La compensation du CO2, un concept contesté 4/5

Pierre Cormon
Publié vendredi 17 septembre 2021
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#Compensation «On ne peut pas se dire climatiquement neutre en achetant des compensations»

Augustin Fragnière fait partie des chercheurs ayant attiré l’attention sur les problèmes du marché de la compensation dès les années 2000. Chef de projet au Centre de compétences en durabilité de l’Université de Lausanne, il continue à s’intéresser au sujet.

Des entreprises et des organismes s’affirment climatiquement neutres après avoir réduit leurs émissions et compensé le solde. Cela vous paraît-il justifié?

Non. La définition de la neutralité carbone, pour les scientifiques, est différente de celle en vigueur dans le monde de l’entreprise et de la compensation. Pour les scientifiques, elle correspond à un total de zéro émission nette. Quand on aura réduit suffisamment nos émissions à l’échelle de la planète, c’est-à-dire de l’ordre de 95%, le solde pourra être équilibré avec des projets de capture du CO2 – pour autant qu’ils soient efficaces. Pour y parvenir, il faut suivre une trajectoire clairement définie de réduction des émissions et ne faire intervenir les projets de capture du CO2 que de manière subsidiaire. Certains chercheurs estiment que la neutralité climatique n’est un concept applicable qu’à l’échelle d’un pays ou de la planète. Or, dans le monde des entreprises et de la compensation, on estime que pour être climatiquement neutre, il suffit d’acheter des compensations pour les émissions qu’on n’est pas parvenu à supprimer.

Quel est le problème?

Pour parvenir à la neutralité climatique telle que la définissent les scientifiques, il faut que toutes les émissions soient réduites d’au moins 95%, ce qui n’est pas le cas lorsqu’elles sont compensées. La mise en œuvre des politiques de neutralité climatique souffre de nombreuses lacunes. A l’échelle d’une entreprise, les trois étapes classiques sont: calculer les émissions, les réduire et compenser le solde. Il n’existe de critères objectifs fondés sur la science pour aucune d’entre elles. De plus, lorsqu’un organisme se déclare climatiquement neutre, on ne sait souvent pas comment ses émissions ont été calculées, quelle part est due à de véritables efforts de réduction de CO2 et quelle part à des compensations. C’est la porte ouverte au greenwashing. Enfin, il existe deux types de compensation très différents. Le premier consiste à aider d’autres acteurs à réduire leurs propres émissions, le second à séquestrer du carbone. Seul le second pourrait éventuellement, à certaines conditions strictes, correspondre à la définition scientifique de la neutralité climatique.

Les lacunes de la compensation sont connues depuis longtemps. Pourquoi persistent-elles?

La logique institutionnelle pousse à la complaisance. On a mis ce système en place, on a envie qu’il fonctionne et on se convainc que c’est le cas. Le marché volontaire a mis en place des processus de certification, mais n’a pas de régulateur. Tous les acteurs ont intérêt à ce que l’on vende des crédits. Il existe donc clairement un conflit d’intérêt. Certains acteurs sont assurément de bonne foi et pensent que compenser est toujours mieux que de ne rien faire, mais je pense que la logique même de la compensation doit être complétement transformée.

Comment?

Une bonne manière de corriger les défauts de la compensation tout en en conservant les avantages serait de maintenir le financement de projets de protection du climat via la vente de crédits, mais sans les associer à une prétention de neutralité ou à une prétendue annulation de l’impact de nos émissions. Certaines entreprises ont participé à un groupe de réflexion en France, la Net zero Initiative, auquel j’ai également pris part. Cette initiative propose un tableau de bord à l’intention des entreprises, qui distingue trois choses actuellement mélangées: la réduction de ses propres émissions, les mesures permettant d’aider d’autres acteurs à réduire les leurs et les mesures de séquestration des gaz à effet de serre. On s’assigne des objectifs distincts pour chacun de ces trois piliers. L’évaluation est également faite de manière séparée: il n’est pas possible de compenser le mauvais résultat d’un des piliers par le meilleur résultat d’un autre. Avec cette démarche, les entreprises renoncent à se déclarer climatiquement neutres. Elles affirment plutôt qu’elles contribuent à la neutralité carbone. Décathlon, Groupe Orange, Generali et la RATP, notamment, ont participé aux réflexions. C’est une voie que j’estime beaucoup plus prometteuse que l’approche actuelle.

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