L’hydrogène vert au cœur la transition énergétique

«De nombreux projets de recherche au niveau mondial visent à remplacer les énergies fossiles par de l’hydrogène vert.»
«De nombreux projets de recherche au niveau mondial visent à remplacer les énergies fossiles par de l’hydrogène vert.»
Pierre Cormon
Publié vendredi 04 février 2022
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#Hydrogène S'il est produit avec des énergies renouvelables, l’hydrogène pourra jouer un rôle central pour remplacer les énergies polluantes.

L’hydrogène est en train de devenir l’une des vedettes de la transition énergétique. De la Patagonie à l’Arabie Saoudite, de la Suisse au Kazakhstan, des recherches et des projets visent à l’utiliser pour remplacer les énergies issues du pétrole. Des start-up, des multinationales, des universités, des gouvernements, des PME étudient, conçoivent, mettent en œuvre une multitude de projets à cet effet, parfois locaux, parfois transcontinentaux. Pourquoi cet engouement? Parce que l’hydrogène a des propriétés précieuses. «Ce n’est pas la panacée, mais son grand avantage, c’est qu’il s’agit d’une molécule propre, lorsqu’elle est indépendante du cycle du carbone (principale molécule responsable de l’effet de serre - ndlr)», précise Hubert Girault, directeur du laboratoire d’électrochimie physique et analytique de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). «C’est également un vecteur d’énergie, qui permet de la transporter sur de longues distances.»

De l'aviation à l'industrie lourde 

Il pourrait être employé dans des applications dans lesquelles il est encore difficile de se passer de carburants fossiles: l’industrie lourde, l’aviation, les camions, les bateaux et les autobus devant parcourir de longues distances sans possibilité de recharge, etc. «Pour les faire fonctionner à l’électricité avec des batteries telles que celles utilisées par les voitures électriques, il faudrait des batteries démesurées», explique Hubert Girault. L’hydrogène permet de contourner le problème. Il peut être utilisé pour alimenter une pile à combustible, qui permet de produire de l’électricité. A énergie égale, le volume et le poids du dispositif sont bien inférieurs à ceux d’une batterie lithium-ion, et le seul rejet dans l’atmosphère est de la vapeur d’eau.

La production de l’hydrogène est maîtrisée depuis longtemps. On en produit nonante millions de tonnes par année dans le monde, notamment utilisées pour raffiner du pétrole, produire des plastiques et, plus crucial, des engrais.

Gourmand en énergie 

Le procédé requiert cependant beaucoup d’énergie primaire. A l’heure actuelle, celle qu’on utilise dans ce but est le plus souvent issue de sources non renouvelables et polluantes, mais bon marché, comme les énergies fossiles. L’industrie de l’hydrogène est donc une grande émettrice de CO2 – ses émissions sont du même ordre de grandeur que celles d’un pays comme l’Allemagne.

Tout l’enjeu est donc de produire de l’hydrogène «vert» et bon marché, à partir d’énergie primaire renouvelable (biomasse, photovoltaïque, etc.), ainsi qu’en quantités suffisantes: le procédé est très gourmand en électricité. «Les technologies de base sont au point; ce qu’il faut, maintenant, c’est déployer les infrastructures de production et de distribution à grande échelle», explique Jean-Luc Favre, président de la Fondation Nomads, qui participe à deux projets autour de l’hydrogène vert (lire ci-dessous). «Et trouver la meilleure manière de l’intégrer dans le mélange énergétique.»

Il faut également trouver un modèle économique qui tienne la route. La production d’hydrogène vert est en effet encore deux à trois fois plus cher que celle de l’hydrogène «gris».

Deux approches 

Deux approches se distinguent. La première, très centraliste, consiste à produire l’hydrogène là où l’électricité photovoltaïque ou éolienne est disponible à très bas prix: Patagonie, Arabie Saoudite, Mer du Nord, Sahara, notamment. On perd certes 40% de l’électricité dans le processus, mais «vu le prix de l’électricité dans ces régions, on peut se le permettre», juge Hubert Girault.

On pourrait utiliser cet hydrogène sur place pour produire du carburant synthétique – comme Siemens Energie et Porsche veulent le faire en Patagonie chilienne. Ou l’exporter, sous forme liquide ou à travers des pipelines, vers les régions où on en a besoin. «Il existe déjà tout un réseau de pipelines à hydrogène en Europe du Nord», relève Hubert Girault. «L’Union européenne aimerait l’étendre et créer des autoroutes de l’hydrogène, comme on a créé un réseau de gaz naturel. L’Europe du Sud et l’Afrique du Nord sont très intéressées à y être intégrées.»

