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L’illusion du courant vert

Pierre Cormon Journaliste Publié vendredi 29 avril 2022

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Vous voulez ménager l’environnement. Vous souscrivez une offre garantissant que l’électricité qu’on vous fournit est d’origine 100% renouvelable – par exemple un mélange d’hydroélectrique et de photovoltaïque.

Vous pouvez donc consommer du courant la conscience tranquille: cela n’a aucun impact pour le climat, ni pour la qualité de l’air. Juste?

Malheureusement pas.

Le système qui garantit l’origine de l’électricité est en effet très imparfait. Si votre distributeur vous vend X kilowattheures d’origine prétendument renouvelable, cela ne signifie pas nécessairement que le courant qui sort de votre prise le soit. Seulement que le distributeur a acquis un certificat garantissant qu’une quantité équivalente d’électricité renouvelable a été produite quelque part. Peut-être à côté de chez vous, peut-être à l’autre bout du pays, peut-être en Norvège. Peut-être plus ou moins au moment où vous la consommez, peut-être avec plusieurs mois de décalage (lire: L’électricité vendue comme verte ne l’est pas toujours).

Or,

la production d’électricité renouvelable varie énormément selon les heures, les saisons et la météo. Si vous consommez du courant un soir d’hiver, il a peu de chances d’être produit par un barrage de montagne ou une centrale photovoltaïque. Il en a en revanche davantage d’être issu d’une centrale à gaz ou à charbon allemande, quelle que soit l’étiquette sous laquelle il vous est vendu.

La part de courant

renouvelable consommée en Suisse est ainsi beaucoup plus faible que celle qu’indiquent les chiffres officiels, a montré l’Université de Genève. Elle était de 48% en 2018, alors que la Confédération la chiffrait à 76,6%. Une grande entreprise alémanique s’est même aperçue que le courant qu’elle consommait était dix fois plus néfaste pour le climat que ce que le système lui laissait penser.

Ce décalage

n’est pas dû à une volonté de tromper le consommateur, mais à un système conçu pour pallier l’impossibilité de tracer les électrons des producteurs aux consommateurs. Il est difficile à réformer, pour des raisons techniques et pratiques. Un premier pas est cependant en discussion au parlement.

Du point de vue climatique, l’idéal serait d’inciter financièrement à réduire la consommation au moment où la production d’électricité est la plus néfaste – typiquement un soir d’hiver. Cela supposerait cependant une refonte complète du système et poserait des problèmes techniques. En attendant, il faut garder à l’esprit que le seul kilowattheure anodin pour l’environnement est celui qu’on ne consomme pas.