Les PME privilégient l'autofinancement

 L’immense majorité des PME continue à se financer par les moyens traditionnels.
L’immense majorité des PME continue à se financer par les moyens traditionnels.
Pierre Cormon
Publié vendredi 10 juin 2022
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#Financement La majorité des PME suisses continue à fonctionner sans crédit bancaire. L’utilisation du leasing et du crédit fournisseurs sont en hausse.

Malgré l’engouement médiatique pour le crowdfunding, l’immense majorité des PME continue à se financer par les moyens traditionnels (hors crédits Covid). L’autofinancement reste même la première source de fonds, montre l’Etude sur le financement des PME en Suisse en 2021, élaboré par la Haute Ecole de Lucerne sur mandat du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO). C’est notamment le cas pour les petites entreprises. A mesure qu’elles croissent, elles ont de plus en plus recours aux fonds extérieurs.

«De nombreux propriétaires de PME ont tendance à jouer avec leur rémunération en cas de difficulté», remarque Jérôme Favoulet, fondateur de la société de conseils aux entreprises Jetco. «Lorsqu’il faut remettre des fonds, ils le font en priorité avec leur propre patrimoine, par exemple en vendant leur résidence secondaire ou des objets de valeur.» Les marges sont également réinvesties plutôt que distribuées – à Genève, 63% des entreprises ne déclarent pas de bénéfice.

Avantages

L’autofinancement, pour une petite entreprise, a en effet beaucoup d’avantages. Il permet de garder le contrôle total de sa société. «Il met aussi à l’abri des mauvaises surprises, comme un changement de politique ou une hausse des taux», note Patrick Schefer, directeur de la Fondation d’aide aux entreprises du canton de Genève.

«La plupart du temps, les entrepreneurs ne s’accordent pas de taux d’intérêt, ce qui rend l’autofinancement moins cher», ajoute Jérôme Favoulet. Enfin, il permet de ne pas avoir à suivre trop strictement un calendrier de remboursement. Il peut en revanche s’avérer préjudiciable s’il conduit à renoncer à des projets en raison de fonds insuffisants. De plus, le regard extérieur d’un investisseur ou d’un créancier est parfois utile.

Crédits Covid

En 2016, 62% des PME recouraient exclusivement à l’autofinancement. Ce chiffre a diminué à 37% avec la pandémie. Une grande partie de cette différence vient des crédits Covid – pour 16% d’entre elles, ils constituent l’unique source de financement extérieur. «Des entreprises qui ne les ont pas utilisés les conservent comme une réserve de liquidités», observe Claude Bagnoud, chef Financements PME et indépendants à la Banque cantonale de Genève. «Cela leur revient moins cher qu’une ligne de crédit.»

Parmi les sources de financement extérieures, le crédit bancaire reste relativement stable (lire ci-dessous). Le crédit fournisseur et le leasing, en revanche, ont gagné en importance.

Crédit fournisseur

Le crédit fournisseur consiste à profiter des délais de règlement des factures ou à retarder ses paiements au-delà. Les difficultés dues au Covid, à la perturbation des chaînes logistiques et à la guerre en Ukraine poussent des entreprises à payer leurs fournisseurs plus tard, même si ceux-ci n’ont pas formellement augmenté leurs délais de paiement. «Plutôt que de régler les factures dès réception, on les met sur une pile et on paie ce que l’on peut à la fin du mois», résume Patrick Schefer.

L’allongement des délais pose un problème à de nombreux fournisseurs. Il peut leur causer des problèmes de liquidités, et les pousser à retarder leurs propres paiements, dans un effet domino. Ces retards constitueraient même une menace existentielle pour un gros tiers d’entre eux, selon le sondage 2021 de l’entreprise de recouvrement Intrum Justitia. «Trop d’entreprises prennent leurs fournisseurs pour des banques», regrette Antoine Fatio, directeur de la Fondetec, l’organisme de soutien aux entreprises de la Ville de Genève. «Plutôt que de laisser traîner ses factures, il vaut mieux aller voir ses fournisseurs et leur demander s’il est possible d’échelonner les paiements.»