Local et circulaire

L’autre approche est résolument locale et circulaire. Elle consiste à tirer parti de l’une des particularités de l’électricité. La production doit être en tout temps égale à la demande, sans quoi le réseau risque l’effondrement. Ses gestionnaires doivent donc effectuer un travail de précision pour équilibrer les deux en permanence. C’est beaucoup plus difficile avec le photovoltaïque et l’éolien: la production a lieu quand la météo le permet, pas quand on en a besoin. Avec le développement du photovoltaïque, le réseau européen se trouve de plus en plus souvent déstabilisé, par exemple lors de journées d’été ensoleillées, où la production d’électricité photovoltaïque dépasse les besoins.

Or, la seule technique permettant actuellement de stocker l’électricité à grande échelle date du XIXème siècle: il s’agit du pompage-turbinage. Il consiste à utiliser l’électricité quand l’offre excède la demande pour remonter de l’eau dans les barrages de montagne, et l’utiliser plus tard pour produire de l’électricité quand la demande excède l’offre. Son potentiel est cependant limité.

D'une pierre deux coups

On pourrait donc utiliser les surplus d’électricité quand ils sont disponibles (les jours d’été ensoleillés, la nuit, quand les barrages au fil de l’eau continuent à tourner, etc.) pour produire de l’hydrogène. On ferait ainsi d’une pierre deux coups: on stabiliserait le réseau et on constituerait une réserve d’énergie pouvant être utilisée quand la demande d’électricité est plus forte que l’offre. Quelque 40% de l’électricité est perdue dans la transformation, sous forme de chaleur. L’un des défis serait de valoriser cette chaleur, par exemple dans des bâtiments.

Le coût de cette production décentralisée pourra-t-il rivaliser avec celui de l’hydrogène du Sahara ou en Mer du Nord? La question est actuellement sans réponse. «Il faudra ajouter les frais d’infrastructure et de transport», remarque Hubert Girault. «A l’heure actuelle, bien malin qui peut prédire le prix auquel on aboutira.»

Saisonnalité 

Le stockage de l’hydrogène a cependant des limites. Il peut se faire à la journée ou à la semaine. Contrairement au gaz naturel, il ne peut pas être mis en réserve pour de longues périodes: très léger, il s’échappe trop facilement. Le stockage d’hydrogène ne peut donc pas fournir la solution à un problème aigu pour un pays comme la Suisse: la saisonnalité. On produit plus d’électricité qu’on en consomme en été, quand les réservoirs des barrages de montagne sont pleins, alors que c’est le contraire en hiver. C’est alors des importations, comme celle d’électricité nucléaire française, qui comblent le déficit.

Les deux approches ne s’opposent pas nécessairement: la production locale d’hydrogène pourrait servir à gérer les écarts entre production et consommation à court terme, par exemple entre le jour et la nuit. Les grandes infrastructures internationales pourraient compléter l’offre si la production locale d’hydrogène ne parvient pas à suivre la demande. Elles pourraient également en apporter quand on en manquerait – notamment en hiver.

Musique d'avenir

Il s’agit cependant encore de musique d’avenir. Des projets pilotes voient le jour ici et là, notamment en Suisse romande. Dans des domaines tels que le transport routier, les technologies sont au point et n’attendent qu’à être déployées. «Rien qu’en Suisse, on estime qu’il y aura une centaine de stations-service pouvant distribuer de l’hydrogène et un millier de camions à l’horizon 2050», remarque Jean-Luc Favre.

Dans d’autres domaines, comme l’aviation, on en est cependant encore loin. Mettre sur pied une société tirant pleinement parti du potentiel de l’hydrogène nécessite d’installer des infrastructures lourdes et coûteuses. Cela pourrait prendre des décennies.


Cinq partenaires romands en route pour une première mondiale

Migros Genève devrait utiliser un camion de quarante tonnes roulant à l’hydrogène vert et doté d’une autonomie de six cents kilomètres, développé localement, dès le deuxième semestre 2022. C’est l’objectif du projet GOH! Generation of Hydrogen! porté par cinq partenaires. «Des constructeurs proposent déjà des camions de trente-deux tonnes, mais un quarante tonnes constitue une première mondiale», affirme Jean-Luc Favre, président de la Fondation Nomads, l’un des partenaires. «Cela demande une approche différente. La puissance d’un quarante tonnes est beaucoup plus élevée, on a donc besoin d’un réservoir plus grand et d’une propulsion électrique plus musclée.»

