Le droit de timbre pénalise les entreprises en difficulté

Pierre Cormon
Publié vendredi 21 janvier 2022
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#Droit de timbre Le droit de timbre d’émission, une taxe qui frappe la constitution de capital, est contesté depuis longtemps.

Le droit de timbre d’émission frappe les apports en capital dont bénéficient les entreprises, par exemple lors d’une restructuration ou d’un tour de financement. Il touche donc particulièrement les entreprises en difficulté et celles qui se développent, comme les start-up.

Chaque fois qu’un actionnaire renfloue une PME en difficulté en lui apportant du capital, cette opération est taxée, si elle dépasse une certaine franchise. L’entreprise paie donc pour recevoir de l’argent de ses propriétaires. Chaque fois qu’un entrepreneur trouve des investisseurs pour lancer une nouvelle société ou financer de nouveaux projets, ces apports sont également taxés, dès le moment où ils dépassent une franchise.

C’est ce qu’on appelle le droit de timbre d’émission, une taxe qui frappe la constitution de capital. Elle se monte à 1% de tous les montants dépassant la franchise d’un million de francs sur toute la durée de vie de l’entreprise (dix millions en cas d’assainissement). Autrement dit, à partir du moment où une entreprise a déjà reçu un million de francs d’apports au capital depuis sa création, tous les apports successifs seront taxés (sauf s’il s’agit d’un assainissement: c’est alors la franchise de dix millions qui s’applique). Les Suisses devront décider le 13 février s’ils décident de l’abolir.

Contestée de longue date

Cette taxe est contestée de longue date. Elle ne tient en effet pas compte de la capacité économique d’une entreprise: qu’elle soit bénéficiaire ou non, celle-ci sera frappée de la même manière. Elle avantage les entreprises qui empruntent plutôt que celles qui essaient de se développer en augmentant leur capital, puisque les emprunts ne sont pas soumis au droit de timbre. C’est parfaitement illogique, puisque les entreprises peu endettées sont moins exposées au risque de faillite.

Enfin, elle pénalise particulièrement les start-up: celles-ci doivent fréquemment réaliser de nombreux tours de financement avant de pouvoir lancer un produit ou un service sur le marché. A chaque fois, elles doivent payer le droit de timbre sur les sommes levées, alors qu’elles ne disposent pas du moindre revenu. Il peut représenter des dizaines ou des centaines de milliers de francs, qui auraient pu être utilisés pour financer des salaires ou des recherches.

Entrave aux assainissements

La contestation est encore plus forte depuis le début de la pandémie.

Le droit de timbre augmente en effet la pression sur les entreprises dans les périodes économiques difficiles, où davantage d’entre elles ont besoin de lever de nouveaux capitaux pour s’assainir. C’est ce que montrent les fluctuations des recettes issues du droit de timbre d’émission. Celles-ci sont particulièrement hautes quand la conjoncture est mauvaise. Cela a été le cas lors de l’éclatement de la bulle internet, en 2000, et après la crise financière de 2008-2009.

Le scénario va se reproduire avec la pandémie. De nombreuses entreprises ont en effet utilisé leurs réserves pour faire face à l’effondrement de leurs activités. Elles doivent donc être renflouées, afin de ne pas se trouver en situation de surendettement, premier pas vers la faillite. Or, plutôt que de favoriser ces opérations, la Confédération les taxe, au- dessus de la franchise. Et ce alors même qu’elle a mis de grands programmes d’aide sur pied, parfois à fonds perdus. Bref, le système encourage à se faire assister plutôt qu’à s’en tirer par ses propres moyens.

Investissement

Le Conseil fédéral et le parlement ont donc proposé de supprimer cette taxe. Si le coût théorique de la mesure est estimé à deux cent cinquante millions de francs, il faut le considérer comme un investissement et en aucun cas comme une perte. Abolir le droit de timbre d’émission permettrait en effet de stimuler l’investissement, ce qui pourrait permettre d’éponger rapidement les pertes et d’accroître les recettes fiscales, comme cela a été le cas avec les précédentes réformes de la fiscalité des entreprises (lire ci-dessous).


Les arguments des référendaires sous la loupe

Un référendum a été lancé par un comité estimant que la suppression du droit de timbre constitue un cadeau fait aux grandes entreprises, aux multinationales et aux banques. Ils mettent en avant les arguments suivants.

1. «La réforme profitera avant tout aux grands groupes»

Les grands groupes effectuant de plus grosses levées de capitaux, ils paient logiquement la plus grande part du droit de timbre d’émission: trente-trois entreprises se sont ainsi acquittées de 45,8% du montant total en 2020. Les PME ayant payé le reste sont en revanche beaucoup plus nombreuses. Elles ont ainsi été mille trois cent septante-six à le faire pour des apports jusqu’à un million de francs, et huit cent nonante-deux pour des apports jusqu’à dix millions de francs, la même année. Or, pour elles, cette taxe pèse proportionnellement aussi lourd que pour les grandes entreprises, voire plus, car elles n’ont pas forcément les mêmes possibilités de financement.

