#Énergie La situation catastrophique pressentie n’a pas eu lieu. Les entreprises doivent néanmoins anticiper l’hiver prochain.
La première feuille du marronnier officiel de la Treille a éclos jeudi 9 mars, annonçant symboliquement l’arrivée du printemps à Genève. L’ensemble de la Suisse commence à connaître la douceur printanière, l’hiver étant désormais passé. Il n’a pas ressemblé à celui annoncé. Les cantons et la population n’ont pas connu de grand froid ni de fortes chutes de neige. La Suisse n’a donc pas vécu le black out annoncé, ni les pénuries énergétiques et les coupures de courant.
Vendredi 10 mars, le forum Forward, organisé par le quotidien Le Temps et l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, interrogeait trois intervenants sur les leçons énergétiques à retenir de cet hiver particulier. Joris Engisch, propriétaire et directeur de l’entreprise neuchâteloise Jean Singer & Cie SA, active dans le secteur horloger, et Nicola Thibaudeau, directrice générale et administratrice déléguée de l’entreprise bernoise Micro Précision System AG, étaient invités à tirer les enseignements de cette période. Stéphane Genoud, professeur responsable du laboratoire de management de l’énergie de la HES-SO Valais, a apporté un point de vue plus global.
Ce dernier, connu pour ses points de vue tranchés, n’en démord pas: les mesures prises n’ont servi à rien. «Si nous n’avons rien connu, c’est surtout grâce à une météo clémente et, il faut le dire, à une grande part de chance», indique-t-il. Ce climat tempéré est tout le problème, selon lui. «Le manque de neige créera des problèmes pour la production d’électricité dans les barrages. Ils viendront s’ajouter aux problèmes d’approvisionnement en gaz et aux soucis liés au nucléaire français», estime-t-il. Les entreprises et la population devront faire face à ces incertitudes énergétiques, alors que l’hiver prochain s’annonce rude. «Dans ce contexte, les inquiétudes connues cette année reviendront», alerte Stéphane Genoud. Ses solutions: flexibiliser la consommation d’électricité et pousser les économies au maximum.
Nicola Thibaudeau et Joris Engisch ont vécu cette période d’incertitude dans leurs quotidiens professionnels. L’entreprise de la première était inscrite sur le marché libre. En août 2022, elle a dû renouveler son contrat d’approvisionnement d’électricité. Le coût était alors de six centimes par kilowattheures. A l’époque, elle s’est tournée vers la concurrence, dans l’espoir de trouver une meilleure offre. N’y parvenant pas, elle est revenue vers son fournisseur initial. Problème: le prix était passé à cinquante-six centimes. Nicola Thibaudeau, hésitant encore, s’est finalement vue contrainte de signer un contrat au prix de quatre-vingt-six centimes le kilowattheure.
La facture d’électricité de l’entreprise a bondi de trois cent mille francs à quelque quatre millions. La transition énergétique de Micro Précision System a été entreprise en urgence pour réduire sa facture et éviter de répercuter ce coût sur les prestations. «Avec des mesures simples, nous avons réussi à baisser rapidement notre consommation de 24%», affirme la directrice. «Nous savons que l’exercice n’est pas terminé: nous pouvons faire mieux dans les économies. Les mesures ont été prises sous la pression, mais maintenant, c’est fait pour de bon.»
Faire un bilan sans tarder
Quant à Joris Engisch, il a fait la démarche inverse en jouant au «trader» des énergies. Il a étudié les prix et acheté par tranche pour pallier les risques de futures pénuries. «L’entreprise dispose actuellement de contrats jusqu’en 2027, à un coût de douze centimes le kilowattheure», explique-t-il. Cette prévision lui permet de répartir la hausse de coût sur plusieurs années, sans le faire ressentir trop violemment à ses clients. Il a en outre dressé un bilan de la consommation d’énergie de son entreprise pour la baisser sur la base des mesures du plan fédéral Ostral. Il dispose de dix-sept mesures pour réduire sa consommation, de l’optimisation des équipements à l’arrêt total de l’usine.
Ces deux témoignages coïncident avec ceux recueillis par Guy Suchet, directeur du département social et environnement de la FER Genève. Discutant régulièrement avec des chefs d’entreprise, il constate que ceux ayant fait le choix du libre marché ont subi plus durement l’augmentation des prix. «Ce sont les premiers qui ont été amenés à prendre des mesures pour baisser radicalement leur consommation d’électricité, parfois jusqu’à 30%.» Guy Suchet appelle les entreprises à faire sans tarder le bilan de cet hiver doux. «Il faut dès maintenant faire le point sur ce qui a fonctionné ou non au sein de l’entreprise et ne pas perdre les bonnes pratiques mises en place. Ce qui est aussi important, à mon sens, c’est que ces efforts faits durant l’hiver soient valorisés auprès des employés. C’est crucial pour l’avenir.»
Du côté des Services industriels de Genève, on déplore le fait d’avoir attendu autant avant de penser aux économies d’énergie, alors que des programmes d’accompagnement existent. «Les leçons auraient pu être tirées avant cet hiver», observe Christian Brunier, directeur général de l’entreprise. «On peut garder le même confort en consommant beaucoup moins.»
Se préparer à l’hiver prochain
Antonio Hodgers, conseiller d’Etat en charge du territoire et de l’énergie, appelle à maintenir les efforts de manière pérenne. «Ce n’est pas parce que la catastrophe n’a pas eu lieu que nous ne l’avons pas frôlée. C’est justement parce que nous avons pris des précautions que la crise a été évitée.»
De quoi ce futur sera-t-il fait? Difficile de le prévoir. La reprise économique de la Chine et la prolongation de la guerre en Ukraine laissent entrevoir une concurrence encore plus féroce sur le marché des énergies dans les prochains mois. Avec les incertitudes annoncées pour l’hiver 2023-2024 (températures, pénuries d’énergie, coupures), les entreprises ont le devoir de s’y préparer dès maintenant pour ne pas être prises au dépourvu.
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