Pénalités

Retarder les délais de paiement n’est d’ailleurs pas toujours une bonne affaire, car cela peut donner lieu à des pénalités. «Celui qui ne paie sa facture qu’après trente jours (au lieu de dix jours, avec 3% d’escompte) accepte de payer un intérêt annuel de 54%», remarque le Portail PME de la Confédération. Un pourcentage à comparer avec les quelques pourcents d’intérêt annuel prélevés pour une ligne de crédit (lire ci-dessous). Il convient donc de bien calculer avant de se reposer sur les crédits fournisseurs.

Près d’une PME sur quatre se procure également des biens et équipements par le biais du leasing – une proportion qui a augmenté par rapport à l’avant-pandémie. Les sommes en jeu sont cependant faibles, dans l’immense majorité des cas. La formule est avant tout utilisée pour financer des voitures (63% des bénéficiaires), des véhicules utilitaires (38%) et du matériel bureautique.

Garantie

La formule convient bien aux entreprises qui ne disposent pas de beaucoup de fonds propres et peuvent difficilement prétendre au crédit bancaire. «Le risque est moins élevé pour le prêteur, car la machine ou l’équipement faisant l’objet du leasing peut servir de garantie», explique Patrick Schefer.

Le leasing coûte cependant généralement plus cher qu’un prêt bancaire. Il peut également receler des pièges. Les contrats prévoient souvent la possibilité d’acquérir l’équipement au terme du contrat. «Il peut arriver que ce prix de rachat soit exorbitant», prévient Jérôme Favoulet. «De plus, il faut faire très attention aux conditions du contrat: que se passe-t-il si l’équipement tombe en panne? Le remplacera-t-on? Dois-je continuer à payer pendant la période où il est indisponible?»

Comme les contrats d’assurances, les contrats de leasing doivent donc être soigneusement examinés avant signature.


Un tiers des PME recourent au crédit bancaire

Les crédits bancaires constituent la deuxième grande source de financement des PME suisses. Environ un tiers d’entre elles en ont contracté (hors prêts Covid) – une proportion stable ces cinq dernières années. Le motif prépondérant pour demander un prêt a cependant évolué. Alors qu’avant la pandémie, il s’agissait essentiellement de financer des investissements, c’est maintenant le besoin de protéger ses liquidités, a constaté l’Etude sur le financement des PME en Suisse en 2021.

«Les entreprises ont montré une très bonne résilience pendant la pandémie, et nous n’avons pas constaté de vague de faillites», observe Claude Bagnoud. «En revanche, on sent maintenant une vraie inquiétude à propos de la hausse des coûts de production et de la possibilité de se procurer des matières premières, tout en protégeant sa marge.» Dans ce contexte, un prêt permettant d’accroître son fonds de roulement peut faire la différence.

Le défi

Toutes les entreprises n’ont cependant pas la même facilité à en obtenir un. «Le défi est d’être éligible», remarque Jérôme Favoulet. «La banque vous accordera un prêt si vous avez une capacité avérée de rembourser. C’est un outil qui convient bien au développement d’une entreprise établie. En revanche, si vous vous trouvez en difficulté, ce n’est pas la solution.»

Le crédit bancaire est donc avant tout utilisé par des entreprises d’une certaine taille, dont les affaires marchent bien (les banques demandent en général trois exercices comptables pour en juger). Les micro-entreprises et les entreprises en démarrage y recourent nettement moins. Il existe cependant des exceptions. Un mécanisme permettant de prêter à des petites entreprises et des indépendants de vingt mille à cent cinquante mille francs a été lancé par la Banque cantonale de Genève. «Il suffit de nous présenter un exercice comptable», remarque Claude Bagnoud. Environ deux cents clients en bénéficient, un chiffre en croissance.

