Marie-Hélène Miauton Publié vendredi 20 septembre 2024
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La France vient de se doter d’un Premier ministre de 73 ans, le plus âgé de la Vème République, pour succéder à Gabriel Attal, 34 ans au moment de sa nomination, soit le plus jeune de l’histoire. Il était piquant de les voir lors de la passation des pouvoirs sur le parvis de Matignon, la sagesse et le calme incarnés dans une stature et des cheveux blancs face à la fougue et l’impertinence de la jeunesse. Pendant le même temps, la campagne présidentielle américaine opposait jusqu’à récemment un Joe Biden de 81 ans et un challenger de 77 ans. Il faut dire que le système américain exige une telle surface financière pour avoir une chance d’être élu que cela favorise les vieux routards de la chose publique, habitués aux levées de fonds et aux échanges de bons procédés. Il en résulte une extrême longévité des carrières politiques, fait qui ne cesse de s’aggraver puisque, entre 2002 et 2022, la part des élus du Congrès ayant plus de 70 ans a triplé, passant de 8% à plus de 23%, selon Business Insider1. Ainsi, le phénomène ne se limite pas à l’exécutif, mais touche aussi le législatif. Sur ce sujet, il est instructif de revenir à l’Antiquité, à ces Grecs qui inventèrent la démocratie (bien différente de la nôtre, il est vrai) ou aux Romains dont le système social était à l’image de leur empire, intelligent et pragmatique. Chez eux, chaque temps de la vie avait un sens et une fonction. L’infans (le bébé ou enfant en bas âge) était entièrement sous la responsabilité des femmes et ne sortait guère des lieux qui leur étaient réservés. Le puer (le garçon de 7 ans à 17 ans) passait sous la coupe du pater familias et des autres hommes de la famille en charge de son éducation. L’adulescens (le jeune homme de 17 à 30 ans) revêtait la toge virile et obtenait le droit de vote à 25 ans, mais il était en apprentissage. C’est à partir de 30 ans que le juvenis (homme jeune, entre 30 ans à 46 ans) était enrôlé dans l’armée et participait pleinement aux affaires de la cité tout comme le senior (homme mûr de 46 à 60 ans) qui était encore mobilisable en cas de guerre. Enfin, le senex (le vieillard au-delà de 60 ans) n’avait plus qu’un rôle de transmetteur. Pour Solon, homme d’État et poète à qui l’on attribue la paternité de la démocratie athénienne, l’âge idéal pour exercer des fonctions délibératives s’étageait entre 42 et 56 ans. Il affirmait que le jugement décline après cet âge. De même, Aristote et Platon estimaient que la pleine capacité de décision se situe autour de 50 ans. Au-delà de 60 ans, les sages ont plus un rôle de conseil que de décision et on leur réservait les postes de juges ou d'arbitres, et ils siégeaient au Conseil des Anciens. À noter que la soixantaine marque également la fin des obligations militaires, à bon entendeur chez nos vieilles badernes. Ici, le lecteur rétorquera qu’il est impossible de comparer notre époque où l’espérance de vie dépasse 80 ans avec l’Antiquité ou elle a oscillé entre 40 et 50 ans au cœur de la période classique, car seuls 10% des enfants pouvaient atteindre 60 ans. Pourtant, si la vieillesse était rare dans le monde antique, elle n’était pas exceptionnelle pour autant. Les 60 ans et plus ne formaient pas le quart de la population totale comme de nos jours, mais quand même de 6% à 8% et il y avait même des octogénaires et des nonagénaires! L’Antiquité connaissait donc les vertus et les limites du grand âge. Pourtant, les sexagénaires étaient plus ou moins exclus des affaires courantes et les Anciens préféraient confier les choses sérieuses aux juvenis et aux seniors, c’est-à-dire aux hommes entre 30 ans et 60 ans. Il est probable que nos contemporains citeraient à peu près les mêmes bornes s’ils étaient interrogés à ce sujet. Ils estimeraient donc que Gabriel Attal manquait un peu d’expérience pour les hautes fonctions auxquelles il a été appelé, mais ils trouveraient en revanche que les Etats-Unis ont perdu la tête en confiant les rênes du pays à des senex avancés comme Joe Biden ou Donald Trump. Les codes sociaux des Anciens avaient donc l'avantage de rappeler leurs limites aux trop jeunes ou aux trop âgés et, à Rome, les ténors démocrates n'auraient pas eu à pousser sans ménagement le président vers la sortie. Il se serait retiré tout seul depuis longtemps!
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