Le maillon méconnu de la formation professionnelle

Les écoles supérieures sont en lien étroit avec les milieux professionnels. L’enseignement y est ainsi adapté aux besoins de l’économie.
Les écoles supérieures sont en lien étroit avec les milieux professionnels. L’enseignement y est ainsi adapté aux besoins de l’économie. Adobe Stock
Pierre Cormon
Publié vendredi 17 février 2023
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#Ecoles supérieures Ces filières forment des détenteurs de CFC à des postes à responsabilité.

Les champions suisses de l’employabilité? Ce ne sont pas les diplômés des universités, ni ceux des Hautes écoles spécialisées (HES), ni les personnes ayant pour dernier titre un CFC. Il s’agit des détenteurs d’un diplôme décerné par une Ecole supérieure (ES).

Ces établissements sont ouverts essentiellement aux détenteurs de CFC désireux de se perfectionner et d’occuper des postes à responsabilités. Ils mènent à des professions telles qu’automaticien du bâtiment, danseur, interprète, agrotechnicien ou contrôleur aérien. Leur enseignement est de qualité et très adapté aux besoins des employeurs, ont constaté les acteurs de la formation professionnelle dans le cadre d’une vaste concertation lancée par la Confédération.

Pourtant, cette offre est peu connue du grand public. «On pense rarement aux écoles supérieures au moment de choisir son orientation», regrette Harold Martin, directeur du Centre de formation professionnelle santé de Genève, dont quatre filières sont accréditées Ecoles supérieures.

Sans matu pro

Contrairement aux HES, les ES sont ouvertes aux détenteurs de CFC sans qu’ils doivent passer par la case maturité professionnelle. «Les titulaires de maturités gymnasiales peuvent également y entrer, pour autant qu’ils fassent un stage», précise Gilles Miserez, directeur général de l’Office pour la formation professionnelle et continue du canton de Genève. L’enseignement des ES est plus centré sur la réalité quotidienne des métiers que celui des HES. Ici, pas de recherche, ni de mandats pour des acteurs extérieurs, mais une formation qui vise à fournir aux employeurs des personnes qualifiées, capables d’assumer des postes à responsabilités avec un minimum de temps d’adaptation.

Pratique en entreprise

La pratique en entreprise fait partie intégrante du cursus. Quant au contenu, il est défini pour chaque filière par une commission à laquelle participent les milieux professionnels. Il peut ainsi être régulièrement adapté aux besoins des employeurs. Bref, il s’agit de formations professionnelles, et non académiques.

Ce système fonctionne très bien, si l’on en croit les réflexions menées par les acteurs de la formation professionnelle dans le cadre du projet «Positionnement des Ecoles supérieures», lancé par le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI).

Passerelles

Le fait de ne pas exiger de maturité professionnelle est considéré comme un plus. «Cela permet d’attirer d’autres types de candidats que les HES», estime Alexandre Etienne, directeur de l’Ecole professionnelle Santé-Social de Posieux (FR), qui possède une filière ES. Les diplômés peuvent intégrer les HES par la suite, sans maturité professionnelle. «Les diplômés ES de l’Ecole hôtelière de Genève peuvent par exemple entrer en deuxième année de Haute école de gestion», illustre Gilles Miserez.

Les liens étroits avec les milieux professionnels assurent un enseignement adapté aux besoins des employeurs. «Beaucoup de nos étudiants signent un contrat de travail avant même d’obtenir leur diplôme», constate Daniel Piguet, directeur de l’Ecole des métiers dentaires, à Genève. L’association professionnelle a même approché les autorités genevoises pour demander une augmentation de la capacité de la filière.

Une demande qui s’inscrit dans une tendance générale: les effectifs des ES ont fortement augmenté ces dernières années (voir chiffres en page 7). La complexité du système rend pourtant ces filières difficile à appréhender (lire ci-dessous). Elles ne jouissent pas d’une grande notoriété.

«Or, si elles étaient mieux connues, elles pourraient aider les jeunes à trouver plus facilement leur voie», estime Harald Martin. «Actuellement, les études statistiques montrent qu’ils passent leur CFC en moyenne sept ans après avoir terminé l’école obligatoire.» Comment rendre leur offre plus facilement compréhensible et mieux la définir par rapport à celle des autres voies?

C’est ce que se sont demandé les acteurs de la formation professionnelle qui ont participé au projet «Positionnement des Ecoles supérieures». Plusieurs propositions ont été discutées. Celles qui visaient à rapprocher le fonctionnement des écoles supérieures de celui des hautes écoles ont été écartées. Il s’agit d’éviter qu’elles adoptent une logique trop universitaire, au risque de s’éloigner du marché du travail. «Nous devons garder le lien avec la pratique», souligne Daniel Piguet.

