La technologie pour ouvrir les marchés financiers aux PME
Pierre Cormon
Publié mardi 12 décembre 2023
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#Standards financiers Une coalition d’acteurs de la finance suisse définit des standards visant à tirer profit des nouvelles technologies pour baisser le seuil d’entrée sur les marchés financiers.
Vous voulez lancer un emprunt obligataire? Inutile d’y penser si c’est pour lever une somme inférieure à cinquante ou cent millions de francs. Vous voulez lever des capitaux en bourse? Pour moins d’une centaine de millions de francs, cela n’en vaut pas la peine. La barrière d’entrée dans le monde de la finance traditionnelle est très élevée.
Les nouvelles technologies (blockchain, actifs numériques, etc.) permettent de réaliser des opérations similaires pour des montants beaucoup plus bas, de l’ordre de quelques millions de francs. Il faut cependant être vigilant. Le marché compte une multitude d’acteurs, avec des degrés de sérieux variables. Les jetons digitaux sont parfois utilisés dans le cadre d’opérations illicites comme le blanchiment d’argent.
Sûrs et accessibles
Bref, on dispose d’une solution sûre, mais hors de portée de la grande majorité des entreprises, et d’une solution plus accessible, mais pas toujours sûre. Proposer des outils à la fois sûrs et accessibles pour les PME: c’est le but qu’une coalition de grands acteurs suisses tournant autour de la finance s’est donné. Banques, études d’avocats, Haute écoles, sociétés technologiques et financières se sont groupées au sein d’une association, la Capital Markets and Technology Association (CMTA)1.
Le travail de la CMTA consiste essentiellement à élaborer et à définir des standards. Cela a deux grands avantages. «Les standards permettent à tous les acteurs de la branche de travailler de la même manière, plutôt que de réinventer la roue chacun dans son coin», explique Ariel Ben Hattar, secrétaire du Comité exécutif de la CMTA, avocat et associé de l’étude Lenz & Staehelin, l’une des initiatrices du projet. Les échanges deviennent beaucoup plus faciles et les coûts de développement baissent.
Le facteur confiance
Deuxième avantage: «Les standards permettent de créer de la confiance», relève Fedor Poskriakov, secrétaire général de la CMTA, avocat et associé de l’étude Lenz & Staehelin. Si un client sait que sa banque réalise des opérations de finance non traditionnelle avec un système testé et approuvé tant technologiquement que juridiquement par l’ensemble de la branche, il y aura plus volontiers recours.
La CMTA profite de la législation très favorable de la Suisse, qui permet de lier une action à un jeton numérique pouvant être échangé sur une blockchain: qui achète ou vend le jeton achète ou vend l’action du même coup. Elle a déjà publié plusieurs standards sur la lutte antiblanchiment, la garde des actifs numériques, la tokenisation d’actions ou les prospectus pour offrir publiquement des actions tokenisées.
Test réussi
Un test très important (lire l’encadré ci-contre) a eu lieu en fin d’année dernière. Il a permis d’échanger des produits financiers sous forme de jetons numériques et en francs suisses, sur BX Swiss, une bourse agréée par la FINMA - l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers. La transaction s’est déroulée de manière beaucoup plus rapide qu’avec la procédure actuellement utilisée – environ trois heures contre deux jours. En supprimant les intermédiaires, la solution devrait permettre de faire baisser sensiblement les coûts de transaction.
Le but de la CMTA n’est cependant pas de remplacer les infrastructures des marchés traditionnels. Elle veut plutôt ouvrir l’accès aux marchés des capitaux à un nombre d’acteurs beaucoup plus élevé. A l’avenir, les emprunts obligataires et les émissions d’actions pourraient être lancés pour lever des sommes de l’ordre de quelques millions de francs. Pour susciter la confiance, la CMTA veut mettre sur pied un mécanisme de certification des établissements appliquant ses standards.
Quelques années
Quelques années seront sans doute nécessaires pour que le système se généralise. Le coût des opérations sur la blockchain, actuellement élevé, devra baisser. «Des solutions se dessinent en ce sens; je ne pense pas que ne soit un obstacle», commente Ariel Ben Hattar.
Il faudra également adapter toute l’infrastructure de la finance. «Les équipements ont un rythme de renouvellement assez lent», continue-t-il. «Comme la construction d’une nouvelle voie d’autoroute, cela ne se fait pas du jour au lendemain.» Initialement pensées pour correspondre aux exigences, notamment légales, de la place suisse, les standards développés par la CMTA pourraient être adoptées ailleurs. Singapour, notamment, s’intéresserait aux projets suisses. «Mais attention!», insiste Fedor Poskriakov. «Ce n’est pas parce que l’on émet des titres sous forme de jetons numériques que les investisseurs se précipiteront pour les acheter. Pour trouver des investisseurs, il faut soit déjà disposer d’une communauté, soit se donner les moyens d’aller les chercher.»
1On y trouve notamment l’étude d’avocats Lenz & Staehelin, la banque Swissquote, l’éditeur de logiciels bancaires Temenos (les trois membres fondateurs), UBS, la Banque Pictet, la Haute école de gestion de Genève, la bourse régulée BX Swiss ou la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie.
Plus souple, tout aussi sûr
Une transaction traditionnelle portant sur des produits financiers (par exemple des actions) suit un processus complexe. Il implique plusieurs acteurs, afin d’éviter qu’une partie verse l’argent ou cède les produits, mais ne reçoive pas son dû en échange. Une chambre de clearing doit vérifier que la banque de l’acheteur dispose de la somme nécessaire à la transaction, un dépositaire central que le vendeur dispose des produits. Ce n’est que lorsque ces vérifications ont été faites que la transaction a lieu. Cela se fait généralement le deuxième jour ouvrable après que l’ordre ait été passé.
«Techniquement, on pourrait faire cela plus rapidement, mais il n’y a pas de vraie pression en ce sens», estime Fedor Poskriakov. «Tout le monde se satisfait du système actuel.» Il permet par exemple de réaliser de multiples opérations d’achat (par exemple pour cent mille francs) et de vente (par exemple pour nonante mille francs) très rapidement et de ne régler que le solde (dix mille francs dans ce cas) plus tard. «Si l’on devait payer en temps réel toutes les transactions effectuées, où que ce soit, il n’y aurait pas assez de liquidités dans le monde», relève Fedor Poskriakov.
Sans intermédiaire
Le test réalisé par la CMTA se passe des intermédiaires du système traditionnel. Les jetons correspondant aux titres et à leur paiement ont été transférés dans un registre (dit registre distribué) sur la blockchain Ethereum par les banques du vendeur et de l’acheteur. Quand les conditions de la transaction ont été réunies, elle a été déclenchée automatiquement par un petit logiciel informatique, un smart contract.
De telles opérations avaient déjà été réalisées ailleurs dans le monde, en cryptomonnaies. La grande nouveauté du test de la CMTA consiste dans le fait que la transaction a été faite en francs suisses, grâce à un logiciel (DLT2Pay de la société targens) et à un smart contract (Delivery versus Payment, DvP), créé pour l’occasion. Il fournit un pont entre deux mondes jusque-là très séparés.
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