Le paradoxe de la situation des informaticiens sur le marché du travail
Steven Kakon
Publié vendredi 15 novembre 2024
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#Informaticiens Les entreprises peinent à recruter des spécialistes en informatique alors qu’ils représentent 3,9% des demandeurs d’emploi à Genève. En cause, des exigences en matière de diplômes et d’expériences, auxquelles les profils généralistes ne répondent pas.
Le constat n’est pas nouveau: en Suisse, les informaticiens manquent à l’appel. Avec la numérisation généralisée, la Suisse aura besoin de cent vingt mille informaticiens supplémentaires d’ici à 2030 et près de quarante mille informaticiens manqueront en 2040, prédit une étude réalisée par l’Institut d’études économiques de Bâle (IWSB) en 2022. Les métiers liés à l’ingéniérie des données et logicielle sont les plus soumis à une pression accrue.
Tous les voyants sont au rouge: le manque de main-d'œuvre qualifiée dans les technologies de l’information et de la communication (TIC) se traduit par un taux de postes ouverts se situant entre 4% et 26% selon les régions. En Suisse romande, la situation est moins tendue dans l’arc lémanique, relève l’étude.
Les données sur les places vacantes fournies par l’Office fédéral de la statistique (OFS) apportent un éclairage intéressant. Pour les «activités informatiques et services d’information», on comptait 4900 places vacantes au troisième trimestre 2023, moins qu’aux deuxième et troisième trimestre 2022, où elles s’élevaient respectivement à 6200 et à 7000.
«L’évolution à long terme du nombre de postes vacants dans le secteur informatique montre qu’il n’y a pas de baisse exceptionnelle de leur nombre. En 2024, nous enregistrons même des baisses moins marquées que dans l’ensemble de l’économie», précise l’OFS.
Paradoxe
Les informaticiens sont-ils sous-représentés dans les statistiques du chômage? Ce n’est pas le cas. Les personnes dont le dernier employeur est du secteur informatique y sont sur-représentées (4% en octobre 2024, contre 3% en octobre 2023 et 2% en octobre 2022) en comparaison aux autres secteurs, selon le dernier rapport du Secrétariat d’Etat à l’économie d’octobre. A titre de comparaison, le taux est de 1,8% dans le secteur «santé et action sociale».
Est-ce également le cas à Genève? «Nos statistiques montrent une augmentation du nombre de demandeurs d'emploi issus d'une profession de l'informatique. Ils en représentaient 3,9% du total en septembre de cette année, soit 623 personnes, contre 3,3% l'année précédente. Pourtant, les entreprises avec lesquelles nous sommes régulièrement en contact nous disent peiner à recruter la main-d’œuvre dont ils ont besoin», répond Delphine Bachmann, Conseillère d’Etat chargée du Département de l’économie et de l’emploi (DEE). Et de poursuivre: «Ce paradoxe s'explique en partie par l'évolution des besoins des employeurs. En effet, certaines entreprises genevoises, en particulier dans des secteurs comme la finance, les organisations internationales et le luxe ont des exigences très élevées en matière de diplômes, de certifications et d’expérience, auxquelles les profils généralistes classiques ne permettent pas toujours de répondre». Le manque de personnel est donc aussi qualitatif.
L’élue rappelle ainsi que le DEE, et en particulier l’Office cantonal de l’emploi, propose des formations pour les informaticiens au chômage.
Solutions
La formation en cours d’emploi est l’une des solutions adoptée par certaines entreprises. «Afin de parer au manque d’informaticiens, nous avons lancé il y a déjà plusieurs années des programmes graduate afin de recruter des personnes en début de carrière et de pouvoir les former au sein de Pictet», relatait Martin Kunz, chief technology officer chez Pictet Asset Management dans les colonnes d’Entreprise Romande en octobre 2022. L’élargissement de l’offre de formation a une importance cruciale. L’Ecole 42, à Renens, en est une illustration. Chez Redsen, cabinet de conseil européen en système d’information présent à Genève, «on pallie le manque de ressources disponibles avec une cellule qui promeut des offres d’emploi et fait de la chasse active de talents en privilégiant la main-d’œuvre locale ainsi que la cooptation», explique Emmanuel Bouchet, CEO et co-fondateur de l’entreprise. Aussi, «compte tenu de l’évolution des attentes des nouveaux arrivants sur le marché, un engagement social et environnemental fort aide à attirer les talents qui veulent trouver du sens dans leurs activités et refusent de travailler pour des industries polluantes», remarque le dirigeant.
Spécialistes étrangers
Dans cette «guerre des talents» aggravée par les départs à la retraite, les migrations et la transformation numérique, certaines entreprises se voient contraintes de puiser les spécialistes à l’étranger. «Du fait de notre présence internationale, il est également possible de recruter des talents de manière locale dans plusieurs pays européens. Cependant, pour des expertises de pointe, il n’est pas rare de devoir faire venir des ingénieurs spécialisés de l’étranger, qui s’établissent alors à Genève», expliquait Martin Kunz dans nos colonnes en 2022.
Ces personnes trouvées à l’étranger sont parfois employées sur place. Exemple: la Poste suisse a ouvert à Lisbonne des bureaux avec des ingénieurs et des développeurs qui travaillent pour la Suisse à deux mille kilomètres du pays, relatait la RTS en janvier 2023.
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