L’an dernier (avant que les marchés ne commencent de baisser), les stratégies ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) avaient le vent en poupe et semblaient avoir gagné la partie. De nombreux rapports détaillaient la manière dont elles surperformaient le reste du marché et tout gérant de fond «respectable» se devait d’investir dans l’ESG. Depuis quelques mois, le vent semble avoir tourné. Les stratégies ESG sont de plus en plus décriées et se trouvent même au cœur d’une guerre des cultures – notamment dans le monde anglo-saxon. Aux Etats-Unis, un fonds d’investissement anti-ESG, Strive Asset Management, vient même d’être créé avec le soutien de Peter Thiel, un milliardaire aux sympathies libertariennes proche de Donald Trump. Elon Musk, pour sa part, a déclaré que l’ESG était une escroquerie (ESG is a scam).
Qu'en est-il précisément?
Au cours des derniers mois, une clameur est montée de quelques gérants de fonds et banquiers spécialisés dans l’ESG, basée sur l’argument suivant: l’écoblanchiment imprègne dans de telles proportions l’activité des sociétés qu’il biaise les stratégies d’investissement ESG, les rendant par conséquent imprécises et inopérantes. C’est exact: de très nombreuses sociétés, petites et grandes, se prévalent de posséder des attributs environnementaux ou sociétaux qui sont en réalité des leurres. Elles induisent ainsi le consommateur en erreur (on pense acheter un produit «propre» alors qu’il n’en est rien) et brouillent la grille de lecture des investisseurs ESG. Les investissements ESG se débattent dans de tels problèmes de mesure et de standardisation, disent ses détracteurs, qu’il est désormais impossible de prendre une décision d’investissement raisonnée dans ce domaine. Plus récemment, ces polémiques ont pris de l’ampleur dans les débats publics, comme lors d’une conférence organisée par le Financial Times en mai, au cours de laquelle le responsable global de l’investissement durable pour la gestion d’actifs de HSBC s’est lancé dans une longue tirade contre les stratégies ESG. Il a remis en cause les «avertissements apocalyptiques» de Mark Carney (l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre et aujourd’hui représentant spécial auprès des Nations unies pour l’action climatique et la finance) sur le risque climatique et ses conséquences pour le système financier et déclaré d’une manière assez choquante: «Qu’est-ce que ça peut faire si Miami est recouvert de six mètres d’eau dans cent ans?».
Tout cela est entendu, mais ces propos invalident-ils pour autant la nécessité d’investir dans des stratégies plus responsables d’un point de vue environnemental et sociétal? Ces problèmes ne devraient-ils pas nous convaincre de renforcer les méthodologies et les règles qui encadrent les stratégies ESG plutôt que de les abolir? Cela paraît aller de soi, mais le risque est le suivant: comme dans de nombreux domaines de la vie publique, les conversations autour des thèmes ESG tournent à la foire d’empoigne. Elles deviennent fortement clivantes et, si cela continue, il deviendra impossible d’aboutir à un consensus politique sur le nécessité de combattre le réchauffement climatique, la perte de biodiversité, les inégalités en tous genres - tout ce qui est inclus dans la panoplie ESG. La science, les faits, les débats d’experts (et le bon sens !) n’y pourront rien.
Pourtant, une étude publiée par Edelman (un cabinet de conseil et de relations publiques américain) à l’occasion du Forum de Davos en mai dernier corrobore ce que beaucoup de personnes ressentent. Elle prouve qu’une majorité de citoyens mondiaux souhaite que les dirigeantes et dirigeants d’entreprise s’expriment et prennent position sur les questions ESG. En leur faveur! Notamment sur les problématiques liées au réchauffement climatique et à la discrimination. Septante-sept pourcents des personnes interrogées considèrent en effet que les leaders d’entreprise ont une responsabilité particulière à l’égard des questions sociétales et 68% pensent qu’ils doivent prendre position et s’engager d’une manière précise sur les politiques destinées à contrer la discrimination. De surcroît, les jeunes générations ont une propension à l’activisme environnemental et sociétal qui rend inévitable l’adoption croissante de pratiques de production et de consommation (ainsi que des stratégies d’investissement qui s’y rattachent) plus respectueuses de l’environnement et plus soucieuses de l’équité. Le sens de la tendance ne laisse aucun doute. L’investissement durable – qu’il porte le nom ESG ou tout autre nom – est destiné à croître, et les problèmes méthodologiques et de standardisation auquel il est confronté seront résolus au fur et à mesure qu’on progresse.
En autorisant les services tiers, vous acceptez le dépôt et la lecture de cookies et l'utilisation de technologies de suivi nécessaires à leur bon fonctionnement. Voir notre politique de confidentialité.