L’Europe s’attaque aux produits chimiques toxiques

DE CINQ MILLE A SEPT MILLE produits chimiques sont inscrits dans la liste noire de la Commission européenne.
DE CINQ MILLE A SEPT MILLE produits chimiques sont inscrits dans la liste noire de la Commission européenne.
Barbara Speziali
Publié vendredi 10 juin 2022
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#Produits chimiques La Commission européenne a publié une feuille de route visant à éliminer des milliers de substances les plus nocives des produits de grande consommation d’ici à 2030.

Les produits chimiques sont partout: jouets, emballages, meubles, couches pour bébés, peintures, etc. Ils sont pour la plupart nocifs pour la santé et l’environnement. Après plusieurs mois de négociations serrées entre la direction du marché intérieur et de l’industrie et celle chargée de l’environnement - la première s’efforçant de limiter les ambitions de la seconde -, la Commission européenne a tranché. L’Exécutif a choisi de frapper fort et large. Une décision historique, estiment les experts.

Dans une feuille de route publiée le 25 avril dernier, la Commission dresse la liste noire des substances qui devront être éliminées d’ici à 2030. Au total, de cinq mille à sept mille produits chimiques sont concernés. Le document cible six groupes. Tout d’abord, les PFAS (substances poly-et perfluoroalkylées) que l’on trouve dans les revêtements antiadhésifs, les imperméables ou les crèmes solaires. Ensuite, les retardateurs de flamme, ajoutés à certains meubles pour éviter qu’ils ne prennent feu. Autre groupe: les plastiques en PVC, présents dans de multiples objets du quotidien. Les bisphénols, déjà interdits dans les biberons, figurent dans la liste. Enfin, la Commission a décidé d’interdire une série de substances potentiellement cancérigènes présentes dans les articles de puériculture (couches, tétines, savons, etc.).

Cette feuille de route a été soutenue à l’unanimité des Etats membres, même si l’Italie s’oppose aux mesures visant à interdire les plastiques en PVC. Elle permettra à l’Union européenne (UE) d’agir sans attendre en utilisant le système de régulation déjà en vigueur, le règlement REACH - sur lequel la Suisse s’est alignée -, qui va être remis à jour d’ici à 2027. «Pour respecter les engagements pris dans le cadre de la stratégie dans le domaine des produits chimiques, les parties prenantes ont besoin de transparence et de visibilité sur les travaux à venir. La feuille de route sur les restrictions assure cette visibilité et permet aux entreprises et autres parties prenantes d’être préparées au mieux aux éventuelles restrictions à venir», a expliqué Thierry Breton, commissaire au marché intérieur. «Ces restrictions REACH visent à réduire l’exposition des personnes et de l’environnement à certains des produits chimiques les plus nocifs, en s’attaquant à un large éventail de leurs utilisations – industrielles, professionnelles et dans les produits de consommation», a précisé Virginijus Sinkevicius, commissaire chargé de l’environnement.

Nouvelle approche

Cette feuille de route s’inscrit dans la stratégie de l’UE pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques, adoptée en octobre 2020, et dans le cadre de l’objectif de pollution zéro du Pacte Vert de l’UE. La grande nouveauté réside dans l’approche privilégiée. Actuellement, l’UE réglemente en effet les produits chimiques un par un. On considérera désormais toutes les substances d’une même famille comme aussi dangereuses que le produit le plus dangereux de la famille. Cette nouvelle approche permettra d’accélérer le rythme des interdictions. Elle devrait également mettre fin à une pratique largement utilisée par certains industriels, qui se contentent de modifier légèrement la composition chimique du produit incriminé.

Décision historique

Les Etats membres vont maintenant examiner en détail chaque proposition d’interdiction. Ensuite, celle-ci sera soumise à l’Agence européenne des produits chimiques. Une fois approuvée, l’interdiction connaîtra sans doute une période de transition. Il va donc falloir patienter encore quelques années. «Toutes les substances auront disparu d’ici à 2030» estime le Bureau européen de l’environnement, qui se félicite de la décision prise par la Commission européenne: «Il s’agit de la plus grande interdiction de produits chimiques toxiques jamais annoncée par l’UE». Presque tous les produits manufacturés dans les magasins seront touchés.

La Commission européenne s’attaque à un poids lourd: la chimie, quatrième secteur industriel en Europe, emploie directement quelque 1,2 million de personnes. Le chiffre d’affaires global devrait doubler d’ici à 2030. Le secteur freine autant qu’il peut les velléités de l’Exécutif visant à garantir un «environnement sans substances toxiques». Environ trois cents millions de tonnes de substances chimiques sont produites chaque année par l’industrie. Selon l’Agence européenne pour l’environnement, la grande majorité (74%) est considérée comme dangereuse pour la santé ou l’environnement, ce qui représente environ douze mille substances. Bruxelles a décidé de répondre à l’inquiétude des citoyens. Quitte à susciter celle des industriels.

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