Les partenaires mettent actuellement un prototype au point. S’il donne satisfaction, Migros Suisse et d’autres acteurs de la logistique pourraient commander une pré-série de trente véhicules, qui pourrait être fabriquée en Suisse. L’objectif est ensuite de proposer cette technologie au niveau international, sous une forme qui reste encore à définir.

Répartition des tâches

Chacun des partenaires du projet apporte une partie des compétences. La start-up vaudoise GreenGT conçoit la chaîne de propulsion. L’entreprise LARAG l’installe sur un châssis de la marque russe Kawaz. Les SIG produiront l’hydrogène vert nécessaire à sa propulsion, dans le canton de Genève. Migros Genève l’utilisera pour ses livraisons et Migrol installera une station-service à hydrogène. Nomads coordonne le projet et s’occupe d’un volet formation.

Rien ne sert en effet de développer des technologies si l’on manque de personnes qualifiées pour les mettre en œuvre. Les partenaires veulent donc mettre sur pied des formations initiales en collaboration avec des partenaires tels qu’HEPIA (Haute école du paysage, d'ingénierie et d'architecture de Genève), la HEFP (Haute école fédérale en formation professionnelle) ou l’UPSA (Union suisse des professionnels de l’automobile). Le personnel des entreprises partenaires pourra également suivre des formations continues.

Le précédent TOSA

Si cette approche collaborative rappelle celle qui a permis de développer les bus électriques TOSA, ce n’est pas un hasard. Elle en est directement inspirée et certains des acteurs y ont également participé, comme les SIG et Jean-Luc Favre (alors directeur d’ABB Genève).


Une autre voie pour propulser les véhicules lourds

La voie privilégiée pour exploiter l’hydrogène vert consiste à l’utiliser pour produire de l’électricité, grâce à une pile à combustible. Il existe cependant une autre possibilité, beaucoup moins connue: utiliser l’hydrogène directement dans un moteur à combustion, comme on le fait du diesel ou de l’essence. Une voie étudiée par Christian Nellen, professeur à la Haute Ecole spécialisée de Fribourg.

Le grand avantage de cette technologie, c’est qu’on peut l’utiliser dans les véhicules fonctionnant aux énergies fossiles, au prix de quelques transformations de leur moteur. «C’est essentiellement le système d’injection qui doit être changé, ainsi que quelques composants», explique Christian Nellen. «Un mécanicien formé sur les moteurs à explosion devrait pouvoir le faire sans problème. Le savoir-faire est là.»

Energie grise

Or, prolonger la vie des véhicules est très avantageux, tant d’un point de vue économique qu’environnemental. Fabriquer un nouveau véhicule, quel que soit son mode de propulsion, coûte cher et consomme d’énormes quantités d’énergie et de matières premières, souvent obtenues au prix de dégâts considérables à l’environnement.

La combustion d’hydrogène permettrait donc de conserver une partie du parc de véhicules existant. De plus, les moteurs à combustion sont robustes et faciles à recycler, ce qui n’est pas le cas des batteries et des piles à combustibles. Cela n’enlève rien aux avantages de ces derniers. «Nous avons besoin d’une palette de solutions plutôt que d’une seule technologie», estime Christian Nellen.

Variations de charge

La technologie convient particulièrement aux véhicules dont le moteur est utilisé à forte charge (c’est-à-dire avec la pédale des gaz fortement enfoncée). Ce peut être le cas de bus de transport public ou de machines de chantier. «En revanche, pour une voiture de tourisme, qui fonctionne globalement à faible charge, le 100% électrique peut être plus compétitif en terme de rendement», juge Christian Nellen.

Une étude de faisabilité a été effectuée par la HES pour les Transports publics fribourgeois, avec un financement de l’Office fédéral des transports. Sur le plan économique, les conclusions sont encourageantes. «Un bus à moteur à hydrogène coûterait presque 50% de moins à l’achat qu’un bus fonctionnant avec une pile à combustible», affirme Christian Nellen.

