Les mots pour le dire

Flavia Giovannelli Publié le jeudi 02 novembre 2023

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Les linguistes et les anthropologues se penchent depuis longtemps sur l’influence du langage sur la pensée. Des chercheurs ont ainsi établi que si nous utilisons toujours les mêmes mots pour décrire le monde, nous allons progressivement nous concentrer uniquement sur ces propriétés. Il est également prouvé que lors des périodes de profonds bouleversements et de mutations technologiques, le langage évolue très rapidement. Cela nous pousse à adopter une manière de communiquer qui peut laisser de côté des éléments importants. Soit par besoin de simplifier à outrance les concepts - ce qui arrive fréquemment avec l’arrivée des nouvelles générations qui ont connu une éducation hyperconnectée. Soit en voulant inclure à tout prix des éléments différents au sein d’une seule et même dénomination. Les mutations du langage représentent un défi pour la société et pour le monde du travail. Alors que les jeunes arrivent en force sur ce marché et que des seniors sont encore aux commandes, il existe un risque de stigmatiser les différences générationnelles en raison de ces caractéristiques linguistiques. Il est facile de critiquer les tics verbaux des uns et des autres ou de déplorer l’usage envahissant des émoticônes dans les échanges professionnels. Il est pourtant plus important de se rappeler que la forme traduit le désir d’appartenance à un groupe. Lorsque, poussés par le démon du bien, nous adoptons des précautions excessives, nous obtenons souvent le résultat inverse. Dans une chronique au vitriol, le talentueux humoriste Gaspard Proust observait ainsi que l’écriture inclusive se révèle «une formidable machine à exclure, en plus de la laideur congénitale de ses hiéroglyphes pour Champolion à QI d’huître». La langue s’ancre toujours dans une culture qu’elle a l’obsession de transmettre. Elle est vivante par essence, et il est normal qu’elle évolue. A trop vouloir la figer dans une époque, on court le risque de ne plus séduire en raison d’un style daté. A l’inverse, il faut se garder de vouloir imposer des changements brutaux, comme la suppression des accents ou l’adoption de sigles prétendument ciblés. Cela finit aussi par lasser, exclure ou attiser maladroitement une forme de révolution sociale. Avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle, un autre risque se profile: celui d’aboutir à un langage ordinaire universel composé uniquement d’algorithmes. Nous voilà avertis.

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