La transition énergétique sera ralentie par la disponibilité des métaux

Il faudrait ouvrir l’équivalent de dix-huit fois la mine de cuivre d’Escondida, la plus grande au monde, pour atteindre les objectifs de 2035.
Il faudrait ouvrir l’équivalent de dix-huit fois la mine de cuivre d’Escondida, la plus grande au monde, pour atteindre les objectifs de 2035. commons.wikimedia.org/wiki/File:Escondida_Mine_Chile_(ASTER).jpg
Pierre Cormon
Publié lundi 15 janvier 2024
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#Extraction minière Trouver de nouveaux gisements et obtenir l’autorisation de les exploiter prend des années. Or, le pipeline de projets est insuffisant pour respecter les accords de Paris.

Du cuivre, il y en a bien assez sur terre pour réaliser la transition énergétique au rythme prévu par les accords de Paris, qui visent à contenir le dérèglement climatique. Du lithium, du cobalt, des terres rares ou du zinc aussi. Le pipeline de projets est cependant bien trop mince pour tenir ces engagements, à moins d’une rupture technologique majeure. C’est ce qu’affirme Lluís Fontboté, spécialiste de l’industrie minière et professeur honoraire au Département des sciences de la Terre de l’Université de Genève.

Les technologies associées à la transition énergétique sont boulimiques en métaux – tout comme celles associées à la numérisation. Un véhicule électrique en comprend six fois plus qu’un véhicule à combustion, un parc éolien en mer environ dix fois plus qu’une centrale à gaz de puissance équivalente (voir infographie). Un téléphone portable en comprend des dizaines de sortes, alors que, jusqu’à la révolution industrielle, l’humanité n’en exploitait que neuf. Une éolienne typique contient deux tonnes de terres rares. Le phénomène ne se limite pas aux métaux. Tout matériaux confondus, une installation photovoltaïque consomme trente-trois fois plus de matière qu’une centrale à gaz, à puissance égale, a calculé le chercheur multidisciplinaire Vaclav Smil.

Deux fois plus

Les besoins en cuivre pourraient donc être multipliée par trois entre 2020 et 2040, en nickel par dix-neuf, en cobalt par vingt et un, en lithium par quarante-deux, estime l’Agence internationale de l’énergie. Au total, il faudra extraire deux fois plus de métal en 2050 qu’aujourd’hui, estime Lluís Fontboté.

Sur un plan géologique, les ressources minérales dépassent de loin les besoins à long terme, estiment les géologues. «Nous n’avons exploré que les couches les plus superficielles», explique Lluís Fontboté. «Il n’y a pas de raisons géologiques qu’on ne trouve pas autant de métal plus bas. Il est cependant plus difficile à explorer et à extraire.»

Avancées technologiques

Les avancées technologiques permettent aussi d’exploiter des gisements ayant une teneur en métaux de plus en plus basse, qui n’auraient pas été rentables auparavant. De plus, à partir d’un certain stade, des équipements liés à la transition énergétique arriveront en fin de vie et leurs métaux recyclés constitueront une nouvelle ressource.

Cela ne suffit cependant pas. Le cuivre, premier métal utilisé par l’humanité avec l’or, est une substance clé de la transition énergétique. Or, ouvrir une nouvelle grande mine de cuivre demande de quinze à vingt ans, phase d’exploration comprise. Il suffit donc d’examiner les projets miniers actuels pour connaître la production maximale vers 2040.

Les projets annoncés dans le monde se montent à environ six cent milliards de dollars jusqu’en 2030, tous métaux confondus, selon le think tank Energy Transitions Commission. Or, il en faudrait environ deux fois plus, dont la moitié rien que pour le cuivre, afin de respecter les accords de Paris, a calculé Lluís Fontboté. «Le problème est particulièrement aigu pour le cuivre», estime-t-il. «Pour les autres métaux, on peut trouver des solutions.»

Pourquoi cette frilosité des investisseurs? D’abord parce que les projets miniers demandent du temps. «Les processus ne sont pas plus rapides dans les pays en développement,», précise Lluís Fontboté.

Oppositions

Les projets font face à de fortes oppositions, qui retardent les retours sur investissement, quand ils ne les font pas échouer. Les résistances ne sont généralement pas moindres dans les pays en voie de développement. «Les habitants y ont souvent moins confiance dans la capacité des autorités à forcer les exploitants à éviter les nuisances environnementales», constate Lluís Fontboté. «Il est plus facile d’ouvrir une mine en Finlande qu’en Equateur ou au Pérou.»

De plus, l’exploration coûte de plus en plus cher, car les sites les plus propices ont déjà été exploités. «Il faut aller de plus en plus profond», résume Lluís Fontboté. «Pendant les deux dernières décennies, le coût moyen de la découverte d’un nouveau gisement a été multiplié par quatre en termes réels.» Plus les teneurs en métal sont basses, plus il faut utiliser d’intrants (eau, énergie) pour l’extraire. «Et ce, de manière exponentielle», a souligné Aurore Stephant, ingénieure géologue minier, et cofondatrice de l'association SystExt, lors d’une conférence organisée par l’Université de Lausanne le 26 septembre 2023.

Or, les prix stagnent, voire baissent. Ceux du cuivre n’ont pas fondamentalement évolué depuis les années 1950. A plus court terme, de nombreuses incertitudes exercent une pression à la baisse (les batteries au sodium remplaceront-elles celles au lithium? L’économie chinoise rebondira-t-elle?)

Plus pour moins

Bref, il faut investir davantage pour extraire des ressources plus difficiles à atteindre, sans pouvoir les vendre à meilleur prix et sans visibilité sur la demande à moyen terme.

Les investisseurs ne se précipitent donc pas, d’autant plus que l’extraction minière ne jouit pas d’une très bonne image. Un chief investment officer aura plus de facilité à justifier le financement d’un parc photovoltaïque que des mines qui rendent sa réalisation possible.

Quant au recyclage, il est freiné par le fait que les métaux sont souvent mélangés. «Il y a plus de trois mille alliages d’aluminium différents, et cela change tout le temps», relève Aurore Stephant. «Les recycleurs ne peuvent pas tous les traiter.»

Déficit

Tous les discours sur la transition énergétique n’ont donc pas empêché les investissements de baisser ces dernières années, ce qui risque de la freiner considérablement. «Le système industriel actuel n’a aucune idée de sa dépendance aux minéraux», conclut Simon Michaud, Senior Research Fellow à l’Université de Queensland (Australie). «Nous avons utilisé l’idéologie pour tenter de résoudre nos problèmes, sans confronter les chiffres à la réalité.»

Ce contexte joue sans doute un rôle dans les tensions que connaît le marché des matières premières: plusieurs pays ont décidé de restreindre l’exportation de certains métaux ou de sécuriser leur propre approvisionnement, alors que des industriels investissent directement dans des mines.

En attendant, la meilleure manière d’atténuer le déséquilibre reste la sobriété énergétique. Le seul kWh qui ne coûte rien est celui qu’on ne consomme pas, a-t-on coutume de dire. C’est également le seul qui ne nécessite pas d’infrastructure gourmandes en métaux.

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