La formation continue est essentielle et vertueuse

Giovanni Ferro-Luzzi: «La formation continue est essentielle et les pouvoirs publics devraient adopter davantage de mesures incitatives, tant son effet est vertueux».
Giovanni Ferro-Luzzi: «La formation continue est essentielle et les pouvoirs publics devraient adopter davantage de mesures incitatives, tant son effet est vertueux». Photo HEG Genève
Flavia Giovannelli
Publié jeudi 13 février 2025
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#métiers Entretien avec Giovanni Ferro-Luzzi, professeur d’économie à l’Université de Genève et à la Haute école de gestion et directeur de l’Institut de recherche appliquée en économie et gestion.

Alors que le monde du travail évolue rapidement, quels sont les impacts les plus marquants sur la reconnaissance des qualifications professionnelles?
La rapidité des bouleversements que nous connaissons dans le monde du travail modifie également les attentes relatives aux diplômes. Les certificats fédéraux de capacité (CFC) ou les diplômes académiques supérieurs constituent une porte d’entrée. Pour les recruteurs, leur valeur est maximale dans les deux années qui suivent leur obtention. Par la suite, le diplôme conserve deux fonctions principales: attester d’un niveau de connaissances à un moment donné et démontrer une capacité à se former sur un plan général. Ce deuxième critère permet aux employeurs de mesurer la motivation d’investissement personnel sur le long terme.

Pensez-vous que tout le monde sera, tôt ou tard, confronté à l’obsolescence de son diplôme initial? Avec quelles conséquences?
La question de l’obsolescence se pose, mais avec des effets différents selon les professions. Par exemple, un CFC de mécanicien datant de plus de vingt ans ne prépare pas à la réparation d’un véhicule électrique, d’où la nécessité d’une mise à jour. En informatique, un diplôme de programmeur doit être encore plus récent, car les langages de programme changent très vite. Cependant, certaines professions permettent des carrières très variées à partir d’un même diplôme. Par exemple, un médecin FMH peut exercer longtemps en tant que médecin de famille, tout comme un paysan traditionnel peut coexister avec un agriculteur formé aux nouvelles technologies, deux parcours bien différents.

Pourquoi le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation met-il à jour chaque année la liste des métiers reconnus par un apprentissage?
Cette liste correspond à une logique de terrain. Certains métiers disparaissent faute de demande, tandis que d’autres émergent, imposant une adaptation des formations. Pour autant, cela ne dit pas tout. Des professions devenues rares sont aujourd’hui très recherchées, comme certains métiers d’art ou d’artisanat. On ne voit plus autant de jeunes dans ces domaines, car ils leur paraissent moins attractifs, donc la demande baisse. Mais les professionnels encore en activité peuvent tirer leur épingle du jeu. Cela pose toutefois un problème de relève et de capacité de former. Cette mise à jour met en évidence la tendance à multiplier les formations de plus en plus spécialisées, avec un risque d’induire de la confusion ainsi qu’un risque lorsque le coût de maintien devient trop élevé.

Quel est l’impact sur les trajectoires professionnelles?
Des métiers solidement établis intègrent l’innovation pour supprimer des tâches pénibles et répétitives, ce qui modifie les compétences attendues et se reflète dans les formations. Ainsi, un jardinier n’est plus nécessairement sollicité pour tondre le gazon, car un robot peut s’en charger, tandis qu’un paysagiste ou un horticulteur apporte une plus-value pour le choix et l’entretien des plantes.

La formation continue est-elle la clé pour tout le monde?
Elle est essentielle, et les pouvoirs publics devraient adopter davantage de mesures incitatives tant son effet est vertueux. Actuellement, il est paradoxal de constater que les professionnels les mieux établis et les plus motivés sont aussi les plus nombreux à s’engager dans la formation continue. En revanche, les travailleurs moins qualifiés attendent d’y être contraints, parfois en raison d’un passé scolaire peu agréable ou de contraintes de temps. Ce qui devient une cause supplémentaire de stress.

Comment changer cela?
Il faut sensibiliser tous les acteurs, avec une approche tripartite impliquant l’Etat, les employeurs et les employés. Il est essentiel de proposer de financer des formations tout au long du parcours professionnel et de permettre de libérer du temps pour la formation des collaborateurs. Tout le monde y gagne.

Comment la Suisse s’adapte-t-elle à la reconnaissance des qualifications?
La Suisse dispose d’un système dual très envié, qui permet d’acquérir des connaissances sur le terrain parallèlement à une formation académique. L’offre en matière de formation est impressionnante, mais les mises à jour restent parfois lentes, notamment en raison du processus tripartite dans l’élaboration des programmes et de l’harmonisation entre les trois régions linguistiques pour les diplômes fédéraux. Il arrive ainsi que des formations soient à peine révisées qu’elles semblent déjà en retard. Mais ce décalage est un moindre mal.

Face à la pénurie de main-d’œuvre dans certaines professions, ne va-t-on pas revoir les exigences à la baisse?
Je ne pense pas, pour plusieurs raisons. D’une part, les recruteurs savent généralement interpréter les compétences associées à un diplôme, même obtenu hors de notre système. D’autre part, il est dans l’intérêt de tous de maintenir un haut niveau de qualifications, même face aux tensions du marché de l’emploi.

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