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Le temps partiel est en hausse. Comment l’expliquer?

Marie-Hélène Miauton Publié vendredi 12 mai 2023

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Le travail à temps partiel augmente alors que la Suisse manque de main-d’œuvre, ce n’est donc pas une bonne nouvelle!

Selon le rapport publié en mars par l’Office fédéral de la statistique (OFS), l’évolution est patente. En 1991, le taux de travail à temps partiel des femmes actives était de 49%, puis de 55% en l’an 2000 et de 58% en 2022. En ce qui concerne les hommes actifs, la progression va de 8% en 1991 à 10% en l’an 2000, puis à 19% en 2022. Ainsi, un choix (ou un devoir) qui était exclusivement féminin jusqu’à peu commence à devenir également masculin. Comment l’expliquer? Les spécialistes invoquent surtout le désir de mieux concilier la vie professionnelle et la vie familiale, but honorable s’il en est. L’ancienne répartition des tâches entre parents étant révolue, l’exigence d’un partage (plus ou moins) équitable des soins aux enfants s’estimposée. Dès lors, il est normal que les hommes se résolvent aussi à réduire leur activité, ce qui est une excellente chose tant la carrière des femmes ne devraient pas être hypothéquée par la maternité, ni induire aucune injustice sociale.

Pourtant, si les responsabilités domestiques sont prépondérantes pour justifier le phénomène, elle n’expliquent pas tout. En effet, selon l’OFS, un bon tiers de femmes actives entre 25 ans et 54 ans sans enfant travaillent à temps partiel, une proportion considérable. Chez les hommes du même âge, le taux est exactement le même qu’ils aient ou non des enfants, avec une hausse minime cependant quand ils les élèvent seuls. Quant à l’existence d’un sous-emploi, souvent avancée par les syndicats, elle n’est pas avérée non plus, puisque moins de 10% des employés souhaiteraient travailler plus sans y parvenir. D’autres phénomènes méritent donc d’être évoqués.

Tout d’abord, le niveau des salaires est suffisamment haut en Suisse pour que les employés puissent se permettre de réduire leur charge horaire sans nuire à leur qualité de vie. À l’appui de cette supposition, l’énorme écart entre la situation helvétique et celle qui prévaut au sein de l’Union européenne (UE) chez les personnes actives âgées de 25 ans à 54 ans: 61% des femmes en Suisse à temps partiel contre 27% dans l’UE, respectivement 16% contre 6% pour les hommes. Même si des considérations sociétales locales interviennent aussi, ces chiffres se passent de commentaire, sachant que le niveau de vie des Suisses en 2020 (estimé à partir du revenu disponible, après correction des différences de prix) était 2,6 fois plus élevé qu’en Grèce, 1,4 fois plus élevé qu’en France et 1,2 fois plus élevé qu’en Allemagne. Une autre hypothèse serait que les entreprises qui connaissent de grandes difficultés à trouver du personnel sont mieux disposées qu’avant à accepter une telle demande, au risque, sinon, de perdre leurs collaborateurs.

Pour attirer les candidats et pour les garder, tous les moyens sont bons, même ceux qui ne plaisent pas forcément aux patrons. Un ami entrepreneur me disait récemment que les sociétés d’autrefois réfléchissaient sans relâche à satisfaire leurs clients. Aujourd’hui, c’est à satisfaire leurs employés! Les gens sont d’autre part moins préparés à supporter la pression d’une semaine de travail complète, un manque de capacité à se concentrer que les maîtres observent aussi chez les jeunes écoliers ou étudiants. Il y aurait eu, en raison des principes d’éducation et d’enseignement modernes, un moindre apprentissage de l’effort soutenu, de l’attention durable, du désir d’approfondir. En outre, les nouvelles technologies ont encouragé le zapping, en commençant par la télécommande de la télévision, qui ne date pas d’hier.

Enfin, évidemment, la place des loisirs, respectivement du travail dans la société a changé et les deux se sont interpénétrés. L’épisode du covid-19 a renforcé une tendance existante, quoique non satisfaite. La pratique d’un hobby ou d’un sport s’est démocratisée, sans oublier le désir d’avoir «du temps pour soi» souvent avancé dans les sondages pour expliquer la réduction de la durée du travail, conséquence de la montée de l’individualisme.

Alors, le temps partiel serait-il surtout un luxe de pays riche?