L’expression empruntée pour le titre de cette rubrique fait référence à un âne qui a du mal à avancer. Donnez-lui une carotte (récompense); donnez-lui un coup de bâton (punition). Dans les deux cas, il avancera. Récompense ou punition, telle est la question.
C’est là le reflet d’une culture ancestrale du bien et du mal. En effet, depuis plus de deux mille ans, l’église ne cesse de dire que si l’on se comporte bien («bien» désigne ce que l’Église estime ainsi), nous irons au paradis, sinon en enfer!
Autre rappel: la motivation peut être intrinsèque ou extrinsèque.
La motivation intrinsèque, c’est la motivation qui provient de l’intérieur de l’individu, c’est-à-dire du désir de s’engager dans une activité pour le plaisir, la satisfaction ou le sens de l’accomplissement qu’elle procure. Chacun aura bien sûr sa propre motivation. Ce qui me motive ne vous motive pas forcément.
La motivation extrinsèque est celle que nous vivons souvent dans notre quotidien de travail. Cette motivation est dite extrinsèque, car elle est liée à des enjeux externes à chaque personne. Elle est associée aux notions d’incitation ou de contrainte. Nous mobilisons ce type de motivation quand nous faisons quelque chose pour laquelle nous n’avons pas d’appétence a priori, mais à cause d’une forte incitation externe (salaire, prime, etc.).
Il se trouve - et c’est sa faiblesse - que le modèle managérial traditionnel joue beaucoup sur les motivations extrinsèques, peu sur les motivations intrinsèques. Il utilise la logique de la carotte et du bâton, toutes deux des sources de motivations extrinsèques. Elles sont bien adaptées aux tâches répétitives, mesurables et programmables, alors que les motivations intrinsèques sont, elles, parfaitement appropriées aux tâches créatives et heuristiques. Il y aura sans doute toujours des tâches répétitives, mais elles continueront à se réduire grâce aux technologies et à l’intelligence artificielle. Nous basculerons donc de plus en plus vers les motivations intrinsèques. Le management devra mettre en place des politiques et des pratiques qui valorisent l’autonomie, la responsabilité, le feedback constructif et la reconnaissance du travail bien fait.
Ces politiques ont plusieurs avantages déterminants. Elles favorisent la persévérance, créent un sentiment de satisfaction, stimulent la créativité et favorisent l’autonomie. Des avantages particulièrement importants pour les nouvelles générations. En effet, plusieurs recherches menées à ce sujet arrivent à des conclusions semblables: les jeunes sont moins aptes à modifier leur comportement pour éviter la «punition» que les adultes. Cela même en recevant les explications sur ce qu’il se serait passé s’ils avaient choisi une autre option. Les gens cherchent de la reconnaissance et du respect. Les employés ont besoin de faire une tâche qui leur importe, qui les intéresse et qu’ils aiment faire. Finissons-en avec le modèle de la carotte et du bâton, qui impose des horaires, motive en se contentant de promettre une récompense quelconque, condamne à une seule tâche spécifique.
2018, Pékin. Discussion avec un responsable du développement chez Huawei. Il me disait que la majorité des employés de l’entreprise travaillent dans le développement et qu’il cherche avant tout des personnalités passionnées qui, au-delà des grandes écoles, ont par exemple participé à des concours de réalisation de robots. «Nous cherchons des gens qui construisent des choses depuis qu’ils sont petits.» J’ai compris ce jour-là que la Chine ne pouvait plus se résumer à «la fabrique du monde». J’ai également découvert chez Google le désormais fameux «20% time»: un jour par semaine (le vendredi), les ingénieurs sont autonomes et en profitent pour travailler sur... les projets qu’ils veulent! Le résultat est bluffant: environ la moitié des nouveaux produits chaque année sont nés pendant ces 20% d’autonomie. Mais revenons à l’expression en titre, cette combinaison de récompenses et de punitions pour induire un comportement souhaité. Cette façon de diriger, peut-être la subissez-vous ou peut-être êtes-vous encore tentés aujourd’hui de l’appliquer face à des situations dans lesquelles vous ne vous sentez pas bien dans votre style de management. Prenons donc une bonne résolution: arrêtons de prendre nos collaborateurs pour des ânes. Laissons tomber carotte et bâton. Soyons bien conscients que chaque collaborateur a sa propre motivation, qui est fonction de sa culture, de ses valeurs, de ses expériences et de ses goûts.
Efforçons-nous à créer un environnement de travail qui permette à chacun de trouver sa motivation... intrinsèque bien sûr!
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