et la réalité du terrain.

Pourquoi l’innovation est-elle si importante pour une entreprise?

L’innovation constitue le cœur de l’entreprise, sa raison d’être. Elle oblige également à bouger, à ne pas rester statique sur un marché ou vis-à-vis de la clientèle. Le mouvement est en effet nécessaire pour qu’une entreprise puisse se projeter dans l’avenir avec confiance. L’innovation offre enfin un avantage concurrentiel important. Ce n’est pas le moindre de ses atouts. J’ajoute que, pour une région ou un pays, posséder des entreprises qui sont innovantes dans de multiples directions correspond à une force particulièrement utile quand il faut affronter des crises.

Comment encourager l’innovation au sein d’une entreprise?

L’écoute est primordiale. L’écoute du terrain, de la clientèle, des partenaires, du grand public, etc. L’innovation doit répondre à un besoin! Dans cette posture d’écoute, pour qu’elle soit efficace, il faut respecter toutes les idées, et surtout le marché. C’est lui qui dicte le mouvement à prendre.

Quelles sont les principales difficultés que vous constatez dans les entreprises que vous accompagnez?

Je mettrais surtout en avant le risque de trop se reposer sur ses acquis, de ne pas se remettre en cause. Ensuite, certaines entreprises comptent peut-être trop sur les cadres pour mener à bien des innovations: ces dernières peuvent venir au contraire de toute l’organisation, de toutes les collaboratrices et de tous les collaborateurs. Un autre élément à noter: une innovation doit être testée rapidement. Il existe une tendance de certains dirigeants à trop attendre avant de mettre en présence l’innovation avec le marché. Il faut le faire rapidement.

En matière de projets d’innovation pouvez-vous citer trois bonnes habitudes qui peuvent amener au succès?

D’abord, il faut se remettre en question fréquemment et rester à l’écoute de son environnement. Ensuite, il faut savoir persévérer (mais ne pas s’obstiner). Et, finalement, il faut agir. L’innovation passe par l’action et la rencontre avec la clientèle. 


Une remise en cause de la Suisse innovante?

L’Académie suisse des sciences techniques (SATW), principal réseau suisse d’experts dans le domaine des sciences techniques, vient de présenter sa dernière analyse en lien avec la force d’innovation de l’industrie suisse. Et le ton n’est pas forcément optimiste. «Les tendances négatives générales telles que la désindustrialisation des PME, la réduction croissante des activités de R&D et la diminution des innovations de rupture se poursuivent», avertit la SATW. Son étude se concentre sur l’industrie manufacturière («16% de tous les employés, mais à l’origine de 20% de la création de plus-value»). «Elle examine les indicateurs qui reflètent l’activité industrielle de recherche et développement, car celle-ci est la clé des innovations futures». Par le passé déjà, les analyses de la SATW pouvaient sembler pessimistes, surtout à l’aune des classements internationaux qui placent très fréquemment la Suisse parmi les nations les plus innovantes, mais qui, pour ce faire, adoptent une perspective économique globale. Pourtant, à l’intérieur même de ces classements internationaux, la Suisse commence maintenant à perdre des points. Les évaluations négatives de la SATW peuvent donc s’entendre, selon elle, comme «des signaux d’alerte précoces».

L’Académie précise d’abord que l’industrie manufacturière en Suisse est très diversifiée, «ce qui offre une certaine protection contre les crises. Elle compte plus de six cent soixante mille emplois à temps plein, génère une part considérable du volume des exportations de la Suisse et revêt une grande importance pour l’économie nationale. Au cours de la période étudiée, de 1997 à 2018, on a toutefois constaté une diminution progressive de l’emploi, principalement due à la baisse du nombre de PME. En outre, la recherche se concentre dans un nombre toujours plus restreint d’entreprises. (…) compte tenu des ressources limitées et de la forte concurrence internationale, les PME ont de plus en plus de mal à s’imposer dans la compétition mondiale en matière d’innovation».

Des constats inquiétants

Dans le détail, les constats inquiétants de la SATW tiennent en quelques points: 

  • il existe une désindustrialisation croissante au niveau des PME suisses, qui sont les principaux employeurs du pays; 
  • la part des PME avec un département de recherche et développement (R&D) en Suisse n’a cessé de diminuer ces dernières années et la situation est similaire pour celles avec de la R&D à l’étranger;
  • entre 2004 et 2018, les PME suisses ont réalisé un chiffre d’affaires croissant avec des nouveautés pour l’entreprise (mais pas pour le marché), mais celui lié aux innovations de marché (c’est-à-dire le fait de vraiment lancer avec succès de nouveaux produits sur le marché mondial) a nettement diminué. Ces innovations de marché «sont déterminantes pour s’affirmer face à la concurrence internationale», prévient la SATW.

Quelles mesures prendre?

La SATW en mentionne quelques-unes.

  • «Participer à la recherche internationale pour disposer des technologies mises au point et avoir un accès national et international à du personnel hautement qualifié.» De ce point de vue, on peut souligner que l’actuelle exclusion de la Suisse du programme cadre de l’Union européenne pour la recherche et l’innovation Horizon Europe 2021-2027 (le plus grand programme de ce type au monde, avec un budget de 95,5 milliards d’euros) est un très mauvais signal.
  • Prendre conscience que le financement public d’innovations disruptives serait probablement rentable.
  • «Une politique de promotion de l’innovation sectorielle ou régionale appropriée pour les divisions industrielles d’avenir à haut risque pourrait inciter les PME à développer leurs activités de R&D et à se montrer plus audacieuses.» 
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