#Open access La presse tout public a dû se battre contre les contenus gratuits. Au tour des revues scientifiques.
Tout le monde doit pouvoir lire gratuitement sur internet les études scientifiques financées par nos impôts. C’était l’objectif d’une initiative internationale lancée en 2018. Baptisée Plan S, elle commence à déployer ses effets en Suisse. Problème: en imposant la diffusion des contenus en libre accès, elle met en danger les petits éditeurs dont la survie dépend des abonnements payants. «L’objectif était initialement de mettre un frein au quasi-monopole des grands éditeurs», précise Michael Balavoine, directeur du Groupe Médecine et Hygiène, qui édite à Genève la Revue Médicale Suisse. Le marché des revues scientifiques représenterait quelque vingt-huit milliards de francs par an. Cinq mastodontes se taillent la part du lion: Reed-Elsevier (devenu RELX Group), Springer, Taylor & Francis, Sage et Wiley-Blackwell.
Or, leur modèle d’affaires est critiqué depuis longtemps par les chercheurs eux-mêmes, qui le qualifient de très injuste et antidémocratique. S’appuyant sur leur notoriété, ils demandent aux auteurs de payer pour être publiés, ne rémunèrent pas les relecteurs et ont des abonnements payants. Au final, tout est payé par le contribuable. Cela commence par la formation universitaire du chercheur. Puis, à supposer que ses écrits soient intéressants, l’institution qui l’emploie devra s’acquitter de frais de publication. L’évaluation par les pairs, gage de qualité du contenu, ne coûte rien non plus à l’éditeur, puisqu’elle repose sur le bénévolat. Enfin, les bibliothèques universitaires se voient facturer des abonnements coûteux pour mettre les revues à la disposition du personnel de leur institution – les montants dépassent les septante millions de francs par année pour les universités suisses. Les éditeurs imposent même parfois des abonnements pour plusieurs années et plusieurs revues.
En réaction à ces pratiques jugées abusives, des centres universitaires allemands et suédois ont décidé, en 2018, d’annuler leurs abonnements aux publications du groupe Elsevier.
Un marché bâti sur le prestige
Ce système favorise évidemment les institutions dotées d’importants moyens financiers. Ses origines remontent aux années 1960, lorsque le linguiste et homme d’affaires Eugene Garfield a entrepris de classifier les revues en fonction de l’importance de leurs contenus pour la communauté scientifique. Selon Jean-Claude Guédon, membre de l’Association francophone des utilisateurs de logiciels libres, il y aurait eu un quiproquo, c’est-à-dire que le prestige d’une revue aurait été confondu avec sa qualité. Comprenant que les bibliothèques étaient prêtes «à payer à peu près n’importe quoi» (sic) pour les journaux les plus en vogue, les grandes maisons d’édition ont tiré vers le haut les prix des abonnements.
Or, lorsque le botaniste Gregor Mendel a publié ses travaux sur les pois lisses et les pois ridés au XIXème siècle, il l’a fait dans une obscure revue morave; c’est justement pour cela que la valeur de son travail a tardé à être reconnue. «En plus, il proposait des thèses suffisamment nouvelles et dérangeantes pour compliquer leur réception», affirme Jean-Claude Guédon.
Le Plan S devait changer la donne. Mais il n’a pas – ou pas encore – réussi à remplir cet objectif: «Les principaux éditeurs ont su adapter leur modèle d’affaires pour tirer leur épingle du jeu et le financement de l’open access arrive en grande partie toujours dans les mêmes poches», constate aujourd’hui Michael Balavoine. En effet, les grands éditeurs ont encore majoré leurs frais de publication. Depuis le 1er janvier, la célèbre revue Nature demande 9500 francs pour un article! Pour l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), ces frais se montent désormais à 1,8 million d’euros, contre 983 000 francs en 2015. Bref, les géants n’ont pas beaucoup de souci à se faire devant la montée de l’open access.
Petites revues dans un angle mort
En revanche, la situation des petits éditeurs tels que Médecine et Hygiène est devenue problématique. «La Revue médicale suisse est rangée dans la catégorie des revues professionnelles, ce qui signifie que sa spécificité est de contribuer à la formation continue des médecins. Jusqu’ici, cette vocation de transfert de connaissances n’a pas du tout été prise en considération dans les négociations sur l’open access en Suisse. Nous nous trouvons dans un angle mort. Il est important de rappeler que le Plan S visait au début les grands éditeurs, dont les réalités sont très éloignées des nôtres. Nous avons déjà dû investir des sommes considérables pour le développement d’une plateforme de diffusion en libre accès. Il nous est impossible de renoncer à la vente par abonnement, parce que c’est notre source de revenus. Nous ne pouvons pas faire payer les auteurs; du reste, notre revue ne s’est pas construite sur le prestige. L’enjeu, pour la Suisse et en particulier pour la Suisse romande, sera de préserver la diversité de la production du savoir scientifique. Pour cela, il s’agira de dépasser le modèle du fédéralisme pour développer un projet qui lie les pouvoirs publics aux petits éditeurs locaux – qui sont, au fond, des artisans.» À noter que la Revue médicale suisse s’adresse à un lectorat de plus de sept mille médecins en Suisse romande.
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