PME découragées…

Certaines entreprises renoncent à solliciter les banques. «La part de PME découragées est particulièrement élevée dans les secteurs économiques du commerce et de l’hôtellerie-restauration», remarque l’étude. «On constate en outre que les micro-entreprises et les jeunes entreprises sont nettement plus souvent découragées que les entreprises moyennes et plus anciennes.» Tous secteurs confondus, elles sont… soixante fois plus nombreuses à renoncer à demander un crédit qu’à s’en voir refuser.

«Quand on demande un prêt, il faut expliquer et justifier énormément de points», constate Patrick Schefer. «Certains ne veulent pas passer par là. S’ils trouvent le moyen de se financer autrement, ce n’est pas un problème. En revanche, cela conduit d’autres à renoncer à un développement. Cela peut mettre l’entreprise en danger.»

…Souvent à tort

La réticence des PME à demander un crédit n’est d’ailleurs pas toujours justifiée: 60% des entreprises découragées auraient obtenu un crédit si elles l’avaient demandé, a constaté l’étude de la Haute école spécialisée de Lucerne. «Une entreprise qui renoncerait à demander un crédit par peur des démarches que cela implique a tort», réagit Claude Bagnoud. «Nous ne demandons rien d’extraordinaire: un bilan de santé, et comment l’entreprise voit le futur.»

Un moyen d’obtenir ses chances de décrocher un prêt est de se faire cautionner. Un mécanisme le permettant a été créé par la Confédération. Il permet d’accorder un cautionnement aux entreprises jugées solvables, ayant un projet solide. Chaque canton romand possède son antenne (sauf le Jura), comme la FAE à Genève, la Chambre vaudoise de commerce pour Vaud ou le Centre de cautionnement et de financement en Valais. Le climat d’incertitude n’incite cependant pas beaucoup d’entreprises à se lancer dans des projets de développement. «Le volume de cautionnements que nous traitons a fortement diminué depuis le début de la crise», note Patrick Schefer.

Sur quelles base les banques octroient-elles des crédits?

Chaque banque possède son propre processus d’octroi des crédits. «Certaines se reposent uniquement sur des analyses quantitatives», explique Claude Bagnoud. «Pour notre part, nous rencontrons toujours les entreprises afin de mener également une analyse qualitative. Etablir une relation de confiance est essentiel.»

L’analyse qualitative vise à comprendre l’entreprise, son dirigeant, ses projets et son marché. Elle se base sur le business plan, la nature des projets à financer, la structure de l’entreprise, notamment. «Si tout repose sur les épaules du dirigeant, cela représente un risque, car il peut disparaître», note Claude Bagnoud.

L’analyse quantitative porte sur différents ratios, ayant pour but d’évaluer la solidité de l’entreprise (proportion de fonds propres), son équilibre financier (fonds de roulement), sa rentabilité ou sa capacité à faire face aux charges d’intérêts et d’amortissements financiers.

Différents types de crédit peuvent être octroyés, correspondant à différents besoins. Parmi les plus courants:

  • Ligne de crédit (ou crédit sur compte courant). La banque accepte que vous ayez un certain découvert sur votre compte (par exemple moins cent mille francs), jusqu’à une certaine limite. Ce découvert donne lieu à la perception d’intérêts et l’emprunteur paie également une commission trimestrielle (typiquement entre 0,25% et 0,4%).
  • Avance à terme fixe. La banque met une certaine somme à votre disposition pour financer un besoin de fonds de roulement. Elle doit être remboursée avec des intérêts, en un à douze mois. Le taux d’intérêt (typiquement 2% ou 3%) est fixé d’après l’analyse que fait la banque du risque représenté par l’entreprise. Un remboursement anticipé peut engendrer des frais. Dans quel cas privilégier l’un ou l’autre? «La ligne de crédit est un outil plus souple que l’avance à terme fixe», juge Patrick Schefer. «En revanche, les frais sont plus élevés à cause de la commission trimestrielle. Je conseille donc de privilégier l’avance à terme fixe pour un besoin planifiable et d’utiliser la ligne de crédit dans des situations d’incertitude élevée.»
  • Avance ferme. La banque vous prête de quoi financer un investissement – en principe pour la durée d’amortissement de l’équipement acquis, soit d’un à sept ans. Le montant et le taux d’intérêt (quelques pourcents) sont fixés dès le début pour une durée déterminée. On rembourse petit à petit, avec des amortissements.

