L’érosion de la voie bilatérale: des effets concrets

Les chercheurs suisses, notamment, sont de plus en plus marginalisés dans les projets de recherche européens.
Les chercheurs suisses, notamment, sont de plus en plus marginalisés dans les projets de recherche européens.
Pierre Cormon
Publié vendredi 16 décembre 2022
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#Suisse-EU Des acteurs de terrain s'inquiètent des effets de l’érosion de la voie bilatérale.

Alors qu’un an et demi s’est écoulé depuis la décision du Conseil fédéral d’enterrer l’accord institutionnel entre la Suisse et l’Union européenne (UE), on peine toujours à comprendre quelle forme les sept sages entendent donner aux relations entre les deux parties. Des acteurs de terrain, en revanche, ressentent déjà les effets de l’érosion de la voie bilatérale, gelée depuis lors. C’est ce qui est ressorti de l’événement «Suisse-UE: comment sortir de l’impasse», organisé le 1er décembre à Lausanne par plusieurs organisations, dont la FER Genève.

Les chercheurs suisses sont de plus en plus marginalisés dans les projets de recherche européens, cruciaux dans de nombreux secteurs. «Une génération entière sera pénalisée», estime Luciana Vaccaro, rectrice de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale. Cela rend la Suisse de moins en moins attractive. Au moins deux professeurs ont quitté l’Université de Fribourg et au moins deux autres ont renoncé à venir y travailler pour cette raison, a relevé sa rectrice, Astrid Epiney.

Entreprises pénalisées

Des projets internationaux qui devaient être dirigés depuis la Suisse le sont depuis d’autres pays. L’Université de Genève a perdu quatre projets liés aux technologies quantiques, un secteur jugé hautement stratégique.

Cette exclusion rejaillit aussi sur les entreprises privées. «Les projets européens étaient une source de fonds essentielle pour nous», relève Grégoire Ribordy, cofondateur et directeur général d’ID Quantique, une entreprise technologique de très haut niveau. Les financements suisses, suivant d’autres règles, ne peuvent pas les remplacer.

L’industrie medtech est également touchée de plein fouet. Elle doit faire certifier ses appareils pour les mettre sur le marché. Jusqu’au 26 mai 2021, il suffisait de le faire en Suisse pour avoir accès au marché de l’UE. Ce n’est plus le cas: les industriels suisses doivent maintenant faire certifier leurs appareils dans les deux juridictions, ce qui leur coûte beaucoup de temps et d’argent – comptez un minimum en dizaines de millions de francs pour le secteur.

PME désaventagées

L’industrie de la machine-outil échappe pour le moment à la double certification. «Dès 2025-2026, ce ne sera cependant plus le cas», relève Philippe Cordonier, responsable pour la Suisse romande de Swissmem, l’organisation faîtière du secteur. Cela risque de créer une forte pression sur les marges, déjà mises à mal par la hausse des coûts de l’énergie et du transport. «Les grandes entreprises trouveront des solutions, ce sera beaucoup plus difficile pour les plus petites», ajoute le responsable.

L’isolement se manifeste également dans le domaine de l’électricité, alors que la sécurité de l’approvisionnement n’a jamais paru aussi fragile. «Nous importons environ 40% de notre électricité. Or, personne n’est obligé de nous les donner, faute d’accord entre la Suisse et l’UE», remarque Maurice Dierick, Head of Market chez Swissgrid, l’opérateur du réseau de haute tension.

Kremlinologie

La Suisse mène des discussions confidentielles avec l’UE et les observateurs en sont réduits à guetter des petits signes permettant de deviner dans quel direction le vent souffle, comme les kremlinologues d’antan à l’affut d’une grimace de Kossyguine ou d’un soupir de Gromyko.

Et l’on ne voit toujours pas la moindre esquisse de solution sur les points qui ont conduit le Conseil fédéral à enterrer l’accord cadre, dans lequel il avait pourtant obtenu de sérieuses concessions de l’UE. 

 

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