Bref, si une grande entreprise, prise isolément, économiserait plus sur la suppression des droits de timbre, l’écrasante majorité des entreprises qui en bénéficieront sont des PME.

2. «Le secteur financier est déjà avantagé»

«A titre d’exemple, les services financiers sont en principe exonérés de la TVA», relèvent les référendaires. C’est mélanger deux choses différentes: la TVA (qui est payée par le consommateur final et pas par l’entreprise, qui ne fait que la collecter), n’a strictement rien à voir avec le droit de timbre. De plus, cet argument laisse penser que l’abolition du droit de timbre d’émission toucherait uniquement le secteur financier. Or, il concerne toutes les entreprises, quel que soit leur secteur d’activité: culture, tourisme, informatique, commerce, bâtiment, etc. Bref, l’immense majorité des entreprises qui en bénéficieront ne font pas partie du secteur financier.

3. «Le peuple paiera la facture»

La réforme entraînera des baisses de recettes fiscales qui obligeront la Confédération à augmenter les impôts ou à réduire les prestations, craignent les référendaires. Les prédictions sont difficiles, surtout si elles concernent le futur, disait Pierre Dac. L’évolution des recettes fiscales devrait cependant inciter à l’optimisme. Les recettes de l’impôt sur les entreprises ont augmenté beaucoup plus vite que les autres recettes fiscales, ces dernières décennies. Elles ont été multipliées par presque six depuis 1990, alors même que deux réformes de l’imposition des entreprises l’ont allégé, entraînant chez certains la peur de pertes massives. Ces réformes ont entraîné un surcroît d’activité, qui s’est répercuté positivement sur les recettes. Il n’y a pas de raisons de croire qu’il en ira autrement avec le droit de timbre.

Bref, l’expérience montre que les baisses fiscales se répercutent positivement sur l’activité économique, et finissent par engendrer davantage de recettes fiscales.

4. «C'est la tactique du salami»

«L’abolition du droit de timbre d’émission n’est qu’un premier pas», dénoncent les référendaires. «On abolira ensuite le droit de timbre de négociation (qui touche l’achat et la vente de titres) et celui sur les assurances (qui frappe certaines d’entre elles, comme les assurances vie, l’assurance responsabilité civile ou l’assurance incendie)».

C’est possible. Une partie de la classe politique n’a jamais caché son hostilité aux différents droits de timbre. Mais ce n’est pas l’objet de la présente votation. Si un jour on devait abolir les autres droits de timbre, cela sera fait dans le respect des procédures démocratiques. Le peuple pourra décider in fine si c’est une décision judicieuse ou non.


L'avis de...

Stephane Tanner

Fondateurs de Tanner Conseils et membre du Comité Directeur de la FER Genève

 

Vous êtes favorable à la suppression du droit de timbre. Pourquoi?

Parce qu’il s’agit d’une taxe absurde et anachronique, qui n’a aucune logique économique. Elle impose le fait qu’un entrepreneur apporte de l’argent à son outil de travail. Or, il récupérera cet argent plus tard, lorsqu’il se retirera ou que l’entreprise cessera ses activités. Il s’agit donc d’une forme de prêt. Comment justifier philosophiquement le fait de taxer un prêt? Personne ne comprendrait que le seul fait, pour le créancier, de prêter de l’argent à un débiteur, soit frappé d’une imposition. C’est pourtant ce que fait le droit de timbre. On taxe à toutes les étapes.

C’est-à-dire?

Si un entrepreneur doit amener un million de francs dans son entreprise, cet argent vient le plus souvent de revenus qu’il a réalisés et épargnés, et qui ont déjà été taxés, et on les impose à nouveau en prélevant (après franchise) un droit de timbre! Certaines de ces contributions sont en outre également imposables lorsqu’elles reviennent à l’actionnaire, par exemple sous forme de dividendes. Elles sont alors soumises aux impôts directs et, de manière plus ou moins définitive, à l’impôt anticipé. Ce système pouvait probablement être compris à l’issue de la Première Guerre mondiale, mais au XXIème siècle, il n’a plus aucune logique économique.

Quelles sont les conséquences?

Cette taxe s’additionne aux autres prélèvements et entrave l’investissement dans l’outil de travail. Sa suppression permettrait de renforcer les entreprises, ainsi que l’attrait de la place économique suisse, notamment pour attirer les entreprises à capital très substantiel. Sa suppression a été proposée dans le cadre d’une révision plus générale, qui corrige également l’impôt anticipé. L’effet sur la croissance sera d’autant plus fort. P. Co.

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