Le Brésil veut tourner la page des barrages miniers
Pierre Cormon
Publié vendredi 04 octobre 2024
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#Métaux Les désastres de 2015 et 2019 ont poussé le Brésil mieux se protéger contre le danger des barrages miniers. Plus facile à décréter qu’à mettre en œuvre.
Les ruptures des barrages de Mariana et Brumadinho ont provoqué un sursaut au Brésil. L’industrie minière a adopté la politique dite zéro dommage, qui vise à éviter tout atteinte aux personnes et à l'environnement. La législation a été renforcée, tant au niveau fédéral que de l’Etat. «C’est maintenant la plus stricte que je connaisse au monde», juge Evandro Moraes.
L’ouverture d’une nouvelle mine demande une étude extrêmement approfondie sur son impact possible sur la faune, la flore, le régime hydrologique, les populations, sa fin de vie, etc. Les barrages font l’objet d’une attention particulière. La technique de construction la plus dangereuse consiste à construire les digues en entassant les résidus séchés en plusieurs étapes, vers l’amont, sans structure porteuse (digues orientées amont, voir illustration ci-dessous). Elle a été interdite. «Le Chili et le Brésil sont les deux seuls pays du monde à l’avoir interdite», affirme Julio Cesar Nery Ferreira, directeur de la durabilité de l’Institut brésilien de l’activité minière (IBRAM), issue du secteur. «Il en reste de gigantesques dans des pays comme le Canada.»
Inquiétudes
La cinquantaine de digues orientées amont recensée dans le Minas Gerais devra être mise hors service d’ici à 2035. Ces opérations suscitent des inquiétudes. «On intervient sur des structures fragiles, à proximité d’autres structures fragiles, avec de nouvelles technologies sur lesquelles on n’a pas de recul», lance Daniela Campolina, co-coordinatrice du Groupe de recherche Education, activité minière et territoire de l’Université fédérale du Minas Gerais. «Nous mourons de peur.»
L’industrie minière estime ces craintes infondées et souligne que le pic du programme est déjà passé. L’industrie minière brésilienne cherche maintenant à tourner la page des barrages. «Il est devenu très difficile d’obtenir l’autorisation d’en construire et les entreprises privilégient d’autres méthodes», affirme Julio Cesar Nery Ferreira. Un procédé qui gagne du terrain consiste à sécher les résidus avant de les empiler. «Les tas sont bien plus stables, faciles à gérer et à désactiver», assure Julio Cesar Nery Ferreira. Des projets visent également à transformer les résidus en ressource, dans l’esprit de l’économie circulaire (lire l’encadré ci-dessous).
Risque imminent
Des décennies d’exploitation minière plus ou moins responsable ont cependant laissé un lourd héritage. «Nulle part au monde on ne trouve autant de barrages, aussi dangereux, vieux et proches les uns des autres», assure Daniela Campolina. Dans le seul Etat du Minas Gerais, trente et un barrages miniers ont été identifiés comme présentant un risque de rupture par les autorités. Trois d’entre eux sont considérés à risque imminent et doivent être contrôlés tous les jours de l’année. Des centaines d’habitants ont été évacués des zones à risque.
Le quadrilatère du fer se trouve dans une région densément peuplée. La ville historique de Congonhas est entourée d’une vingtaine de barrages miniers, dont l’un est considéré à risque imminent. Plusieurs exploitations se trouvent à proximité immédiate de Belo Horizonte, la capitale de l’Etat, dont l’agglomération compte près de six millions d’habitants. Ouro Preto, l’une des villes les plus touristiques du Brésil, est voisine de Mariana, où l’accident de 2015 s’est produit.
