Le concept d’expérience au cœur de l’économie

Les entreprises misent de plus en plus sur la qualité des interactions avec la clientèle, avant, pendant et après un achat.
Les entreprises misent de plus en plus sur la qualité des interactions avec la clientèle, avant, pendant et après un achat.
Grégory Tesnier
Publié vendredi 14 avril 2023
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#Expérience Mettre le client au centre n'est pas qu'un gadget marketing, mais une stratégie clé pour les entreprises.

Le concept «d’expérience» - client, collaborateur, digitale - se place au centre des démarches marketing, informatiques, de communication interne ou de politique des  ressources humaines. Pour faire la différence, les entreprises misent de plus en plus sur la qualité des interactions avec la clientèle, avant, pendant et après un achat. «L’expérience client» est centrale. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, de nombreuses organisations se soucient du bien-être de tous les employés et veillent à l’équilibre entre leurs vies privée et professionnelle, avec la volonté de fidéliser leur engagement. «L’expérience collaborateur» devient incontournable. Les achats se réalisent majoritairement en ligne dans beaucoup de secteurs d’activité? «L’expérience digitale» offerte aux consommateurs permet plus que jamais de se démarquer de la concurrence. «Le champ de l’expérience connaît depuis une quarantaine d’années une véritable dynamique de recherche, un grand foisonnement et des applications managériales nombreuses», écrivent Marc Filser et Claire Roederer, coordinateurs de l’ouvrage L’expérience: objet académique et réalités managériales, publié l’année dernière.

Dans les dernières années du siècle passé, les chercheurs Joseph Pine et James Gilmore ont proposé des réflexions et des solutions pour répondre aux désirs du consommateur, perçu comme un être émotionnel. Il est à la recherche d’expériences sensibles et émotionnellement chargées. En 1982 déjà, l’expérience de consommation a été théorisée en marketing par deux autres chercheurs américains, Holbrook et Hirschman. Ces derniers définissent cette expérience «comme un vécu personnel et subjectif, souvent émotionnellement chargé, dont l’évaluation se traduit en plaisirs et souvenirs», résume Wided Batat, professeure-chercheuse en marketing, dans son livre Marketing expérientiel.

Au-delà du client, c’est toute l’organisation qui bénéficie des transformations liées à l’attention accordée par les théoriciens du management au concept d’expérience. Ce dernier possède, dans ses racines philosophiques, une composante herméneutique, interprétative, qu’il conserve dans ses utilisations par le marketing, par les ressources humaines ou par les professionnels du monde digital. En créant un lien émotionnel avec l’organisation, l’expérience permet en effet d’obtenir d’autres clés de lecture de la réalité et de dépasser le cadre trop étroit des structures et processus administratifs, des décisions de gestion et des politiques internes ou commerciales d’une entreprise. Tous les collaborateurs doivent idéalement, par exemple, s’impliquer avec intérêt et plaisir dans l’amélioration continue de l’expérience client. Expérience client et expérience collaborateur sont ainsi indissociables.

«L’expérience est désormais omniprésente»

D’une façon générale, le concept d’expérience «autorise les parties prenantes à s’investir personnellement et durablement dans le développement et la réussite de l’entreprise», soulignent les spécialistes Laurence Body et Christophe Tallec. Pour Marc Filser et Claire Roederer, «l’expérience est à la fois une clé de lecture du vécu des individus (consommateur, collaborateur ou citoyen) et une unité d’offre qu’entendent délivrer les entreprises, les marques et les organisations. C’est aussi un langage homogène pour une réalité qui ne l’est pas et présente au contraire une grande hétérogénéité». Quelles sont les perspectives de développement du concept d’expérience pour se mettre davantage au service de toutes les organisations?

Citons quelques exemples et possibilités: utiliser des objets connectés pour transformer les usages quotidiens, miser sur le design de service pour renouveler la notion d’accueil dans des boutiques ou des hôtels, créer des plateformes numériques capables de rendre leurs visiteurs aussi enthousiastes que des supporters d’un club de foot ou de hockey, motiver des collaborateurs en leur offrant un lieu et une organisation de travail uniques et en leur demandant de s’investir à leur tour pour améliorer sans cesse l’expérience client.

Les déclinaisons du concept expérience mis au service du monde économique semblent loin d’avoir encore été toutes explorées et exploitées. «L’expérience est désormais omniprésente dans les discours des organisations, aussi bien dans leur communication interne que dans celle destinée à leurs clients et à leurs différentes parties prenantes. La référence à l’expérience a même trouvé sa place dans les organigrammes des entreprises, avec l’apparition de la fonction de manager de l’expérience client, qui se substitue parfois à celle de chef de produit ou de marque. «L’expérience est présente dans tous les secteurs d’activité, qu’il s’agisse de produits ou de services, dans la sphère physique comme dans la sphère virtuelle», insiste Marc Filser.