Professional Bachelor

Les participants au projet se sont en revanche prononcés pour l’introduction d’un nouveau titre. Il pourrait s’agir de Professional Bachelor, qui remplacerait le diplôme ES actuel, comme cela a été fait en Allemagne. «Ces titres seraient mieux reconnus, en Suisse et à l’échelle européenne», plaide Gilles Miserez. La proposition ne fait cependant pas l’unanimité. «Adopter le vocabulaire des hautes écoles peut présenter le risque de masquer la spécificité des filières ES, qui est d’être des formations hautement pratiques», estime Laurent Baechler, responsable des cours interentreprises à la Fédération des Entreprises Romande Genève. «Cela peut pousser vers l’académisation, ce qui serait antinomique avec les fondamentaux des ES.»

D’autres propositions ont été adoptées plus facilement. Si le titre diplôme ES est protégé, ce n’est pas le cas de la dénomination Ecole supérieure. «Rien n’empêche actuellement une école non reconnue de s’intituler ainsi», note Alexandre Etienne. Enfin, tout le monde a souligné la nécessité de mieux faire connaître les écoles supérieures, notamment par des mesures de marketing et de communication.

La balle est maintenant dans le camp de la Confédération. Des propositions doivent être élaborées par le SEFRI, en collaboration avec les acteurs de la formation supérieure. Elles sont attendues pour cet été. «L’introduction de certaines mesures telles que la protection de la dénomination ou de nouveaux titres complémentaires nécessite une adaptation de la loi, procédure qui se déroulera sur l’année 2023 et se poursuivra les années suivantes», précise le SEFRI. La mise en œuvre pourrait commencer à l’automne.


Des structures très diverses

Au nombre de cent septante dans le pays, les écoles supérieures sont d’une grande diversité. On ne devrait pas parler d’écoles, mais de filières, puisque ce sont ces dernières qui sont accréditées comme ES, pas les établissements qui les hébergent. Certains de ces établissements se consacrent uniquement à la formation professionnelle supérieure (filières ES et préparation aux brevets et diplômes fédéraux), comme l’Ecole sociale intercantonale à Lausanne. D’autres proposent à la fois de la formation professionnelle initiale (AFP ou CFC) et des filières ES – c’est le cas du Centre de formation des métiers techniques, à Genève. Une même école peut comporter plusieurs filières ES – le Centre de formation professionnelle santé de Genève en compte quatre.

Gratuites... ou non

Certaines ES sont des structures publiques. L’enseignement y est gratuit, ou presque. D’autres sont privées et font payer des taxes d’études qui peuvent se monter à plusieurs dizaines de milliers de francs sur l’ensemble du cursus. Zurich compte ainsi une ES d’hygiénistes dentaires publique et gratuite, et une autre, privée et payante.

Le financement public n’est pas égal selon les filières. Certaines reçoivent davantage, car elles forment des professionnels dont la mission est considérée d’intérêt général – c’est le cas dans la santé. Des filières ES se suivent à plein-temps, avec des stages sur le terrain (on parle alors d’école stage), d’autres en emploi (on parle alors de dual). Un même métier peut s’apprendre selon ces deux régimes et le lieu où elles sont établies.

«Ambulancier est une formation en école à plein-temps à Genève, une formation duale à Berne», mentionne Harold Martin. «Elles donnent droit au même diplôme.» Des métiers sont enseignés dans les HES dans certains cantons, dans les ES dans d’autres – c’est le cas d’infirmière ou de technicien en radiologie médicale. On trouve aussi des filières ES dans la HES Valais.

Effectifs variables

Certaines filières ne comptent qu’une poignée d’élèves, d’autres des centaines. C’est en partie un reflet du marché du travail: on a besoin de beaucoup plus d’infirmières que de contrôleurs aériens. C’est également le reflet d’un souci très helvétique: celui de respecter la diversité des situations locales. «Dans certaines régions excentrées, si on ferme une filière ES et que les jeunes partent se former ailleurs, il n’est pas sûr qu’ils reviennent», relève Alexandre Etienne.

Cette diversité vient de l’histoire des ES. «Il s’agissait à la base d’écoles très différentes, régies par le droit cantonal», raconte Gilles Miserez. «La Confédération a décidé de leur donner un socle commun à partir de 2005, comme elle l’avait fait quelques années auparavant pour les HES.»

Points de vue

La rationalisation n’a cependant pas été poussée aussi loin, ce qui rend une réforme du système plus difficile. Une école privée ne voit pas forcément les choses sous le même angle qu’une école publique, une petite filière dans une région excentrée n’a pas forcément les mêmes intérêts qu’une grande filière dans un canton central. Certaines filières prêchent ainsi pour une réduction du nombre de structures, comme cela a été fait il y a un quart de siècle avec les écoles faisant maintenant partie du système HES. Les petites filières y sont nettement moins favorables. Les autorités ne sont pas en position de force pour trancher, car toutes les écoles ne leur appartiennent pas.

