Le solaire bouleverse le marché de l’électricité

Sur le réseau électrique, production et consommation doivent être égales en tout temps.
Sur le réseau électrique, production et consommation doivent être égales en tout temps.
Pierre Cormon
Publié jeudi 17 octobre 2024
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#Photovoltaïque Les panneaux photovoltaïques produisent en fonction de la météo plutôt que de la demande, ce qui bouleverse le marché et les réseaux électriques.

Imaginez-vous un boulanger devant payer pour écouler son pain? Cette situation est pourtant régulièrement vécue sur le marché de l’électricité. Les producteurs ou les distributeurs qui sont tenus de reprendre leur courant doivent parfois payer pour s’en débarrasser. La situation, naguère exceptionnelle, est de plus en plus fréquente. Si l’on en arrive là, c’est que le réseau électrique a une particularité: la production et la consommation doivent y être égales en tout temps, sans quoi il risque l’effondrement. Or, le photovoltaïque et l’éolien produisent quand la météo le permet, pas quand on en a besoin. Comme l’électricité est très difficile à stocker à grande échelle, toute leur production doit être absorbée en temps réel.

Croissance

Le photovoltaïque se développant très rapidement (+50% de capacité installée en 2023), on se trouve de plus en plus souvent dans des situations où les panneaux produisent plus que ce que le marché demande. Cela peut typiquement être le cas un beau dimanche de juillet ensoleillé et venteux, à midi. Le prix devient alors négatif – les producteurs paient les consommateurs pour absorber leur électricité. Alors que cela n’arrivait que moins de dix heures par année en 2015, la Suisse a connu cette situation cent soixante-cinq heures au cours du premier semestre 2024.

En début de matinée et le soir, en revanche, la consommation est au plus haut alors que le soleil ne brille pas. «Les prix font un pic et on doit enclencher des centrales», remarque Daniel Ramsauer, économiste de l’énergie, qui s’est exprimé lors des Rendez-vous de l’énergie du Centre de recherches CREM, le 2 octobre à Martigny. En Allemagne, ce sera plutôt des centrales thermiques (charbon et gaz), en Suisse, des barrages de montagne.

Maux de tête

L’irrégularité de la production photovoltaïque et solaire cause aussi des soucis aux gestionnaires des réseaux de transport d’électricité. En Suisse, c’est Swissgrid qui gère celui à très haute tension – la colonne vertébrale du système. Pour que la société puisse l’équilibrer en permanence, les distributeurs comme SIG, Romande Energie ou Groupe E doivent lui communiquer leurs prévisions de production. Avec l’essor des nouvelles énergies renouvelables, celles-ci dépendent de plus en plus de la météo et sont de plus en plus difficiles à faire. Si les distributeurs se trompent, Swissgrid doit intervenir rapidement et payer des producteurs pour qu’ils augmentent ou réduisent leur production (c’est l’énergie de réglage).

«Un samedi nuageux a fait suite à une semaine ensoleillée», a raconté Cécile Jost, de Swissgrid, lors du séminaire Energie-Environnement de l’Université de Genève, le 19 septembre. «Tous les distributeurs se sont un peu trompés, tous dans le même sens et les erreurs se sont additionnées. Au final, il manquait 500 MW sur le réseau, comme si on avait oublié d’allumer une centrale nucléaire.»

Erreurs facturées

Ces erreurs de prévisions sont facturées aux distributeurs pour les inciter à affiner leurs prédictions. Mais si on les améliore d’un facteur deux pendant que la capacité photovoltaïque double, l’erreur finale reste de même ampleur. Si rien n’est fait, dans quelques années on ne sera plus en mesure d’assurer la stabilité du réseau. Le risque de blackout deviendra alors très élevé. Plusieurs idées sont sur la table pour éviter d’en arriver là: amélioration des modèles de prévision météorologiques et de production, flexibilisation des marchés, possibilité de brider les installations, par exemple.

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