La décoration d’intérieur, un enjeu climatique

Tapis, tapisseries, rideaux, tentures contribuent à garder la chaleur intérieure en hiver.
Tapis, tapisseries, rideaux, tentures contribuent à garder la chaleur intérieure en hiver.
Pierre Cormon
Publié vendredi 09 juin 2023
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#Décoration intérieure Ses éléments peuvent contribuer à chauffer ou à rafraîchir un bâtiment de manière écologique, argumente l’architecte Philippe Rahm dans un essai.

Pourquoi, jusqu’au début du XXème siècle, décorait-on les maisons avec des tapis, des tapisseries, des dorures, des rideaux? D’abord pour une raison pratique: réguler la lumière et le climat intérieur, dans des bâtiments qui étaient alors des passoires thermiques mal éclairées. «Un tapis servait alors à ne pas avoir froid aux pieds, une tapisserie à isoler thermiquement les murs et à retenir la chaleur», explique l’architecte suisse Philippe Rahm dans Le style anthropocène, un petit essai aussi passionnant que bien écrit. «Les cristaux des lustres, comme les miroirs ou les dorures, démultipliaient le faible éclairage solitaire des bougies et des fenêtres.»

Le chauffage central, l’éclairage électrique et l’air conditionné ont permis à la décoration de s’affranchir de ces considérations utilitaires en régulant la température et la lumière de manière bien plus efficace. «On a pu décrocher tapisseries et rideaux qui préservaient si modestement du froid, replier les tapis et les paravents, ranger les chandeliers qui apportaient une si faible lumière», poursuit l’auteur. «A quoi servirait encore désormais une tapisserie face à un radiateur dans lequel circule de l’eau brûlante, produite en continu par une chaudière alimentée en charbon ou en fioul?»

Minimalisme

C’est alors que s’est imposé un nouveau style épuré, minimaliste, tant dans la décoration que dans l’architecture. «L’ornement est un crime», déclarait l’architecte autrichien Adolf Loos en 1908. Cette conception se reflète dans l’architecture du Bauhaus, de Le Corbusier ou de Mies Van der Rohe, qui privilégient le dépouillement. Elle est devenue largement dominante. Quant à la décoration, elle a été reléguée à un rôle secondaire, dépourvu de toute utilité pratique.

«La célèbre Edith Farnsworth House, érigée en 1950 près de Chicago, symbolise ce courant», explique Philippe Rahm dans T, le magazine du quotidien Le Temps. «Entièrement vitrée, portée par de fines colonnes, c’est une habitation transparente, comme évanescente. Mais si ce style épuré est possible, c’est parce qu’au sol, on trouve des serpentins qui diffusent la chaleur produite par le chauffage central au fioul.»

Esthétique carbonée

Bref, nos conceptions esthétiques de l’architecture et de la décoration sont nées de notre consommation d’énergies fossiles. «Au XIXème siècle, la population aurait trouvé ce style épuré affreux parce qu’il aurait été synonyme de froid», ajoute Philippe Rahm.

La prise de conscience du dérèglement climatique change la donne. Nous voulons nous défaire de notre dépendance aux énergies fossiles. Dans le bâtiment, la réflexion porte cependant presque exclusivement sur le bâtiment lui-même.

Or, la décoration peut contribuer à limiter les émissions de CO2, de manière simple et rapide, plaide l’architecte. «Si le style moderne du XXème siècle, éclairci et épuré, était la conséquence des énergies carbonées, à travers un gaspillage sans limite des ressources et de l’énergie, la décarbonisation du bâtiment pourrait induire un nouveau style décoratif propre au XXIème siècle. Celui-ci serait déterminé par la performance thermique, l’empreinte carbone des matériaux et la nécessité de produire des intérieurs frais en été.» Philippe Rahm l’a baptisé le style anthropocène.

A la carte

Pour cela, pas de solutions toutes faites, comme au XXème siècle, où le chauffage et la climatisation permettaient de construire des bâtiments de même style sur toute la planète. «Ce sont les climats et les saisons qui vont faire varier l’esthétique décorative: il n’y aura plus de solution universelle mais des solutions décoratives spécifiques, géographiquement localisées, pour avoir plus froid en été ou sous les tropiques, plus chaud en hiver ou plus près des pôles», écrit Philippe Rahm.

Solutions passives

«Nous envisagerons les moyens de nous réchauffer avec des solutions décoratives passives (de type tapisserie, tapis, paravent, etc.) baissant l’usage des radiateurs. Nous chercherons des solutions passives pour se rafraîchir en été de type tapisserie réfléchissant les infrarouges, sol à haute effusivité (marbre, métal), voilage à baisse émissivité, etc., dans l’optique de se passer d’air conditionné (ou d’en réduire l’utilisation future).» La décoration pourra varier au cours de l’année, en fonction du passage des saisons. Elle sera fabriquée de manière à réguler la température. On peut ainsi fabriquer des rideaux renvoyant la chaleur du soleil vers l’extérieur en été, ou de tapis spécialement conçus pour que l’on se rafraîchisse à leur contact.

Décoration antivirus

La décoration peut aussi jouer un rôle sanitaire. «Le cuivre ou le laiton sont virucides, c’est-à-dire que les virus de type corona ne survivent pas plus de quelques minutes sur cette matière», remarque l’architecte. «Nous proposons donc que toutes les poignées de portes et les mains courantes soient en laiton.» L’essai se termine par un catalogue de solutions. Reste à les mettre en œuvre. «Nous allons le proposer dans les années qui viennent», communique le bureau Philippe Rahm architectes. 

Philippe Rahm, Le style anthropocène, HEAD Publishing, 108 pages. Le livre peut être commandé (17 francs) ou son PDF téléchargé gratuitement à l’adresse head-publishing.ch/le-style-anthropocene.

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