#Cacao La Côte d’Ivoire œuvre pour une meilleure rémunération de ses planteurs et pour intégrer la chaîne de valeur mondiale de la fève, mais il lui faut jouer des coudes avec les puissantes multinationales.
L’explorateur français Arthur Verdier ne s’était pas imaginé qu’en introduisant les premiers plants de cacao dans le sud-est de ce qui deviendra en 1888 la Côte d’Ivoire, il lançait la future plaque tournante d’une industrie florissante. Imposé par les colons, le cacao est alors cultivé, sous la contrainte, par les populations locales qui en tirent un revenu – leur récolte est rémunérée moitié moins cher que celle du colon planteur – nécessaire pour s’acquitter de l’impôt, mais aussi pour se faire une place dans le nouveau monde de la consommation. A l’indépendance, le président Félix Houphouët-Boigny, médecin et riche planteur de cacao, y perçoit une opportunité pour le pays. C’est la course à l’augmentation de la production. Le cacao fait la fortune du pays jusqu’à la fin des années 1970; on parle de miracle ivoirien, à une époque où la Côte d’Ivoire se dote, à coup d’investissements massifs, de routes, de centres de santé, d’écoles et fait office d’oasis de prospérité et de paix en Afrique de l’Ouest.
La fin des années 1970 est marquée par l’effondrement des cours du cacao, privant l’Etat ivoirien de sa principale source de revenus et de devises. L’économie ivoirienne entre dans une grave crise. Cette période cristallise l’attention sur la forte chute des ventes de cacao, mais aussi sur la situation des planteurs, le premier et plus faible maillon de la chaîne de valeur de la filière. A la tête de plantations familiales, en moyenne de cinq hectares, les planteurs ivoiriens perçoivent une fraction du cours de la fève sur le marché international. L’Etat ivoirien fixe les prix d’achat «bord champ» au début de la grande campagne (début octobre) et de la petite campagne (début mars). Le gouvernement intervient dans le processus d’achat du cacao aux paysans à travers une centrale d’achat unique. Depuis la fin des années 1990, les multinationales du cacao ont la possibilité d’acheter directement la matière première auprès des paysans.
Les paysans, le maillon faible
Plus de la moitié d’un million de paysans ivoiriens de cacao vit dans une extrême pauvreté. Une situation qui ne s’améliore pas, les prix du cacao étant à un tiers de ce qu’ils étaient il y a quarante ans, selon l’Organisation internationale du cacao, qui groupe vingt-deux pays producteurs et vingt-neuf pays consommateurs. Le cacao est loin d’enrichir les paysans ivoiriens autant que l’Etat, qui en tire de 10% à 15% de son PIB, le tiers des recettes d’exportation et 10% des recettes publiques, mais qui, avec l’ensemble des pays producteurs, ne retient que 6% de la valeur mondiale générée par la filière. Les paysans, pour leur part, ne perçoivent au final que 3% de la richesse créée par le secteur du chocolat.
Le DRD, un espoir remis en cause?
Si, depuis 2012, le gouvernement ivoirien s’est engagé à faire en sorte que les agriculteurs perçoivent quelque 60% du prix CAF (prix d'un bien à la frontière du pays importateur, taxes de l'Etat, coût du fret et de l'assurance transport), le chemin pour améliorer les revenus des paysans reste long. Le véritable changement pourrait venir du Différentiel de revenu décent (DRD), mis en place en concertation avec les négociants et les industriels du cacao dans le cadre de l’Initiative Cacao Côte d’Ivoire–Ghana, pays qui représentent de 60% à 65% de l’offre mondiale.
Le DRD, officiellement entré en vigueur en 2020-2021, est une prime de quatre cents dollars versés par les négociants par tonne de fèves. Elle est conçue comme un supplément de revenu qui doit être directement reversé aux agriculteurs. Dans la pratique, le DRD, salué au départ avec un certain enthousiasme par toutes les parties prenantes du cacao, a du mal à passer. En avril 2021, dès la première saison, un collectif d’une trentaine d’organisations de la société civile conduit par Commerce Equitable France, un groupe de concertation et de représentation des acteurs français du commerce équitable, dénonce les multinationales. «Elles ont préféré freiner leurs achats et puiser dans leur stock et dans les stocks des ventes à terme de la bourse de New-York et de Londres, faisant pression sur les petits producteurs, qui se trouvent ainsi avec plus de cent mille tonnes de fèves de cacao invendues sur les bras», explique le collectif. Conséquence: avec la chute des cours, la Côte d’Ivoire réduit de 25% le prix d’achat des fèves pour la petite campagne. Las d’attendre de voir se concrétiser l’engagement des négociants et industriels, le cartel du cacao menace, dans un communiqué publié le 8 novembre 2022, «de prendre des mesures allant jusqu’à la suspension de tous les programmes de durabilité et l’interdiction d’accès aux plantations pour effectuer des prévisions des récoltes». Dernier épisode du bras de fer entre la Côte d’Ivoire et les négociants, les réticences de ces derniers à souscrire aux ventes par anticipation de la production de cacao de la récolte 2024-2025. Avec des cours de fèves actuellement en forte hausse du fait des conditions climatiques et des effets d’El Niño, le Conseil café cacao (CCC), un organisme public chargé de la gestion de la filière ivoirienne, dénonce de nouvelles manœuvres. Il pointe du doigt un chantage des négociants qui, en contrepartie du DRD, cherchent à imposer une baisse de la prime pays (une prime en lien avec la qualité des fèves ivoiriennes), grignotant ainsi un peu plus les revenus qu’en tire l’Etat ivoirien.
