Les entreprises zèbres: nouveaux modèles de start-up

Relever certains des défis environnementaux les plus urgents au monde, tel est l’objectif de la start-up développée par Nicolal Freudiger.
Relever certains des défis environnementaux les plus urgents au monde, tel est l’objectif de la start-up développée par Nicolal Freudiger.
Flavia Giovannelli
Publié jeudi 13 mars 2025
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#Entrepreneuriat En réaction au modèle de la licorne, ces start-up visant une valorisation spectaculaire, d'autres modèles d'entreprise privilégient la responsabilité sociale. Le contexte actuel complique ces ambitions.

En 2013, Aileen Lee, fondatrice de la société de capital-risque Cowboy Ventures, a inventé le terme «licorne» pour désigner ces start-up dépassant une valorisation à un milliard de dollars et axées sur une croissance exponentielle, propre à attirer les investisseurs et à redéfinir les secteurs d'activité grâce à des succès fulgurants.

En 2015 s'est développé le modèle des entreprises zèbres, un contre-mouvement. Ces entreprises se distinguent dès leur création par leur engagement social, tandis que l’image de leur animal fétiche, noir et blanc, illustre le dualisme entre rentabilité et contribution positive à la société. Ce modèle est vu comme une solution de remplacement aux approches de rupture et fortement axées sur le profit des licornes. «Les défis sociaux, aujourd'hui, appellent une nouvelle forme d'entrepreneuriat», définit Rahel Pfister, directrice de Sens Suisse, à Zurich. «Tels les zèbres qui travaillent ensemble, ces jeunes pousses s’associent souvent en groupes et se protègent mutuellement.» La structure offre un grand potentiel dans cette façon de faire des affaires et s'engage à renforcer l'économie sociale en Suisse.

Positionnement difficile

Le concept d’entreprise zèbre n’est pas seulement un terme de marketing ou un fourre-tout à la mode. Il est bien ancré dans ce qu’on pourrait appeler l'histoire économique 2.0, originaire de Californie, mais trouvant également un écho en Suisse. Même avec une conception traditionnelle du monde des affaires, des initiatives comme celles d’Impact Hub ou de Sens Suisse montrent l'attrait croissant pour des pratiques commerciales responsables et durables.

Genève se distingue par son écosystème unique, enrichi par la présence de l’Organisation des Nations unies et de nombreuses organisations non gouvernementales. La région offre un écosystème avec une vision internationale et une ouverture sur les enjeux mondiaux, qui résonnent en harmonie avec les valeurs des entreprises zébres. Le contexte actuel demande de la persévérance, surtout en matière de financement. «Comme elles sont orientées vers l’intérêt général et l’efficacité, ces start-up trouvent généralement sans trop de mal un premier financement», observe Rahel Pfister. «Toutefois, après quelque temps, certaines d’entre elles se trouvent prises entre le marteau et l’enclume. Elles sont jugées trop orientées vers le profit pour les fondations, alors que leur promesse de gains est trop faible pour les investisseurs privés. Il faut de nouveaux instruments de financement et des modèles de soutien entrepreneurial qui concilient rendement et impact positif», constate-t-elle. L’association Sens Suisse les aide dans cette phase de développement grâce à son carnet d’adresses comportant de nombreux bailleurs de fonds privilégiant une action axée sur l’impact environnemental positif.

Personnalité de l’entrepreneur

Les organismes de soutien aux start-up se veulent pragmatiques: ils ne rejettent pas l’inspiration des licornes au profit d'une préférence systématique pour le modèle zèbre. Ils soulignent que le choix du modèle d'affaires dépend de la personnalité des entrepreneurs, ainsi que de leurs services et produits.

Par exemple, si une idée entrepreneuriale vise à perturber une situation existante grâce à une technologie révolutionnaire, il peut être judicieux de viser un modèle de croissance de type licorne. En revanche, si l'entrepreneur préfère jouer la carte de la sécurité, investir son temps et son énergie pour servir la communauté et rester responsable des répercussions de ses projets sur l'environnement, le modèle zèbre peut s'avérer plus adapté, bien qu’au développement souvent plus lent.


