La Commission européenne veut lutter contre les pénuries de médicaments

Barbara Speziali
Publié lundi 22 mai 2023
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#Pharma Une réforme pour lutter contre les inégalités d’accès aux médicaments, les pénuries et la résistance aux antibiotiques.

C’est l’un des textes législatifs les plus attendus de cette année. L’actuelle législation européenne pharmaceutique, qui date d’il y a vingt ans, a montré ses limites lors des dernières crises. Les ruptures de stocks et les tensions d’approvisionnement sur les médicaments se sont multipliées ces derniers mois, touchant notamment des antibiotiques largement prescrits comme l’amoxicilline, mais également le paracétamol. Une réforme s’impose.

La Commission a dévoilé les contours de son projet le 26 avril dernier. L’objectif est de rendre les médicaments «plus disponibles, accessibles et abordables». L’Exécutif s’attaque aux inégalités: «Nous ne pouvons pas avoir des citoyens de première et de deuxième classe», a souligné Stella Kyriakides, la commissaire à la santé. Actuellement, en effet, il y a de très fortes disparités entre les Etats membres. Certains ont accès aux médicaments innovants dans les six mois suivant leur approbation par l’Agence européenne des médicaments (EMA), alors que d’autres, en particulier les pays de l’Est, doivent attendre trois ou quatre ans, voire ne jamais y avoir accès.

Afin de mettre un terme à cette situation, la Commission européenne veut créer un «marché unique des médicaments» et propose de réformer le système de la protection réglementaire. Ce système – complémentaire à celui des brevets – offre aujourd’hui une protection de dix ans aux groupes pharmaceutiques; pendant cette durée, aucune copie générique ne peut être mise sur le marché. La Commission propose une formule modulée: elle réduit de deux ans la période d’exclusivité, qui passera ainsi à huit ans, mais une rallonge de deux ans pourra être accordée aux sociétés pharmaceutiques si elles lancent leurs nouveaux produits dans tous les Etats membres. Ce changement devrait augmenter le taux d’accès de 15%, ce qui signifie «que 67 millions de personnes supplémentaires dans l’Union européenne (UE) pourraient potentiellement bénéficier d’un nouveau médicament», estime la Commission. D’autres rallonges pourront être validées si le nouveau médicament répond à un besoin médical non satisfait, si des essais cliniques comparatifs sont menés ou si une nouvelle indication thérapeutique est développée. Au total, une société qui cumulerait tous ces bonus pourrait obtenir une protection de douze ans.

La Commission européenne n’a pas la compétence pour fixer les prix des médicaments, qui sont du ressort des autorités nationales. Indirectement cependant, sa proposition de réforme devrait permettre aux copies génériques, moins chères, d’arriver plus vite sur le marché. L’Exécutif souhaite simplifier les procédures d’enregistrement d’un médicament, l’EMA disposerait ainsi de cent quatre-vingts jours, au lieu de deux cent dix, pour réaliser une évaluation.

Lutter contre les pénuries

Autre objectif: lutter contre les pénuries. La Commission propose d’élargir le mandat de l’EMA à la gestion des pénuries et à la sécurité de l’approvisionnement en médicaments critiques. Une liste de ceux-ci à l’échelle de l’UE sera établie, tandis que les industriels deLa Commission européenne veut lutter contre les pénuries de médicaments VINCENT MALAGUTI Entre 1982 et 2019, Jean-Claude Biver participe au redressement de plusieurs marques horlogères (Blancpain, Omega, TAG Heuer, Zenith et Hublot). Au cours de ces périodes successives, il traverse plusieurs crises, et s’en relève plus fort: il voit une opportunité dans chaque difficulté. De nombreuses inventions sont nées au cours des crises, a-t-il rappellé lors du dernier Forum de l’innovation Forward organisé par Le Temps. La montre à bracelet durant la Première Guerre mondiale a par exemple été développée pour les soldats Faire de la crise une alliée vront signaler plus rapidement ces pénuries et établir des plans de prévention. La Commission pourra adopter des mesures juridiquement contraignantes. Le problème de la dépendance de l’Europe à la Chine et à l’Inde pour son approvisionnement en médicaments n’est en revanche pas traité dans le projet.

Dernier défi: la résistance aux antibiotiques, considérée comme l’une des trois principales menaces pour la santé dans l’UE. Elle est responsable de plus de trente-cinq mille décès chaque année en Europe. Pour inciter les entreprises à investir dans ce domaine peu lucratif, la Commission a imaginé un système de «bons»: les entreprises qui mettront sur le marché un antibiotique plus performant recevront un bon qui leur offrira une année de protection régulatoire additionnelle; elles pourront l’utiliser pour n’importe quel médicament ou le vendre à une autre entreprise.

«Nos propositions visent à trouver le juste équilibre entre la promotion de l’innovation et l’accès des patients à des médicaments abordables dans toute l’UE», a résumé le commissaire Margaritis Schinas. Le projet va maintenant être soumis au Parlement européen et au Conseil. Assurément, la bataille promet d’être rude.

Réactions négatives

L’industrie pharmaceutique a d’ores et déjà réagi très négativement, estimant que le projet pénalisait l’innovation en affaiblissant le cadre de la propriété intellectuelle. «Une protection solide de la propriété intellectuelle est la base de l’innovation médicale», insiste Nathalie Moll, directrice générale de la Fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques. Une inquiétude partagée par Interpharma, qui s’interroge sur les conséquences de cette réforme pour la Suisse: «De nouveaux obstacles risquent d’apparaître qui retardent l’accès aux médicaments innovants en Suisse ou rendent plus difficile l’exportation de médicaments depuis la Suisse». L’association pointe également le problème des accords bilatéraux, qui ne sont plus mis à jour.

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