La carte du planteur, nouvel outil pour assurer la rémunération des paysans
Pour les paysans, la démarche politique est certes louable, mais l’histoire se répète. Dans le sud-ouest ivoirien, Kouadio Jean, planteur, n’en finit pas de se plaindre. «Le village est difficile d’accès. J’ai déjà un sac (soit environ 100 kilos – ndlr) de cacao séché. J’ai moi-même appelé des acheteurs et depuis deux semaines personne ne vient. Le jour où l’un d’eux le fera, il me proposera au mieux entre 700 FCFA (francs des colonies françaises d’Afrique – ndlr) et 800 FCFA (environ 1,2 euro – ndlr) au lieu de 1 000 FCFA (1,5 euro – ndlr) le kilogramme, comme fixé par le gouvernement. Entre laisser mon cacao pourrir entre mes mains et le brader, je n’ai pas beaucoup de choix», se résigne-t-il.
Face à des plaintes récurrentes, le CCC a lancé La carte du planteur. Cette carte biométrique à puce comprend les informations sur le planteur et sa plantation, tout en servant de carte bancaire. Ainsi, l’acheteur devra virer au paysan, via un terminal mis à sa disposition par le CCC, le montant correspondant au volume de cacao acheté au prix officiel. Le régulateur pourra alors, a posteriori, faire des vérifications à partir des transactions et des volumes déclarés avant exportation.
Augmentation des capacités de broyage
Après avoir misé sur une production toujours plus substantielle de fèves, la Côte d’Ivoire a fait le choix de changer son fusil d’épaule en 2010. Elle a affiché son objectif de limiter sa production autour de deux millions de tonnes et de mieux s’intégrer dans la chaîne de valeur mondiale.
L’un des piliers de cette stratégie est de promouvoir des acteurs locaux dans la filière d’exportation, qui tentent de se faire une place dans un secteur historiquement dominé par les multinationales. Le Groupement des négociants ivoiriens a obtenu du gouvernement en 2021 qu’il impose aux multinationales de réserver 20% de leurs contrats de vente à l’export à ses membres. Une avancée qui, en théorie, devrait contribuer à promouvoir des champions nationaux.
Mais la principale manifestation de cette ambition réside dans une série de mesures mises en œuvre afin d’inciter les multinationales à accroître leur capacité de broyage au niveau local et à attirer de nouveaux investissements. Le belgo-suisse Barry Callebaut et l’américain Cargill ont augmenté leurs capacités, tout comme le géant malaisien du cacao GCB Cocoa ou le singapourien JB Foods Limited.
Résultat, le pays a vu sa capacité de transformation passer de sept cent six mille tonnes en 2017 à neuf cent soixante-deux mille tonnes fin 2022, selon les chiffres officiels. Un volume qui représente un peu plus de 40% de la production et qui se rapproche de l’objectif de 50% fixé par le gouvernement d’ici à 2025. Le pays du cacao revendique désormais le statut de premier broyeur mondial de cacao devant les Pays-Bas. Au-delà du broyage qui permet de grapiller quelques points de valeur ajoutée, la Côte d’Ivoire tente tant bien que mal de se positionner comme fabricant de chocolat. Un projet encore embryonnaire avec peu d’acteurs, à l’image du français CEMOI, qui a installé son usine de chocolat en 2015. L’ambition est portée par des artisans locaux qui y ont vu une belle occasion de décupler la valeur des fèves.
L’un des symboles de cette approche à petite échelle est Axel Emmanuel, un ancien banquier qui a tout quitté pour se consacrer au chocolat. Avec comme nom de marque Le chocolatier ivoirien, il a développé un produit premium à partir de fèves certifiées, sélectionnées pour leurs caractéristiques gustatives, traitées par des coopératives de femmes, qu’il transforme dans sa petite fabrique à Abidjan. Il en sort des produits d’exception aujourd’hui exportés dans le monde entier.
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