«Cela tient essentiellement au fait que ses composants sont moins coûteux que ceux des bus à pile à combustible ou à batterie. L’économie sur le coût total de possession peut être de 25% sur toute la durée de vie (prix d’achat plus coûts d’entretien et d’utilisation - ndlr) pour des trajets extra-urbains, si l’on se base sur les données réelles des lignes couvertes par les Transports publics fribourgeois». Sans compter d’éventuelles économies liées à la prolongation de l’utilisation d’anciens véhicules.

Polluants atmosphériques

Reste un sujet sensible. Si utiliser de l’hydrogène dans une pile à combustible ne dégage que de la vapeur d’eau, il en va autrement lorsqu’on le brûle. Le procédé n’émet pas de CO2, mais en revanche, il dégage des oxydes d’azote (NOx). Or, il s’agit de polluants atmosphériques dommageables pour la santé et l’environnement. Ils provoquent notamment des maladies des voies respiratoires et perturbent les écosystèmes.

«C’est exact», réagit Christian Nellen. «Nous sommes donc en train de développer des systèmes de combustion produisant moins d’oxydes d’azote. De plus, il existe aujourd’hui des systèmes permettant de capturer efficacement ceux qui restent. On n’en émettrait plus que des traces, tout juste mesurables, qui ne poseraient pas de problème pour la santé ou l’environnement.»

Prototype

Après avoir réalisé l’étude de faisabilité, la HES Fribourg travaille maintenant à développer un prototype de moteur à combustion à hydrogène pour le compte des Transports publics fribourgeois. «Le but est de déployer par la suite cette technologie dans leur flotte de bus», explique Christian Nellen. La preuve de l’efficacité faite, le système pourrait être proposé à d’autres compagnies de transports publics.

L’aviation s’intéresse aussi à la combustion de l’hydrogène. Les batteries électriques sont très efficaces pour faire accélérer un avion. Elles n’ont cependant pas la capacité d’assurer des vols de longue distance. La combustion de l’hydrogène, en revanche, le permet. Combiner les deux technologies permettrait donc de bénéficier de leurs qualités respectives. C’est la voie qu’explore Airbus, avec son projet ZEROe.

Centrales à hydrogène

Des producteurs d’électricité étasuniens veulent pour leur part mélanger de l’hydrogène au gaz naturel dans leurs centrales à gaz. Dans un deuxième temps, ils envisagent de ne plus brûler que de l’hydrogène. Cela permettrait de prolonger la vie de ces centrales et des infrastructures gazières, sans qu’elles ne causent plus d’émissions de CO2. Cette approche est cependant contestée, car elle entraînerait des émissions non négligeables d’oxydes d’azote. Tout l’enjeu serait de les capturer de manière efficace.

 


Chauffer les immeubles à l’hydrogène

Quatre partenaires romands1 se sont associés pour étudier la faisabilité d’une installation permettant de fournir chauffage et électricité à des immeubles à partir d’hydrogène vert. Il s’agit de tester la viabilité technique et économique du modèle. «L’objectif principal est la décarbonation des bâtiments, deuxième secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre en Suisse, derrière les transports, avec 24,2% des émissions», explique Jean-Luc Favre, président de Nomads, l’un des partenaires du projet.

L’hydrogène vert devrait être produit avec des surplus d’électricité produits localement, par exemple par des panneaux photovoltaïques. Quel est ensuite la meilleure manière de l’utiliser? C’est ce que les partenaires veulent déterminer, d’abord sur la base de modélisations, puis d’un projet-pilote.

Plusieurs possibilités

Plusieurs options sont possibles. On peut retransformer cet hydrogène en électricité tout en récupérant la chaleur pour l’usage dans les bâtiments. On peut également utiliser l’hydrogène dans d’autres applications, par exemple pour recharger des véhicules. Toutes les options posent cependant des questions de rentabilité.

«On peut discuter longtemps et faire beaucoup d’analyses et de calculs, mais à la fin, il faut procéder à des essais», répond Jean-Luc Favre. «Nous partons sans a priori. L’usage final de l’hydrogène dépendra du retour d’expérience technique et économique des projets pilotes.»

Volet formation

Le projet vise à réaliser une première installation pilote d’ici à fin 2023. Il comprend également un volet consistant à former des ingénieurs et des techniciens à ces technologies.

 

1Realstone (gérant de fonds immobiliers),

Romande Energie (distributeur d’énergies), GreenGT (start-up active dans l’hydrogène) et la Fondation Nomads (développement de solutions durables).

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