De plus, le système est peu réactif. Une HES peut créer une nouvelle formation du jour au lendemain, ou presque, sans demander l’autorisation de qui que ce soit. Une nouvelle formation ES doit être agréée au terme d’un long processus, qui permet aux milieux professionnels d’avoir leur mot à dire.

Pas de panacée

«Nous n’avons pas encore trouvé la solution permettant de répondre à tous les besoins et à tous les enjeux», remarque Alexandre Etienne. «Il faut cependant poursuivre la réflexion. Un système qu’on n’adapte pas régulièrement s’érode peu à peu.»


Le Graal du menuisier

Concevoir des aménagements de menuiserie dans le bureau technique d’une entreprise? «Ce serait le Graal», confie cet élève du Centre de formation des professions de la construction (CFPC), à Genève. Un Graal qui n’a rien d’inaccessible. Le jeune homme étudie dans la filière Technicien ES bois, qui le prépare précisément à cette activité.

Les diplômés ES trouvent facilement du travail, et c’est certainement le cas dans le bois. «Les entreprises sont demandeuses, elles ont besoin de plus en plus de techniciens», explique Nicolas Petit, responsable de la formation des techniciens ES au CFPC. «Il y a trente ans, elles employaient peut-être un technicien ES dans une équipe de douze personnes. Aujourd’hui, au moins deux.»

Demande du terrain

La formation de technicien ES en technique du bois a été créée en 1982, à la demande des entreprises, qui avaient de la peine à recruter des cadres supérieurs. Elle s’est adaptée à l’évolution du métier, notamment avec l’arrivée du dessin assisté par ordinateur ou de l’imagerie de synthèse. «Quand j’ai débuté, seules les grandes entreprises pouvaient se permettre d’avoir un designer faisant des projets en 3D», se souvient Nicolas Petit. «Cela lui prenait un temps considérable. Aujourd’hui c’est à la portée de toutes les entreprises.» «La technologie nous a fait gagner énormément en efficacité et en précision», ajoute Marc Lehmann, doyen des métiers du bois au CFPC. «Les machines à commande numérique permettent par exemple de faire des pièces qu’on ne pouvait pas réaliser avant.»

Etabli vs écran

Ces innovations ont déplacé le cœur de l’activité. La réalisation prend moins de temps, la conception davantage. On travaille moins à l’établi, plus à l’écran. On a toujours besoin de personnes habiles de leurs mains, mais on cherche de plus en plus de travailleurs à l’aise avec des logiciels informatiques spécialisés ou des machines de plus en plus complexes. Ce à quoi prépare le cursus ES.

Il ne se limite cependant pas à cela. «Nous formons des cadres, qui doivent être à l’aise tant dans les aspects techniques que dans la gestion», relève Marc Lehmann. Les étudiants travaillent aussi bien des disciplines liées à la construction (dessin professionnel, physique du bâtiment, pratique atelier) que d’autres liées à la gestion d’entreprise (économie et droit, comptabilité, calcul de prix, etc.) «Nous enseignons aussi le marketing et la communication», ajoute Marc Lehmann. «Nous nous sommes aperçus que nous formions des personnes qui savaient très bien réaliser des agencements, mais ne savaient pas les vendre ni se vendre elles-mêmes.» 

Stage

Les études durent deux ans à plein-temps, avec un stage de dix semaines à la fin de la première année. Le programme est élaboré en collaboration avec le terrain. Le plan d’études prévoit par exemple l’étude d’une langue autre que le français. Dans un premier temps, on a opté pour l’anglais. Un sondage effectué auprès des professionnels a cependant montré qu’ils utilisaient plus souvent l’allemand, notamment dans leurs contacts avec leurs fournisseurs alémaniques. Le plan d’étude a été adapté en conséquence.

Comme beaucoup de filières ES, celle de technicien du bois souffre d’un déficit de notoriété. «Les entreprises la connaissent bien, mais les jeunes et leurs parents beaucoup moins», regrette Marc Lehmann. «Le problème n’est pas de trouver des débouchés, mais d’attirer assez de candidats».


Les Ecoles supérieures, c’est :

  • Cinq cent soixante filières de formation, dont deux tiers en cours d’emploi;
  • Cent septante-deux établissements proposant des filières ES;
  • Cinquante-cinq professions enseignées;
  • Près de trente-six mille personnes en formation;
  • Près de dix mille diplômes par année;
  • Une croissance du nombre d’élèves de 60% en vingt ans;
  • Une croissance d’environ 45% des diplômes décernés de 2012 à 2021.
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