Quelle que soit la nature du prêt, le taux d’intérêt est fixé en fonction de différents paramètres, comme la rentabilité attendue par la banque, le coût que représente le processus d’octroi du crédit, le risque potentiel et le coût, pour la banque, de se procurer les fonds qu’elle met à la disposition de l’entreprise. Les banques proposent encore d’autres types de crédits, comme ceux liés à l’immobilier (crédits de construction, crédits hypothécaires) au matériel (leasing) ou au commerce international (crédit documentaire).


Des formules encore peu utilisées

Il existe plusieurs solutions de rechange aux méthodes de financement dominantes. Petit tour d’horizon.

  • Investisseurs privés

Des investisseurs externes peuvent entrer dans le capital d’entreprises de toute taille, pour autant qu’elles soient constituées en sociétés de capitaux. Alors qu’en France ou en Allemagne, même les plus petites opérations se font souvent par le biais d’intermédiaires spécialisés, c’est très peu le cas en Suisse. «Le marché n’y est structuré que pour des entreprises d’une valeur de quinze millions de francs ou plus», remarque Antoine Fatio. «Je crois que cela est dû à une certaine réticence à parler argent et à montrer ses comptes.»

La rencontre entre investisseurs et petites entreprises se fait donc le plus souvent dans le cercle des proches. «L’avantage, c’est que leurs intérêts sont relativement alignés avec les vôtres», remarque Antoine Fatio. «Alors que le remboursement d’un prêt bancaire est dû à échéances fixes, que l’entreprise marche bien ou pas, les proches peuvent être moins exigeants. En revanche, il peut arriver qu’ils demandent soudainement le remboursement du prêt, parce qu’ils ont un besoin financier immédiat.» En dehors des proches, les investisseurs se trouvent généralement par le bouche-à-oreille, par exemple par le biais de sa fiduciaire. «Ce sont souvent d’anciens entrepreneurs qui veulent faire fructifier leur patrimoine en l’injectant dans l’économie», remarque Antoine Fatio. «Ils peuvent apporter des sommes substantielles, mais espèrent un retour plus important qu’une banque. Ils attendent que vous leur procuriez un rendement.» Il arrive également que des partenaires d’affaires, qui ont pu juger du potentiel de l’entreprise, y investissent. 

  • Financement participatif

Le financement participatif (crowdfunding) consiste à mettre un produit ou un service n’existant pas encore en prévente sur une plateforme. Prisé des médias, il n’a encore qu’un impact très limité sur le financement des entreprises.

La formule présente pourtant des avantages. «Elle vous permet de tester le marché, et si votre projet suscite l’intérêt, l’argent récolté vous permet d’en financer le développement», remarque Antoine Fatio. Les principaux acteurs en Suisse romande sont les sites wemakeit et SIG Impact.

Le crowdlending, lui, consiste à se faire prêter de l’argent contre promesse de rembourser avec des intérêts, par le biais d’une plateforme participative. Les taux sont généralement plus élevés que ceux pratiqués par les banques. Neocredit, la principale plateforme romande de crowdlending, promet ainsi jusqu’à 8,8% d’intérêt aux prêteurs, alors que les banques prêtent typiquement à 2% ou 3%.

  • Organismes de soutien
Des organismes publics permettent d’aider des entreprises n’ayant pas forcément accès au crédit bancaire. Ils ont pour nom Fondation d’aide aux entreprises (canton de Genève), Fondetec (Ville de Genève), Innovaud (Vaud), Fondation The Ark (Valais), Service de l’économie (Neuchâtel), PromFR (Fribourg).
Les prestations proposées par ces organismes sont diverses, et vont du cautionnement à la prise de participation en passant par les prêts ou l’affacturage. Elles ne s’adressent cependant qu’aux entreprises ayant de bonnes perspectives où à celles qui, en crise, ont de bonnes chances de survie en cas de restructuration.
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