Intégrer le changement plutôt que de repartir de zéro

Impact Hub Genève se présente comme un laboratoire d’innovation, rassemblant des personnes engagées dans le changement et soutenu par les autorités publiques. «Nous appartenons à un réseau mondial, avec six entités en Suisse, poursuivant trois objectifs principaux», explique Caryl Dubuis, responsable de la coordination d'Impact Hub pour la Suisse romande. «Premièrement, offrir un lieu physique où les entrepreneurs visionnaires peuvent se rencontrer et échanger. Deuxièmement, créer des espaces collaboratifs dédiés à l’innovation sociale et, enfin, fournir des ressources utiles, notamment à travers des formations et des programmes d’accompagnement». 
L’une des spécificités de l’organisation réside dans sa volonté de favoriser les ressources locales. En Suisse, la part d’économie circulaire est de près de 6%, ce qui offre des opportunités pour les entrepreneurs désireux de contribuer au changement», estime Caryl Dubuis. La structure a accompagné plusieurs projets de start-up, telles qu’ID Genève Watches, Bloom Biorenewables (Neuchâtel) ou Waste Flow (Vaud). 
L’écosystème local, tout comme le soutien d’institutions telles la Fongit ou la Fondetec, favorise une émulation dynamique. De plus, des initiatives comme Building Bridges facilitent la connexion des jeunes pousses avec des sources de financement, car un des buts d’Impact Hub consiste à intégrer le changement dans un système existant, non d’aller à son encontre. 
Les entrepreneurs ont souvent un besoin accru de soutien, sachant que le développement de leur structure peut être plus lent que celui d’autres start-up. Les investisseurs restent encore assez méfiants sur la viabilité de ce type de projets. «Plus les délais s’allongent, plus le risque de se démotiver grandit. Il est crucial de trouver du soutien pour apprendre à rebondir», observe Caryl Dubuis. 
Impact Hub coopte près de deux cents membres à Genève et cinquante à Lausanne. A noter que ceux qui souhaitent participer au programme d’incubation sont sélectionnés sur des critères tels que l’intégration d’une dimension sociale dès le début du projet entrepreneurial et la disponibilité pour s’engager dans les programmes de l’organisation, par exemple PME demain, le Climathon ou Kickstartinnovation. 


ID Genève Watches, une PME durable et soutenue par Leonardo DiCaprio

Lancer une marque de montres requiert un grand investissement. Pourtant, deux Genevois et un Lausannois sont allés jusqu’au bout de leurs rêves en fondant ID Genève Watches en 2020, sur une idée sans concession. «Nous sommes des enfants du Swiss made, un atout essentiel pour l’industrie horlogère. Nous avons souhaité refléter jusqu’au bout ce label en assumant notre responsabilité envers l’avenir de la planète», résume Nicolas Freudiger, l’un des cofondateurs.

Bracelets exempts de plastique

L’adoption de la loi Swissness en 2017 avait suscité en amont de vifs débats parmi la communauté horlogère, sachant que certains se fournissent en composants à l’étranger. Le ratio relatif à un certain pourcentage de la valeur de la montre permet ainsi d’être Swiss made pour peu que l’assemblage se fasse en Suisse. Or, ID Genève Watches a choisi volontairement de se distinguer en promouvant une économie circulaire ainsi que davantage de transparence. «Dès le début, notre stratégie de développement a intégré des valeurs durables, s’adressant à un public de niche, qui partage cette vision», explique Nicolas Freudiger. L’entreprise est rapidement devenue la première entreprise de la branche à utiliser de l’acier 100% recyclé, issu de déchets de production locale des industries horlogères et médicales. Un processus réalisé en collaboration avec Panatere, une PME spécialisée dans la transformation des matières premières. L’acier est fondu dans un four solaire innovant, permettant à l’entreprise de présenter une empreinte carbone jusqu’à cent soixante-cinq fois inférieure à la moyenne du secteur. Sur le plan du design, les montres reflètent aussi l’idéal des fondateurs, avec une collection inspirée par les rayons du soleil. Depuis 2022, les bracelets sont exempts de plastique, fabriqués à partir de déchets verts compostables en fin de vie. ID Genève Watches, entreprise zèbre? «C’est un terme qui correspond parfaitement à notre modèle d’affaires», acquiesce Nicolas Freudiger. Après avoir levé deux millions de francs en 2023, la start-up a capté l'attention de Leonardo DiCaprio, qui a investi dans l'entreprise et porte désormais une montre fabriquée par celle-ci, symbole de l’alliance entre luxe et environnement. «Un tel soutien nous a permis de gagner des années de développement», conclut Nicolas Freudiger, conscient que le voyage ne fait que commencer. 

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