Le redémarrage de l’économie allemande n’est pas au rendez-vous
Thomas Schnee
Publié mardi 02 avril 2024
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#Economie allemande Belle nouvelle! En 2023, les émissions de CO2 allemandes ont reculé de 10% sur un an. Mauvaise nouvelle...
Belle nouvelle! En 2023, les émissions de CO2 allemandes ont reculé de 10% sur un an. Elles ont même atteint leur plus bas niveau depuis 1950 (673 millions de tonnes de CO2).
L’amélioration dépasse aisément les objectifs officiels. Et pourtant, les experts du think tank environnemental Agora Energiewende sont pessimistes: «Nous ne voyons pas de développement durable dans la réduction des émissions, car ce recul est dû à l'effondrement de la production industrielle allemande», explique Simon Müller, son directeur.
En 2023, l'industrie, la construction et les fournisseurs d'énergie ont vu leur activité reculer en moyenne de 1,5% par rapport à 2022, année déjà très difficile, pendant que le produit intérieur brut s’est contracté de 0,3%. Dans les secteurs énergivores comme la chimie, la situation est bien pire. Selon la Fédération allemande des industries chimiques, la production annuelle y a baissé de 7,9% et le chiffre d'affaires de la branche a diminué de 12,2%.
L’Allemagne perd du terrain dans la concurrence entre les sites
Les problèmes de l’industrie allemande sont pléthores. L’explosion des prix de l’énergie consécutive à la guerre en Ukraine est le premier. Il est suivi par le ralentissement du commerce international, qui touche particulièrement le modèle exportateur allemand. On ajoutera à cela les aides accordées par la Chine pour développer et exporter ses technologies vertes et ses voitures électriques ou la sévère concurrence que représente le programme américain de 750 milliards de dollars d’allègements fiscaux massifs pour les investissements verts (Inflation Reduction Act), lancé début 2023.
«L'Allemagne perd de plus en plus de terrain dans la concurrence entre les sites. Avec des coûts élevés, une bureaucratie épuisante et des infrastructures en mauvais état, les entreprises étrangères y réfléchissent à deux fois avant d'investir un euro en Allemagne», avertit Michael Hüther, directeur de l'institut économique IW à Cologne, qui pointe le recul constant des investissements étrangers directs dans son pays.
Aller construire en Suisse
L’industrie allemande tire la langue et les entreprises réduisent la voilure en Allemagne. Le Suisse Meyer Burger, qui possède l’une des plus grandes usines de panneaux solaires en Saxe, a espéré en vain une aide publique. Alors qu’il construit déjà une nouvelle unité aux Etats-Unis, il vient de confirmer la fermeture de son usine de Freiberg. De même, Nikolas Stihl, président du conseil de surveillance du fabricant de tronçonneuses du même nom, en a choqué plus d’un.
Son entreprise prévoyait de remplacer l’usine 5 de son site de Ludwigsburg par une nouvelle halle de production ultramoderne. Soit quelques centaines d’emplois assurés. Le terrain libéré restera en friche. Nikolas Stihl parle désormais d’aller construire en Suisse où, dit-il, les coûts de production sont malgré tout inférieurs à ce qu’offre l’Allemagne.
Pour sa part, le fabricant d’électroménager de haut de gamme Miele a choisi la Pologne. Il veut y transférer la quasi-totalité de son activité de production de machines à laver de Gütersloh, soit sept cents emplois!
Fermer ses portes
Tout ne va cependant pas mal partout. Les constructeurs automobiles allemands, par exemple, achèvent l’année bien mieux que prévu. Même si la production reste encore inférieure à celle de 2019, avant la crise du covid-19, la production a progressé de 18% par rapport à 2022 et les exportations de véhicules ont grimpé de 17%. Si les bénéfices sont une fois de plus au rendez-vous, c’est aussi à mettre sur le compte de la baisse des ventes de voitures électriques au profit de celle, plus lucrative, de véhicules à moteurs thermiques.
La pression de la concurrence et des coûts n’en est cependant pas moins forte. Volkswagen a finalement décidé de construire ses nouveaux centres de production de batteries non pas en Allemagne, mais en Pologne, au Canada et aux Etats-Unis. Ford a choisi dès 2022 de produire la version entièrement électrique de la Ford Focus dans son usine espagnole de Valence plutôt que dans son usine de Saarlouis, à l’ouest de l’Allemagne.
«Bien que nous disposions des savoir-faire pour l’électrique, notre usine de Saarlouis doit fermer ses portes en 2025», soupire l’électricien automobile Cedric Moltini, qui vit à cheval sur la frontière franco-allemande et travaille depuis des années dans la grande usine Ford de Saarlouis. «Le niveau de nos salaires et la hausse des prix de l’énergie n’ont pas joué en notre faveur. Nous avons obtenu la préservation de mille emplois sur quatre mille cinq cents jusqu’en 2032. Pour le reste, nous sommes suspendus aux négociations secrètes qui se déroulent depuis un an entre le gouvernement régional (de la Sarre - ndlr) et des repreneurs potentiels.»
En octobre dernier, désireux de conjurer la détérioration des conditions de production en Allemagne, le ministre de l’économie et de la transition énergétique, Robert Habeck, réunissait patrons et syndicalistes allemands. Il leur promettait alors une nouvelle stratégie industrielle composée d’importantes aides fiscales, administratives et financières pour mieux relancer l’innovation, affronter la transition énergétique et contenir les prix de l’énergie.
C’était sans compter sur la décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe qui a invalidé, mi-novembre, le fonds spécial pour la protection du climat, jugé non conforme aux règles budgétaires allemandes, et notamment au frein à l’endettement inscrit dans la constitution, qui limite strictement le recours à la dette. Soixante milliards d’euros d’aides déjà budgétés se sont donc envolés d’un coup en fumée, poussant le gouvernement à des économies substantielles.
Le 22 mars dernier, le Bundesrat a donc ratifié la loi sur les chances pour la croissance, qui «aidera les entreprises à investir dans la recherche, le développement et la croissance économique dans une période tendue», selon le chancelier Olaf Scholz, qui s’exprimait sur X. Mais le volume global des aides dépassera à peine trois milliards d’euros, soit quatre milliards de moins que prévu. «C’est un premier pas, mais rien de plus», a commenté Tanja Gönner, secrétaire fédérale de la fédération industrielle BDI, qui rappelle que les prévisions de croissance sur 2024 sont de seulement 0,2%. «Plus on attendra, plus la relance et la reconversion seront chères et difficiles», prévient Cornelia Woll, économiste et présidente de la Hertie School, en rappelant que, faute d’avoir été aidée à temps, l'industrie solaire allemande s'est effondrée il y a une dizaine d'années, broyée par une concurrence chinoise qui fournit aujourd’hui près de 90% des installations solaires allemandes.
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