Incidents
Des incidents surviennent régulièrement. Une fuite contamine l’eau du réseau. Une compagnie est accusée d’exploiter clandestinement une mine qu’elle est censée devoir mettre hors service. Un tas de résidus inertes se liquéfie et glisse dans un barrage, le faisant déborder. La pluie érode un terrain à proximité d’une autre structure, faisant craindre pour sa stabilité et crée un mouvement de panique parmi les habitants. Une rivière connaît une crue en aval de barrages miniers et laisse derrière elle une boue à l’odeur suspecte, qui fait craindre une pollution sérieuse du lit de la rivière. «Mais même si l’on trouve des polluants, il est très difficile de prouver leur origine», note Lussandra Martins. «Nous devons faire attention en évoquant publiquement nos soupçons, pour ne pas être attaqués en diffamation.»
La surveillance des barrages de résidus est prioritairement la tâche de l’Agence nationale de l’activité minière. Elle souffre depuis longtemps d’un budget et d’un effectif largement insuffisants, ainsi que d’outils technologiques inadaptés, a constaté le Tribunal des comptes l’an dernier. Elle compte moins d’un inspecteur pour dix barrages miniers. Les contrôles sont essentiellement documentaires, sur la base des données fournies par les compagnies elles-mêmes.
Manque de moyens
«La surveillance des barrages est une activité très pointue et difficile, en raison du nombre considérable de variables dont il faut tenir compte pour établir un diagnostic de stabilité», estime Evandro Moraes. «Les contrôleurs ne parviennent pas à anticiper, ils interviennent toujours trop tard.»
Le gouvernement fédéral a promis d’augmenter les ressources de l’agence, mais elles sont difficiles à trouver, dans un budget fédéral étranglé par les dépenses liées, le poids des retraites, les dépenses clientélistes et les immenses besoins d’autres secteurs.
Or, tout indique que l’extraction minière va croître. La numérisation et la transition énergétique engendrent une demande de plus en plus élevée de métal. On estime qu’elle va doubler d’ici à 2050. Le Minas Gerais en profitera: les investissements miniers y sont en hausse, notamment en provenance de Chine. Le gouverneur, très favorable au secteur privé, veut stimuler l’extraction de lithium (l’Etat en abrite 8% des réserves mondiales). Il a aussi provoqué la controverse en relançant le dossier d’un projet de mine de fer gelé pendant une quinzaine d’années. Ses détracteurs craignent qu’elle ait un impact sur un aquifère alimentant Belo Horizonte – un scénario que l’entreprise qui porte le projet juge irréaliste.
Transformer les résidus en ressources
Transformer les résidus des mines en ressources: il s’agit d’une idée qui gagne du terrain. «Trois compagnies mènent actuellement des projets en ce sens au Brésil», relève Julio Cesar Nery Ferreira. Le géant minier Vale, impliqué dans les accidents de Mariana et Brumadinho, a commencé à vendre du sable issu du minerai de fer. Il peut être utilisé dans la construction, grâce à une méthode mise au point par l’Université de Genève. Le projet Rejeito zero (zéro rejet) vise pour sa part la boue des barrages de fer. Il s’appuie sur une technologie développée à l’Université fédérale du Minas Gerais par l’équipe d’Evandro Moraes. Les boues sont séchées, réduites à l’état de poudre et passées dans un four spécial. Le processus permet d’en tirer du fer, du quartz et de la pouzzolane, qui peuvent être valorisés de diverses manières: granulats pour la construction, sable industriel, boulettes pour enrichir les sols agricoles, tuiles, briques, ciment, etc. «Une mine peut être exploitée pendant dix ans, puis on peut passer dix ans à exploiter ses résidus, avant de recommencer», explique Evandro Moraes. «On peut ainsi exploiter une mine beaucoup plus longtemps sans devoir l’agrandir constamment.» L’approche va être testée dans la mine de fer Casa de Pedra, à Congonhas. Elle n’est cependant applicable qu’aux sites encore actifs. Traiter les anciens résidus poserait des problèmes économiques et exigerait une nouvelle procédure d’autorisation, qui risquerait de susciter l’opposition des populations voisines, estime le professeur.
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