«Les PME romandes continueront à être de plus en plus concernées par les problématiques liées à l’expérience client»

Anne-Laure Vaudan est fondatrice et managing partner de nexa Consulting, centre d’expertise de l’expérience client. Cette spécialiste, basée à Berne, travaille comme consultante pour de grands groupes et des PME. Elle commente notamment les résultats de la sixième étude qualitative sur l’expérience des clients dans les entreprises suisses – Swiss CEX Study –, réalisée par nexa Consulting et la Haute Ecole d’économie de Zurich.

Quelles sont les principales conclusions de la dernière édition de la Swiss CEX Study?

En premier lieu, il faut signaler que le thème de l’expérience client continue de gagner en importance au sein des entreprises suisses. Celles-ci envisagent plusieurs défis à venir, parmi lesquels figure surtout le travail à mener sur l’amélioration des processus, de la culture d’entreprise et des compétences internes. Pourquoi? Parce que si l’on ne donne pas aux collaborateurs les clés pour comprendre le rôle fondamental de l’expérience client, si l’on n’insuffle pas un état d’esprit adapté au sein même de l’organisation, alors l’expérience client demeurera, au moins partiellement, insatisfaisante. Le plein potentiel d’une expérience client réussie restera inatteignable.

La Swiss CEX Study a aussi montré que les entreprises ont, presque majoritairement, le sentiment d’avoir amélioré l’expérience client qu’elles proposent par l’intermédiaire de nouvelles solutions technologiques ou grâce à l’optimisation des produits et des services existants. Cette optimisation a été obtenue sur la base d’une meilleure connaissance des besoins des consommateurs. Les sociétés souhaitent surtout transformer l’expérience client en levier de croissance, car elles ont compris que celle-ci contribue à la satisfaction des consommateurs, à la différenciation avec la concurrence, à la hausse du chiffre d’affaires et à la baisse des coûts! Voilà pourquoi les entreprises désirent, en 2023, encore plus investir dans des systèmes informatiques performants, l’optimisation des canaux digitaux et la formation des collaborateurs, tout cela pour renforcer l’expérience client.

Quelle est votre définition du concept d’expérience client?

L’expérience client correspond non seulement à la perception et au ressenti du client à chacune de ses interactions avec l’entreprise, mais encore à la somme de toutes ces perceptions et ressentis sur le long terme.

Quelle est la place que doit accorder une entreprise à «l’expérience digitale» quand elle réfléchit à faire évoluer son concept général d’expérience client?

L’entreprise ne doit pas fonctionner de manière cloisonnée, mais avant de se lancer dans la production d’une expérience digitale, elle doit comprendre les besoins de ses clients et voir dans quelle mesure une nouvelle offre est pertinente. Où le digital peut-il apporter de la valeur? Où est-il indiqué?

Comment pourrait évoluer le concept d’expérience client dans les prochains mois, en Suisse romande?

Les grandes entreprises qui ont déjà une politique d’expérience client très développée poursuivront leur dynamique de développement en misant toujours sur l’amélioration constante de leurs processus et de leurs outils, la formation des collaborateurs et une meilleure connaissance de leur clientèle.

Les PME romandes de tous les secteurs d’activité continueront à être de plus en plus concernées par les problématiques liées à l’expérience client. D’une façon générale, l’expérience humaine liée à un service ou à un produit sera de plus en plus valorisée. A l’ère de l’automatisation et de la montée en puissance de l’intelligence artificielle, cela concerne le secteur privé comme le secteur public. Par exemple, on remarque ces dernières années, dans les hôpitaux, combien la qualité de la prise en charge des patients devient toujours plus essentielle et observée par le public et les autorités.


Une expérience client digitale de qualité: un objectif inaccessible pour les PME?

Un obstacle est souvent mis en avant quand on parle de l’expérience client proposée par des PME: l’expérience digitale que ces dernières pourraient offrir aux consommateurs serait toujours de moindre qualité par rapport à celle mise en place par les plus grands groupes technologiques. «Le critère d’excellence d’un parcours digital est avant tout sa simplicité, sa facilité, son ergonomie. Le digital est devenu le grand facilitateur de l’expérience client», explique Laurent Deslandres dans son ouvrage sur Le management de l’expérience client. Les raisons des appréhensions des PME vis-à-vis d’une présence digitale plus marquée de leur part seraient à chercher dans un supposé manque de moyens financiers ou de compétences techniques.

