Le bâtiment en route vers la circularité

Déchets de chantier: il faut des installations capables de traiter des matériaux. C’est la fonction de la nouvelle écoplateforme qui vient d’ouvrir au Lignon.
Déchets de chantier: il faut des installations capables de traiter des matériaux. C’est la fonction de la nouvelle écoplateforme qui vient d’ouvrir au Lignon.
Pierre Cormon
Publié lundi 01 décembre 2025
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#Déchets de chantier Genève recycle une bonne partie de ses déchets de construction, moins ses matériaux d'excavation. Une nouvelle installation permettra d'améliorer la situation.

Le secteur qui produit le plus de déchets, à Genève comme dans le monde? Le bâtiment, et de très loin. A Genève, il en génère plus de quatre fois plus que les ménages, les entreprises et les industries réunies (en tonnes). Soit près de l'équivalent de mille piscines olympiques en 2022.
Une partie est constituée de matériaux de démolition (béton, bois, ferraille, etc.). Une autre de matériaux d'excavation et de percement. Leur volume varie sensiblement d'une année à l'autre. «Il suffit qu'un grand chantier démarre et il s'accroît subitement», note Zoé Cimatti, cheffe du secteur des déchets au Service de géologie, sols et déchets du canton (GESDEC). La gestion de ces volumes pose un défi considérable. Ils doivent être valorisés autant que possible, selon la législation fédérale – comprenez: valorisés lorsque c'est techniquement faisable et économiquement supportable. Plus de 70% des matériaux de démolition a effectivement été recyclée à Genève en 2022. Le canton l'encourage. «Lorsque nous recevons une demande d'autorisation de construire pour une démolition et une reconstruction, nous exigeons que l'on utilise un volume de matériaux recyclés égal au volume démoli», explique Marc Piccino, ingénieur au GESDEC.
Un quart des matériaux de démolition part cependant en décharge. C'est notamment le cas de matériaux pollués, qu'on stocke dans des sites adaptés. Châtillon, seule décharge qui pouvait les accueillir à Genève, a fermé en 2022. Ils partent maintenant vers d'autres cantons, généralement par camion.
Quant aux matériaux d'excavation, ils sont plus difficiles à valoriser. «Lorsque l'on creuse, on tombe parfois sur une couche riche en gravier, qui peut être récupéré pour fabriquer du béton», explique Marc Piccino. «On trouve malheureusement souvent des matériaux riches en argiles ou en limons, dont on ne peut pas faire grand-chose». On utilise ces matériaux pour remblayer des gravières, des buttes antibruit ou des aménagements paysagers. Dans le meilleur des cas, on le fait sur le chantier même, afin d'éviter les transports. Les débouchés sont cependant limités et une partie croissante doit être envoyée hors canton – près de la moitié en 2022.

Traitement hors du canton

Pour ajouter à la difficulté, une partie croissante des matériaux d'excavation ne peut pas être utilisée telle quelle. «Les villes s'étendent sur d'anciennes zones industrielles, comme le secteur Praille-Acacias-Vernets», relève Joël Pythoud, directeur d'Ecosor, une entreprise de traitement des déchets de chantier. «Les sols y sont souvent pollués.» Il faut les traiter, généralement hors du canton.
Pollués ou pas, ces matériaux voyagent le plus souvent par la route, sur des distances qui peuvent atteindre une centaine de kilomètres.
Améliorer ce bilan demande une action à deux niveaux. Premièrement, il faut sensibiliser les acteurs de la chaîne de construction. «Les maîtres d'ouvrage, même publics, n'exigent pas forcément des matériaux recyclés», constate Zoé Cimatti. «Les architectes et ingénieurs, qui n'ont pas tous été formés à les utiliser, peuvent aussi être réticents à les employer.»

Nouvelle écoplateforme

Le canton et le secteur privé se sont alliés dès 2002 pour aller dans cette direction, avec le programme Ecomat. Les fabricants de béton proposent des produits incluant des granulats recyclés et conformes aux normes de la profession, ce qui facilite leur acceptation. Malgré ces efforts, du chemin reste à faire. «Nous menons un gros travail d'explication pour surmonter les réticences», confirme Mohamed Fitas, directeur de l'entreprise de construction Grisoni-Zaugg Genève. Il faut également des installations capables de traiter des matériaux. C'est la fonction de la nouvelle écoplateforme qui vient d'ouvrir au Lignon. Elle-même a été construite avec 100% de béton recyclé bas carbone pour les sols et 80% pour les murs, bien qu'ils doivent résister à des contraintes très fortes.


