Le réemploi n'est pas l'apanage des pays riches

Les hautes écoles spécialisées et les écoles polytechniques ont pris le virage du réemploi.
Les hautes écoles spécialisées et les écoles polytechniques ont pris le virage du réemploi.
Flavia Giovannelli
Publié vendredi 25 août 2023
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#Construction «Les pays riches ne sont pas en avance en termes de réemploi»

Pourriez-vous rappeler les différences entre réemploi et recyclage?

Le réemploi implique la réutilisation de matériaux façonnés, si possible sur place ou de provenance locale. C’est une deuxième utilisation d’une ressource existante, un remède contre les émissions de CO2, sachant que le secteur de la construction en génère trop. Le recyclage est l’opération qui transforme un élément de construction en granulats devant être refaçonnés et génère donc toujours une nouvelle dépense d’énergie et de CO2.

Le réemploi dans la construction est-il récent?

La pratique est connue depuis des siècles. Par exemple, dans la Rome impériale, le droit de démolition était sévèrement limité, car la production et le transport des matériaux étaient difficiles et coûteux. Par la suite, le réemploi a toujours été pratiqué pour les mêmes raisons économiques. C’est uniquement avec l’avènement de la mécanisation et de l’industrialisation que les habitudes ont changé en Occident. Il était plus facile de démolir, car la globalisation permettait de se procurer des biens et des fournitures beaucoup plus facilement. La concurrence étrangère a largement favorisé cette approche, avec des prix plus bas. Cette économie linéaire trouve cependant ses limites avec les problèmes de pollution et de disponibilité des ressources. Ce n’est que tout récemment que des exemples d’une approche circulaire trouvent un bon écho, à cause des préoccupations grandissantes de durabilité. Avec la difficulté croissante de trouver du sable et des agrégats, le réflexe de recourir systématiquement au béton dans la construction devrait changer. La spéculation sur de nombreux matériaux entraîne des fluctuations de prix qui rendent la maîtrise des coûts de l’objet final problématique. Parfois, il faut repenser un projet à cause d’une pénurie de l’un d’entre eux.

Où se situe la Suisse dans le courant du réemploi?

Elle n’est pas en avance, comme c’est souvent le cas dans les pays riches. Il n’y avait en effet pas besoin de faire preuve d’imagination excessive tant que l’on pensait les ressources illimitées. Pendant longtemps, on a répété des méthodes normalisées. Mais tout le monde se rend compte aujourd’hui que la systématisation poussée des processus entraîne une perte de savoir-faire plus anciens. Il y a un intérêt à réintégrer des filières de formation qui prennent en compte ce changement de mentalité dans l’ensemble des métiers de la construction.

Quelles filières de formation sont-elles concernées?

En Suisse, les hautes écoles, l’Accademia di architettura de Mendrisio, les écoles polytechiques fédérales ou les hautes écoles spécialisées ont entamé le virage. Il s’agit d’un changement culturel radical, qui a pris ses marques il y a trois ou quatre ans. Il faut du temps pour qu’il se déploie. Des modules de formation continue ou des actions de sensibilisation sont mis en place progressivement.

Constatez-vous une réticence en matière de réemploi?

Il y a un fort consensus pour relever les qualités du réemploi. L’ensemble du secteur de la construction est favorable aux récentes modifications de loi qui accéléreront un changement de pratiques. Les contraintes dues aux difficultés de stockage et la nécessité de miser sur des circuits courts, surtout dans un canton comme Genève, qui manque de place, sont néanmoins sérieuses.

Quelles sont les pistes pour l’avenir?

Il faut dès le début d’un projet prévoir sa déconstruction future: il faut penser assemblage et désassemblage. Un outil comme le Building Information Modeling peut nous aider.

Concrètement, faut-il se réinventer?

Il faut évoluer avec intelligence. Aujourd’hui, rien ne peut complètement remplacer le béton, mais des entreprises sont pionnières pour le rendre moins émetteur en gaz à effets de serre, comme Prelco, à Genève, qui est active dans la conception et la production d’éléments en béton préfabriqués. Aujourd’hui, il est possible d’en concevoir sur mesure, en limitant ainsi le plus possible les émissions de CO2. C’est le cas en diminuant l’utilisation de l’acier en recourant à du béton fibré ultra performant, par exemple. Je pense au potentiel des constructions métalliques, qui résistent bien au temps, et présentent souvent de belles perspectives en matière de réemploi. Les sanitaires sont aussi une niche à explorer, car ceux qui ont franchi le cap des années sont encore très solides et peuvent servir à nouveau. Il faut simplement se convaincre de l’intérêt de le faire. En menuiserie, il faut voir quand il est possible de réadapter les cadres, les portes ou autres, voire de les réparer, tout en tenant compte des normes de la performance énergétique et de la résistance au feu. En résumé, il faut faire preuve d’innovation et certaines réhabilitations pourraient nous surprendre. C’est un processus en marche.

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