Opinions

Les requérants, la gauche et les marchés financiers

Pierre Cormon Publié vendredi 23 septembre 2022

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On s’indigne à juste titre lorsque la droite dure caricature les bénéficiaires de l’aide sociale, les requérants d’asile ou certaines minorités en profiteurs, voire en malfaiteurs. Ces généralisations sont inacceptables, et la gauche n’est pas la dernière à le rappeler. Cela n’empêche pourtant pas cette dernière de recourir à des procédés tout aussi grossiers, sans susciter la même réprobation. C’est ce qu’a illustré la campagne contre la suppression de l’impôt anticipé sur les intérêts obligataires.

Les investisseurs y ont été présentés comme des fraudeurs, des capitalistes rapaces ayant «pour seul objectif de maximiser leurs profits». Un discours déjà entendu quelques mois auparavant, lors de la votation sur la suppression du droit de timbre. Si on ne connaît pas avec précision l’identité de tous les investisseurs du marché financier helvétique, certains se détachent néanmoins. C’est notamment le cas de fonds d’investissement étasuniens, qui exercent une forte pression en faveur du respect des normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). On trouve aussi des caisses de pension suisses, qui gèrent une fortune s’élevant à environ mille milliards de francs. Elle ne sert pas à enrichir quelques milliardaires cupides, mais à servir des rentes à un million de retraités. Quant au fonds Compenswiss, il gère plus de quarante milliards de francs, afin de s’assurer que les prestations de l’AVS, de l’AI et des APG puissent être intégralement payées même si, au cours d’une année, ces assurances sociales sont en déficit. Plus de deux millions et demi de rentiers en profitent.

Si ces acteurs trouvent à acheter des produits financiers, c’est que d’autres veulent les vendre. Parmi eux se trouvent de purs acteurs de la finance, ainsi que de grandes entreprises soumises à des impératifs de rentabilité. On y rencontre également des collectivités publiques, des entités parapubliques, des banques cantonales, etc. Le canton de Genève a ainsi émis des obligations vertes pour construire des bâtiments hospitaliers à haute performance énergétique et financer la liaison ferroviaire vers Annemasse. Les Transports publics genevois viennent de l’imiter pour électrifier leur parc de véhicules.

Bref, jeter l’opprobre sur tous les investisseurs est tout aussi abusif que de qualifier tous les automobilistes de chauffards, tous les supporters de foot de hooligans et tous les buveurs de vin d’alcooliques. La finance n’est ni bonne, ni mauvaise en soi. C’est qu’on en fait qui compte.