Un béton recyclé générant un quart d'émissions en moins

Les bétons recyclés permettent de préserver les ressources naturelles, mais ne sont pas toujours bons pour le climat. Si les graviers recyclés ne sont pas de la même qualité que les naturels, on compense en les liant avec davantage de ciment. Or, c'est ce dernier qui présente le principal impact climatique du béton: on estime qu'il est à l'origine d'environ 8% des émissions de CO2 mondiales. Ce n'est pas une fatalité. Le béton utilisé pour l'écoplateforme du Lignon combine béton recyclé et diminution des émissions de carbone. Les explications de Patrick Eberhard, CEO du groupe zurichois Eberhard Unternehmungen, partenaire du projet.

Vous avez produit sur le chantier un béton recyclé qui engendre moins de CO2 qu'un béton normal. De quoi s'agit-il?
Nous récupérons des matériaux de démolition et en extrayons le gravier et le sable. Nous les employons pour fabriquer du béton, avec du ciment bas carbone, que nous utilisons aussi peu que possible. Cela permet de diminuer les émissions de CO2 de 20%. La production d'un béton typique dégage environ deux cents kilos de CO2 par tonne, celui-ci cent soixante. Nous avons aussi injecté du CO2 dans les granulats utilisés pour construire l'écoplateforme du Lignon, ce qui a permis de diminuer les émissions de 5% à 8% supplémentaires.

Pourquoi ne pas systématiser l'injection de CO2 dans le béton?
Parce que c'est une technologie chère – environ mille francs par tonne de CO2 capté (contre soixante à quatre-vingts francs sur le marché des crédits carbone européen - ndlr). Notre ordre de priorité est différent. Il s'agit premièrement d'utiliser le minimum de ciment – c'est la mesure qui a l'effet le plus marqué. Deuxièmement, d'utiliser du ciment bas carbone. Avec des deux mesures, nous parvenons à produire du béton à prix compétitif. Injecter du CO2 n'a de sens que si l'on a déjà épuisé ces possibilités. Sur un bâtiment comme celui du Lignon, cela a renchéri le prix de construction d'environ 1%, pour capter vingt tonnes de CO2 (soit à peu près une fois et demie les émissions annuelles d'un habitant typique de la Suisse - ndlr). 


Une halle pour faire des déchets des ressources

Une dizaine d'années: c'est ce qu'il a fallu à l'entreprise Ebiox pour trouver la parcelle sur laquelle vient d'ouvrir l'écoplateforme du Lignon. Elle permet de traiter de septente-cinq mille à cent vingt mille tonnes de déchets de chantier par an. «Genève nous a toujours intéressés, car on y construit beaucoup, ce qui génère de grandes quantités de déchets», raconte Joël Pythoud, directeur de l'entreprise de Vufflens-la-Ville, spécialisée dans le traitement des déchets de chantier.
C'est en 2022 que la Fondation pour les terrains industriels a proposé une parcelle idéalement placée au Lignon, et reliée au rail. «Pour nous, c'était une condition sine qua non», ajoute Joël Pythoud. Il s'agit de la première installation de transbordement rail-route sécurisée capable d'accueillir des déchets de chantier fortement pollués dans le canton.
La nouvelle plateforme réunit deux entreprises. Une halle de quatre mille mètres carrés est exploitée par Grisoni-Zaugg. Elle est destinée aux matériaux peu ou pas pollués. «Nous sortons le maximum de fractions graveleuses pour les valoriser dans du béton, alors que le limon et l'argile peuvent être utilisés pour combler des tranchées de fouille», détaille Mohamed Fitas, directeur du groupe Grisoni-Zaugg, à Genève. L'autre halle, de deux mille mètres carrés, destinée aux déchets fortement pollués, est exploitée par Ecosor. Elle a été construite spécialement dans ce but: entièrement fermée, elle est dotée d'un sol imperméable et d'un système de traitement de l'air adapté aux polluants volatils. Elle est aussi adaptée à la prise en charge des tristement célèbres PFAS, surnommés les «polluants éternels».
Le système est financé par le maître d'ouvrage, qui doit payer pour se débarrasser de ses déchets. Ecosor ne jouit pas pour autant d'une rente de situation.  «Si nous sommes plus chers que la décharge, nous n'aurons pas beaucoup de clients», remarque Emile Loliée, chef de projet pour Ecosor. 
Les matériaux qui s'y prêtent sont dépollués à l'intérieur de la halle, pour minimiser les nuisances sonores et olfactives ainsi que les émissions de poussière. «Ils peuvent être traités de manière mécanique biologique ou chimique», poursuit Emile Loliée.
Le site ne peut en revanche pas effectuer de lavage, qui nécessite de très grosses installations. Les matériaux nécessitant un traitement de ce type, ainsi que certains matériaux hautement pollués, sont redirigés vers d'autres installations, si possible par le rail. La plupart se trouvent en Suisse, mais Ecosor envoie aussi des matériaux très pollués vers des fours à haute température en Europe du Nord. La présence d'industries lourdes a permis d'y développer des installations de pointe.
La nouvelle installation représente un accroissement sensible de la capacité de traitement du canton. Sa jonction au rail permet également de diminuer sensiblement les transports par camion. 

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