Le sous-sol lémanique est riche en gaz naturel

La Suisse aurait peut-être la capacité d’être autosuffisante en gaz.
La Suisse aurait peut-être la capacité d’être autosuffisante en gaz.
Pierre Cormon
Publié vendredi 29 avril 2022
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#Gaz Le Léman pourrait receler d’importantes réserves de gaz naturel. On a cependant renoncé à les exploiter.

Alors que la guerre en Ukraine a mis en lumière la dépendance de l’Europe au gaz russe, la Suisse aurait peut-être la capacité d’être largement autosuffisante en la matière. Des inquiétudes environnementales ont cependant empêché d’étudier plus sérieusement la faisabilité d’une exploitation des réserves locales. Le gaz qu’on importe n’a pourtant pas forcément un meilleur bilan écologique.

C’est à la suite de la première crise pétrolière, dans les années 1970, que la Confédération a décidé d’encourager la recherche de sources d’hydrocarbures indigènes. Certaines zones prometteuses ont été identifiées, comme l’extrémité du Léman, côté Valais. L’exploration de cette zone a été entreprise dès 2000 par Petrosvibri, une société appartenant indirectement en grande partie à des collectivités publiques. Ses conclusions ont été rendues publiques en 2012. Des réserves de gaz non conventionnel (dit tight rock, lire l’encadré ci-dessous) correspondant à plusieurs décennies de consommation de la Suisse romande s’y trouvent. La probabilité de pouvoir les exploiter de manière rentable était alors estimée à 50%. Trop peu pour se lancer directement dans l’exploitation – Petrosvibri voulait plutôt procéder à de nouvelles explorations.

Cette perspective a alerté une partie de la classe politique et de la société civile. Les Verts vaudois ont déposé une initiative visant à interdire l’exploitation d’hydrocarbures dans le canton. Ils craignaient des dégâts environnementaux comme ceux, sérieux, que l’exploitation du gaz de schiste a causés en Amérique du Nord. Ceux-ci étaient illustrés dans un film qui a fait grand bruit à l’époque: Gasland. On y voyait notamment un habitant mettre le feu à l’eau du robinet, contaminée par du gaz.

Cadre différent

Or, le cadre légal est complètement différent en Europe. Les ressources du sous-sol, en droit nord-américain, appartiennent aux propriétaires du terrain et ils sont libres de les exploiter comme bon leur semble, ou presque. Ils ne s’en sont pas privés et la recherche du profit à court terme les a conduits à négliger les mesures de sécurité. De gros dégâts environnementaux ont été occasionnés.

En Europe, en revanche, les ressources du sous-sol appartiennent aux collectivités publiques (en Suisse, aux cantons). On ne peut donc effectuer des forages qu’avec leur accord, et elles peuvent poser des conditions très strictes. C’est ce qu’a fait le canton de Vaud avant d’autoriser Petrosvibri à explorer les réserves situées sous le Léman.

Le forage n’avait donné lieu à aucune opposition d’organisations environnementales. L’Association suisse pour la sauvegarde du Léman jugeait même que les soucis liés aux forages étaient infondés. Ils étaient en effet réalisés avec un doublage acier et béton sur toute la longueur du tubage, pour prévenir d’éventuelles fuites. La technique comporte cependant d’autres risques, moins souvent mis en avant. Les gaz non conventionnels sont en effet emprisonnés à très grande profondeur, dans des roches très denses (lire ci-dessous). Pour les faire sortir, on injecte de l’eau additionnée de différentes substances. La composition de ces mélanges, aux Etats-Unis, est tenue secrète, les exploitants étant peu désireux de mettre leur propre recette à la disposition de leurs concurrents. On ne sait pas quels effets les substances que l’on injecte peuvent avoir sur l’environnement à long terme.

Le canton de Vaud a prohibé la technique de la fracturation hydraulique à partir de 2019, en réponse à l’initiative des Verts. Le canton de Genève, pour sa part, a tout simplement interdit l’exploration d’hydrocarbures sur son territoire. Or, la consommation de gaz naturel est en croissance, en Suisse comme en Europe – de 21% entre 2000 et 2020 en Suisse. Cette augmentation, combinée à la réticence à exploiter ses propres réserves, a placé une partie de l’Europe dans une position de dépendance par rapport à la Russie. Pour en sortir, elle cherche à trouver d’autres sources d’approvisionnement. Parmi les exportateurs possibles se trouvent les Etats-Unis, avec le gaz de schiste, et le Canada, qui exploite les schistes bitumineux, avec des dégâts environnementaux encore pires.

Le risque est donc que, pour avoir voulu éviter d’éventuels dégâts environnementaux en Suisse, on recourt à des importations qui en causent de plus graves chez les autres. L’idéal serait évidemment de se passer d’énergies fossiles, et de gros efforts sont déployés en ce sens. C’est par exemple le cas à Genève, avec des projets de géothermie ou de chauffage et rafraîchissement à l’eau du lac. Il faudra cependant du temps pour qu’ils portent tous leurs fruits. Dans l’intervalle, il ne reste malheureusement que le choix entre de mauvaises solutions…


Gaz conventionnel, gaz de schiste…

Le gaz naturel conventionnel, comme celui que l’on importe de Russie, et les gaz non conventionnels (tight rock, gaz de schiste) sont exactement la même substance: le gaz naturel, composé essentiellement de méthane. La différence tient au milieu dans lesquels ils se trouvent. Le gaz naturel se forme à de grandes profondeurs, à partir de substances organiques, dans des couches rocheuses que l’on appelle roche-mère. Une partie s’en échappe, à l’occasion de mouvements géologiques. S’il ne rencontre pas d’obstacle, il remonte à la surface et se dissipe dans l’atmosphère. S’il bute contre une couche imperméable, il se retrouve prisonnier en-dessous, dans une poche souterraine. C’est ce qu’on appelle le gaz conventionnel, relativement facile à extraire, mais peu abondant.

Le gaz non conventionnel, pour sa part, est celui qui est resté dans sa roche-mère, très dense, à grains très fins, qui ne le laisse pas circuler. Il est prisonnier de pores qui ne communiquent pas entre eux, à de grandes profondeurs, où règnent des températures et des pressions très élevées. Il est beaucoup plus abondant à l’échelle du globe, mais plus difficile à exploiter. Pour le faire, on recourt à la fracturation hydraulique. Cette technique consiste à envoyer un fluide sous grande pression – généralement de l’eau additionnée de sable et de divers produits. Ce fluide crée des fissures entre les pores, ce qui permet au gaz de s’échapper. On ne sait pas avec précision ce qu’il advient des produits injectés. De plus, la fracturation hydraulique a déjà causé de légers séismes, comme à Bâle, dans un contexte différent.

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