Les professions libérales submergées par la réglementation
Pierre Cormon
Publié jeudi 09 novembre 2023
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#Bureaucratie L’inflation réglementaire a de nombreux effets non désirés, montre une étude réalisée pour l’Union suisse des professions libérales.
Les professions libérales font face à des tâches administratives jugées plutôt élevées ou très élevées par 45% à 93% des établissements, selon les branches. De plus, une énorme majorité d’entre eux estime que ces tâches ont augmenté ces dernières années (de 83% à 100% selon les branches). C’est ce que conclut une étude présentée lors de la 6ème journée des professions libérales1.
L’augmentation est particulièrement sensible dans le domaine de la finance et tous les représentants du secteur interrogés s’attentent à ce qu’elle se poursuive. Les plus chargés sont cependant les médecins, dont les tâches administratives représentent près de dix heures par semaine.
Prudence
Dans le détail, les résultats sont à prendre avec prudence: toutes les professions libérales n’ont pas participé à l’étude (notamment pas les avocats). De plus, les échantillons sont trop restreints pour revêtir une vraie représentativité statistique. Enfin, le rapport ne fait pas la distinction entre les tâches qu’il est possible ou pas de déléguer. Reste que les tendances sont claires.
L’inflation des tâches administratives est notamment à mettre en lien avec l’aversion au risque. «Nous sommes dans une société qui nous demande de tout justifier», estime l’ophtalmologue et conseiller national Michel Matter (PVL/GE). Tout doit être documenté, encadré.
Perte de bon sens
«L’inflation réglementaire traduit le besoin de sécurité du citoyen, mais aussi une perte de bon sens», regrette le conseiller fédéral Guy Parmelin, en charge du Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche.
L’ophtalmologie en offre un exemple frappant. Les prescriptions concernant la stérilisation des instruments après usage sont si exigeantes que Michel Matter renonce à réutiliser les pinces avec lesquels il enlève des cils à ses patients. «Je leur propose de les emporter», raconte-t-il.
Autorégulation
Les professionnels ne sont pourtant pas opposés à un encadrement. «Nous nous imposons souvent des règles plus strictes que celles du législateur quand cela permet d’améliorer la qualité des soins», affirme Jean-Philippe Haesler, président de la Société suisse des médecins-dentistes. «Dans la plupart des cas, les règles qu’on nous impose n’améliorent en rien la qualité des soins et ne font aucune distinction entre petites et grandes structures.» Les règles concernant l’entreposage de certains produits chimiques s’appliquent par exemple de la même manière à un dentiste qui en détient quelques flacons et à une entreprise qui en stocke des centaines de litres.
Gaspillage
La surréglementation coûte cher et incite à traiter plus rapidement les tâches qui forment le cœur de métier. La qualité devient donc plus difficile à maintenir. Elle contribue aussi à la pénurie de main-d’œuvre. «Un professionnel qui passe une journée par semaine à s’acquitter de tâches administratives ne la passe pas à exercer son métier», remarque Pirmin Bischoff, président de l’Union suisse des professions libérales et conseiller aux Etats (Le Centre/SO). Il faut donc plus de professionnels pour effectuer le même volume de prestations.
Enfin, la charge administrative favorise la concentration. Elle dissuade les nouveaux dentistes de s’installer à leur compte, estime Jean-Philippe Haesler. «Ils préfèrent pratiquer au profit de grosses structures et de chaînes, malheureusement bien souvent dirigées par des investisseurs étrangers à la profession, dont les intérêts sont exclusivement mercantiles et la conscience éthique trop souvent absente. »
Pistes d’amélioration
Le parlement vient d’adopter un texte visant à améliorer la situation: la loi sur l’allégement des coûts de la réglementation pour les entreprises (LACRE). «Elle porte non seulement sur les nouvelles prescriptions, mais aussi sur celles qui existent déjà», souligne Guy Parmelin. Elle prévoit notamment que la Confédération passe chaque année en revue trois à cinq domaines pour déterminer s’il est possible d’y alléger les coûts de la réglementation pour les entreprises. Le coût des nouvelles réglementations devra également être estimé. L’étude propose plusieurs autres pistes: la numérisation des processus, la simplification de la communication et de la collaboration avec les autorités, l’allègement des mécanismes de contrôle, la standardisation des exigences, etc. Les associations professionnelles jouent aussi souvent un rôle pour aider leurs membres à faire face à leurs obligations réglementaires.
1Charges administratives dans les professions libérales, étude réalisée par le Bureau d’études de la politique du travail et de politique sociale BASS sur mandat de l’Union suisse des professions libérales
«Des exigences insupportables»
«Ces dernières années, nous avons assisté à une augmentation massive de la charge bureaucratique dans nos cabinets», témoigne Jean-Philippe Haesler, président de la Société suisse des médecins-dentistes. «Que ce soit dans le domaine de l’hygiène, de la sécurité au travail, de la gestion de la qualité, de la formation, de la protection des données, et j’en passe, les exigences en matière de documentation deviennent insupportables. Les classeurs fédéraux remplis de protocoles, de checklists, de modèles et de formulaires s’accumulent dans nos entreprises. Toutes ces contraintes administratives consomment des ressources humaines et financières, nous détournent de notre profession et nous éloignent de nos patients, car les micro- et les petites entreprises que nous sommes n’ont pas les ressources financières suffisantes pour embaucher du personnel pour ces tâches administratives.»
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