L’Empire des Habsbourg pour comprendre l’Europe d’aujourd’hui

L’impératrice Sissi est l’une des figures les plus célèbres de l’Empire des Habsbourg.
L’impératrice Sissi est l’une des figures les plus célèbres de l’Empire des Habsbourg.
Pierre Cormon
Publié jeudi 21 mars 2024
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#Histoire L’Empire austro-hongrois, disparu à l’issue de la Première guerre mondiale, offre des clés de lecture pour comprendre l’Union européenne, avance une journaliste néerlandaise.

Lorsqu’on a demandé à Caroline de Gruyter, journaliste néerlandaise alors installée à Vienne, si l’Union européenne (UE) allait disparaître comme l’Empire des Habsbourg, elle n’a pas su répondre. «Je ne connaissais presque rien de cet Empire, même si à Vienne, ses traces sont partout», a-t-elle raconté le 14 mars devant la Fondation Jean Monnet pour l’Europe. Interpellée, elle a étudié plusieurs années cet Etat qui a occupé une partie de l’Europe centrale pendant sept siècles, avant de disparaître en 1918. Ce détour par l’histoire lui a permis de mieux comprendre les dynamiques en jeu dans l’UE, affirme la journaliste, qui a travaillé dix ans à Bruxelles.

Les différences entre l’Empire des Habsbourg et l’UE sont nombreuses. Contrairement à la seconde, le premier était une autocratie, dotée d’une armée et de fonctionnaires basés dans toute l’étendue du territoire. Les ressemblances sont tout aussi frappantes.

Les deux structures comprennent plusieurs nations, groupes linguistiques et religieux, toujours en désaccord du fait de leurs cultures, de leurs histoires, de leurs sensibilités. Les récriminations contre la monarchie étaient incessantes. «Le parlement de l’Empire n’avait pas beaucoup de pouvoir, mais on s’y exprimait librement, généralement pour se plaindre», raconte Caroline de Gruyter. Comme on se plaint sans cesse des bureaucrates de Bruxelles.

Le fonctionnement interne des deux entités se ressemble beaucoup. «Quand quelque chose arrive, chaque composante réagit différemment», note Caroline de Gruyter. Les désaccords sont incessants, mais on les règle en discutant, parfois de manière tendue. L’idée est de ne plus se battre avec des armes, mais avec des mots.
Le compromis est donc roi. Les empereurs savaient pertinemment que, s’ils n’écoutaient pas les différentes composantes de l’Etat, de sérieux conflits pouvaient surgir. Ils devaient donc donner un peu à chacun. «L’UE fonctionne de la même manière», relève Caroline de Gruyter. «Au début, personne n’est d’accord, puis on trouve un compromis qui permet de donner à chacun un peu de ce qu’il veut. Chacun doit pouvoir rentrer chez lui en disant: j’ai gagné!»

Négociation permanente

Les deux structures sont en négociation permanente avec elles-mêmes. On est toujours en train de se préoccuper du fonctionnement interne, de réformer les règles qui ne cessent d’évoluer.

«L’Empire des Habsbourg et l’UE sont tous les deux des systèmes totalement obsédés par les règlements et les procédures», écrit la journaliste dans son ouvrage1. «Un marché unique ne peut fonctionner qu’à une condition: qu’il y ait des règles respectées par tous. C’est la seule façon de mettre tout le monde sur un pied d’égalité.» Ce qui explique que l’Empire des Habsbourg ait constitué des archives substantielles, couvrant tous les aspects de la vie, ou presque: tout devait être documenté.

Autre ressemblance: les deux entités sont militairement faibles et entourées de rivaux assertifs, parfois agressifs. «Les Habsbourg vivaient avec un sentiment de vulnérabilité, comme nous», a constaté la journaliste. Ils cherchaient donc des alliés puissants et créaient des zones tampons en espérant y confiner les guerres. Cela vous rappelle-t-il quelque chose?
Confrontés à un problème, les deux entités cherchent à gagner un maximum de temps, en maintenant le dialogue. On bricole en permanence pour éviter les conflits. Comme dans le cas des accords de Minsk, auxquels l’UE s’est accrochée pour repousser la guerre entre la Russie et l’Ukraine, même s’ils étaient violés des deux côtés, juge Caroline de Gruyter.

Désagrégation

C’est la guerre qui a détruit l’Empire des Habsbourg, pas les nationalismes, comme on le lit souvent, conclut la journaliste. Les nationalistes du XIXème siècle demandaient des droits culturels et sociaux, jamais la sortie de l’Empire. Le conflit mondial a changé la donne. Toute l’économie était tournée vers l’effort de guerre et l’Empire s’est peu à peu désagrégé, n’ayant plus grand-chose à offrir à ses habitants. Alors qu’on y avait bien vécu jusque-là, les salaires des fonctionnaires n’étaient plus payés, le ravitaillement difficile, tous les habitants ont perdu des proches. Dans ces conditions, plus rien n’y retenait ses différentes composantes.


1 Pour aller plus loin: Carolyne de Gruyter, Monde d’hier, monde de demain, Un voyage à travers l’Empire des Habsbourg et l’Union européenne, Actes Sud, 2023, 358 pages

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