Autrement dit, de nombreuses PME craignent de ne pas avoir les moyens de leurs ambitions. Thomas Jacobsen, communication manager de la société informatique Infomaniak, montre que ce raisonnement n’est pas correct. «Les standards de qualité attendus par les clients dans une expérience digitale sont certes élevés, mais les outils pour les atteindre sont devenus beaucoup plus accessibles aujourd’hui, techniquement et financièrement, pour les petites et moyennes entreprises». Infomaniak propose elle-même une solution - Site Creator - qui permet aux entrepreneurs et aux PME de créer rapidement un site pour présenter leur activité, partager leurs actualités, vendre des produits et créer des campagnes marketing. «Tout se configure rapidement et de manière très intuitive.»

Web et réseaux sociaux

Thomas Jacobsen mentionne qu’en dehors d’une offre comme Site Creator, des compétences techniques et des investissements supérieurs peuvent être nécessaires si une société décide de complexifier sa visibilité et ses interactions sur internet. Mais une plateforme comme Site Creator représente une porte d’entrée simple et efficace pour une grande partie des petites et moyennes entreprises qui devront simplement veiller à soigner les textes et les images qu’elles mettront en ligne. «Il existe aujourd’hui des solutions peu onéreuses qui enlèvent toutes les contraintes techniques pour offrir des expériences client digitales très satisfaisantes. Les entreprises peuvent alors se concentrer uniquement et l’esprit libre sur leur positionnement stratégique et leurs critères de différenciation par rapport à la concurrence.»

Autre piste de développement digital pour les PME qui veulent créer des interactions de qualité avec leurs clients: les réseaux sociaux. «Même les plus petites entreprises doivent communiquer sur les valeurs qui les animent au quotidien et dévoiler leurs coulisses pour construire un lien authentique avec leurs clients. On appelle ça le social selling: utiliser les réseaux sociaux pour se rapprocher de ses prospects et de ses clients avec des contenus cohérents, qui suscitent l’intérêt du consommateur», note Emilie Henry dans son livre sorti il y a quelques semaines, Commerçants, freelance, PME: transformez vos abonnés en clients. A propos des réseaux sociaux, l’auteure voit même un atout que les PME possèdent par rapport aux grands groupes: elles «incarnent» leur activité, apportent leur touche personnelle et peuvent miser «sur l’authenticité».


Création d’une nouvelle expérience client: l’exemple de Manor Lausanne

Le magasin Manor de Lausanne, à l’occasion d’un réaménagement de ses locaux fin 2022, a revu tout le concept d’expérience client qu’il souhaite proposer à ses visiteurs. «Pour nous, une expérience client réussie est une expérience unique pour chaque individu, où chacun se sent spécial tous les jours. Il s’agit de proposer un moment de plaisir, hors du temps, durant lequel la clientèle accède à ce qu’elle souhaite de manière agréable avec des conseils avisés et chaleureux de nos conseillers et conseillères clientèle, mais aussi vit un événement inattendu, par exemple la découverte d’un service qui convient exactement à ses besoins ou d’une toute nouvelle tendance», explique Claire Freudenberger, du département communication du groupe Manor.

Ce dernier – qui compte 59 grands magasins et quelque huit mille collaborateurs –, en travaillant sans cesse son concept d’expérience client, souhaite non seulement séduire sa clientèle, mais encore «contribuer à l’animation des villes helvétiques». L’entreprise poursuit une stratégie commerciale omnicanale, avec l’utilisation et la liaison de sites stationnaires et de boutiques en ligne. Le réaménagement du magasin Manor de Lausanne s’inscrit dans cette politique. Ainsi, pour Felix Potocnik, category director beauty et partnerships chez Manor, avec le concept commercial désormais proposé, «qui comprend de nombreuses premières suisses», Manor lance «une nouvelle forme d’expérience shopping qui se combine dorénavant avec des services de beauté et de soins du corps», le tout dans une ambiance étudiée et soignée (avec notamment la présence d’une DJ pour créer l’atmosphère musicale).

Concrètement, l’expérience client voulue par Manor combine des partenariats exclusifs avec de grandes marques et d’autres de niche, ainsi qu’une volonté de personnaliser au maximum les produits et les services choisis par la clientèle. L’expérience client souhaite inclure une meilleure accessibilité aux produits (les bijoux notamment), offrir des exclusivités pour certaines marques (avec des pop-up stores par exemple), proposer l’obtention de bilans et de prises en charge individualisés (machine pour personnaliser les bouteilles de parfums, technologie d’analyse de la peau, diagnostic capillaire) et fournir aux visiteurs la possibilité d’une panoplie de nouveaux services complémentaires (salon de coiffure, soins du visage, manucure, bar à ongles, extension des cils, épilation, maquillage, détartrage et blanchiment des dents).

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