Les entreprises, les RH et la Reine rouge

Avancer pour ne pas être rattrapé...
Avancer pour ne pas être rattrapé...
Vincent Malaguti
Publié le mardi 23 janvier 2024
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#Recrutement Les espèces co-évoluent de manière permanente, les unes cherchant à maintenir leurs aptitudes face aux évolutions des autres, voire à les dépasser: c'est l'hypothèse de la Reine rouge, une course incessante à l'évolution.

Le concept de Reine rouge est connu dans le domaine de la biologie évolutive ou de la littérature, tirant son nom d’un livre de Lewis Caroll, De l’autre côté du miroir (la suite d’Alice au pays des merveilles). Il est applicable à l’économie. Quand les performances d’une entreprise n’augmentent pas en permanence, celle-ci s’effondre face à des concurrents qui ne cessent de progresser. Quand un candidat ou un employé n’élargit pas continuellement le panel de ses compétences, il se trouve rapidement dépassé dans son propre secteur. Recruter le candidat le plus compétent pour faire avancer l’entreprise, c’est le rôle des ressources humaines. Leurs missions évoluent, à l’image du marché de l’emploi. Elles doivent diffuser les annonces sur plusieurs canaux (petites annonces, cabinets, portails en ligne) et utiliser le numérique pour le recrutement (visioconférence, entretien vidéo différé). L’objectif de cette diversification est d'attirer les meilleurs profils de plus de 50 ans, plus attachés aux moyens traditionnels, et ceux de moins de 30 ans, plus digitalisés: un défi crucial dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre.

Un constat de terrain

Problème: un recruteur d’une génération peine à s’adapter à un candidat issu d’une autre, surtout quand il est question de numérique. Ce constat a été fait en amont de l’événement Hire me, I’m fabulous, organisé à la FER Genève fin 2023. Plusieurs participants de moins de 30 ans y ont affirmé «que certains recruteurs plus âgés n’arrivent pas identifier leurs compétences via le numérique». D’autres candidats, de plus de 50 ans, estiment être désavantagés quand ils doivent réaliser un entretien via les outils numériques face à un recruteur plus jeune, peu enclin à s’adapter et à comprendre un aîné.

Stéphanie, spécialiste dans le secteur des ressources humaines, confirme l'existence de ce fossé entre les générations. «J’ai du mal avec ces changements. Dans mon métier, si on n'évolue pas très rapidement, on peut vite se sentir dépassé dans un recrutement, ou l’être effectivement, et passer à côté d’un profil intéressant.» Jessica Silberman Dunant, présidente de HR Swiss, valide, de manière nuancée, ces observations. «Quand un recruteur s’entretient avec un candidat issu de la même génération, il comprend mieux son contexte et ses non-dits.»

L’entreprise, clé de cette évolution

Elle relativise cependant le facteur âge dans la maîtrise des outils numériques pour le recrutement. Pour elle, c’est avant tout une question de digitalisation de l’entreprise. Si elle n’est pas développée, par exemple en raison d’une limitation de budget, elle freine le recruteur. «Quand un budget pour la transformation digitale existe, les ressources humaines ne sont parfois pas une priorité», déplore-t-elle.

Cette maîtrise dépend également de la taille et des besoins de l'entreprise. Une grande entreprise doit gérer un grand nombre de candidatures en raison d’un taux de rotation plus élevé. La maîtrise du numérique est alors primordiale. «Ce n'est pas le cas d'une PME, qui a moins de candidatures à traiter. Il n’est pas rare qu’une même personne s’occupe de plusieurs tâches, dont le recrutement», précise Jessica Silberman Dunant.

Miser sur le mentoring

Reste qu’il sera difficile d’échapper à une forme de recrutement numérique en raison de l'évolution croissante de la société en ce sens. L’avancée des réseaux sociaux a également une incidence sur le recrutement. C’est ici que Jessica Silberman Dunant pointe un fossé: s’il ne veut pas être dépassé par ses concurrents, et peut-être par ses collègues, le recruteur doit s’adapter aux réseaux sociaux utilisés par les candidats. Les ressources humaines doivent suivre cette évolution.

Parfois, dans cette course, «un recruteur n’est pas mieux armé qu’un candidat», observe la présidente de HR Swiss. «Pour certains, il s’avérera plus difficile de s’ajuster à ces évolutions, car ils sont très attachés à une manière de travailler. Mais ce n'est pas forcément en raison de leur âge.»

Comment atténuer le fossé? La présidente de HR Swiss suggère de miser sur le mentoring intergénérationnel dans l’entreprise: chacun doit identifier ses lacunes et s’inspirer de l’autre pour les combler. En somme, Jessica Silberman Dunant invite à basculer d'un état de compétition, avec des effets instables à court terme, à un état de coopération ayant des bénéfices à long terme. Une coopération capitale pour s’imposer durablement dans une course à la compétitivité qui est loin d’être un pays des merveilles.

Ecoutez le podcast FER Genève sur le recrutement des plus de 50 ans ici: ferge.ch/rh

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