#Abeilles mélifères Sans les soins que leur apportent les quelque vingt mille apiculteurs du pays, la majeure partie des colonies d’abeilles mellifères mourrait en quelques années.
Laissée à elle-même, une ruche meurt en trois ou quatre ans. Cela n’a pas toujours été le cas. «Avant les années 1980, un apiculteur pouvait se contenter d’ouvrir sa ruche deux fois par année», raconte Jean-Daniel Charrière, responsable du Centre de Recherche Apicole à l’Agroscope, le centre de compétence de la Confédération pour la recherche agronomique. «Aujourd’hui, il doit être bien formé, suivre ses colonies de manière régulière et appliquer des traitements chaque fois que cela est nécessaire.» En cause: le phénomène connu comme «mort des abeilles» dans le grand public, et comme «pertes hivernales» dans les milieux scientifiques. On ne peut s’en prémunir qu’au prix d’une surveillance constante des colonies. Sans ce suivi, le rendement de nombreuses cultures baisserait de manière drastique, faute d’abeilles pour butiner. C’est le cas des cultures fruitières et de baies, des oléagineux comme le colza et le tournesol, ainsi que d’une grande partie des légumes (mais pas des céréales, du maïs, du riz, des pommes de terre). L’Agroscope a calculé que la valeur économique du service rendu par la pollinisation se situait entre deux cent cinq et quatre cent septante-neuf millions de francs en 2014. Les conséquences écologiques, économiques et sociales d’une disparition des abeilles, colossales, dépasseraient très certainement ce chiffre. Peu médiatisés, moins soutenus par le Parlement que d’autres secteurs plus puissants, les apiculteurs sont donc de véritables héros de l’ombre.
Cheptel constant
Grâce à leurs efforts, seules 12% à 20% des ruches périssent chaque hiver, alors qu’un pourcentage jusqu’à 10% est considéré comme normal. Cette situation se retrouve peu ou prou dans toute l’Europe. La survie des abeilles mellifères n’est donc pas en jeu, même si l’année 2021 a été particulièrement difficile. «Le cheptel se maintient à un niveau constant grâce aux travaux des apiculteurs pour remonter le leur», résume Jean-Daniel Charrière. La situation est nettement meilleure qu’en Amérique du Nord, où les taux de mortalité oscillent autour des 30% par année. La mort des abeilles est due à la conjonction de plusieurs facteurs, sans que leurs poids respectifs, ni leurs interactions ne soient toujours très clairs. En Europe, le principal d’entre eux est un parasite arrivé d’Asie dans les années 1980, le varroa. Cet acarien se reproduit en quelques jours dans le couvain. Il s’attache aux abeilles et se nourrit de leurs tissus adipeux, les affaiblissant et réduisant drastiquement leur durée de vie. Il peut en outre être le vecteur de virus eux aussi très virulents.
Acides organiques
On dispose heureusement de moyens de luttes efficaces contre lui. La grande majorité des apiculteurs suisses choisit des méthodes plus douces que les acaricides, reposant sur des acides organiques. Elles demandent cependant une formation et un engagement soutenus. «Quand quelqu’un me dit qu’il veut installer quelques ruches dans son jardin, je lui recommande toujours de commencer par suivre une formation», raconte Jean-Daniel Charrière. «Faute de quoi, ses ruches risquent d’être infectées par le varroa et de constituer un foyer à partir duquel il peut se répandre alentour. Se lancer dans l’apiculture est une vraie responsabilité.» Les pesticides sont également régulièrement pointés du doigt. Certains sont accusés de tuer directement les abeilles, notamment les néonicotinoïdes. Les plus dangereux pour les abeilles sont interdits en Suisse et dans l’Union européenne, ce qui n’est pas le cas ailleurs dans le monde. D’autres produits phytosanitaires sont accusés de perturber l’orientation des abeilles. Les interactions et synergies entre différentes molécules (ce qu’on appelle l’effet cocktail) sont cependant complexes et encore mal comprises. Les points d’interrogation sont nombreux.
Du labo au terrain
«De nombreuse études ont été réalisées en laboratoire, sur des abeilles individuelles», explique Jean-Daniel Charrière. «Les effets se manifestent-ils de la même manière au niveau d’une colonie dans la nature? Les données manquent pour répondre à cette question.» Les chercheurs veulent donc maintenant privilégier les recherches de terrain. C’est cependant plus facile à dire qu’à faire. Il faut en effet s’entendre sur un certain nombre de règles, afin que les différentes études puissent être comparées et qu’elles aient un bon niveau de fiabilité. «Nous avons participé à la mise au point d’une méthode», raconte Jean-Daniel Charrière. «Cela nous a pris deux ans, et encore cinq ans pour la faire valider.» Il ne s’agit que d’évaluer un facteur isolément – les pesticides. Les choses sont encore plus difficiles quand on veut étudier l’interaction de facteurs, par exemple dans quelle mesure une colonie touchée par le varroa est plus sensible à l’effet des pesticides.
Perte de biodiversité
Les abeilles sont également pénalisées par la perte de la biodiversité. «Elles ont de moins en moins de fleurs à butiner», regrette Francis Saucy, président de la Société d’apiculture romande. « «A part les pissenlits au printemps, les fleurs ont quasiment disparu de nos prairies». Enfin, une météo défavorable peut également mettre en danger les ruches. Cela a été le cas cette année. Le mauvais temps a entravé l’éclosion des fleurs et la pluie empêché les abeilles de sortir butiner. «Si nous ne les avions pas nourries, une grande partie des colonies seraient mortes avant l’automne», estime Francis Saucy.
Soutien indirect
Malgré le rôle essentiel qu’ils jouent, les apiculteurs n’ont droit à aucune indemnisation en cas de perte, qu’ils soient professionnels ou amateurs. Si un intergroupe parlementaire abeilles a été créé en 2019, il est loin d’avoir le poids d’autres lobbies dans la Berne fédérale. L’approche suisse consiste à leur fournir un appui indirect, à travers des structures de recherche et de vulgarisation. C’est le rôle du Centre de Recherche Apicole de l’Agroscope, de l’Institut pour la santé des abeilles de l’Université de Berne, du Service sanitaire apicole d’apisuisse et des associations d’élevage. Un brevet fédéral d’apiculture en trois ans a également été mis sur pied. Les brevets de la troisième volée ont été décernés cet été, afin de donner un maximum d’armes à ces passionnés pour mener à bien leur tâche, dont tout le monde bénéficie.
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