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Les risques posés par l’inflation des matières premières alimentaires

Thierry Malleret The Monthly Barometer Publié vendredi 29 avril 2022

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Cela fait des mois que les prix des matières premières alimentaires ne cessent de grimper

Un phénomène récemment démultiplié par la guerre en Ukraine, dont les effets s’aggraveront dans la durée. L’inflation alimentaire qui en découle peut ébranler la reprise économique post-Covid dans les pays riches et fragiliser leurs politiques économiques et sociales. Dans les pays émergents et en développement, la hausse des prix alimentaires aura parfois des conséquences dramatiques. Les signes de malaise, de mécontentement ou d’instabilité se multiplient déjà un peu partout dans le monde. Des manifestations, voire des émeutes, se sont récemment produites dans des pays aussi différents que la Grèce, la France, l’Inde, l’Iraq, le Sri-Lanka ou le Pérou.

Comment l’agression de la Russie à l’égard de l’Ukraine peut-elle menacer la situation de sécurité alimentaire à l’échelle de la planète entière? La Russie et l’Ukraine ne représentent qu’une minuscule part de l’écono- mie internationale (environ 4% lorsqu’on la mesure à l’aune de leur produit national brut), mais à elles deux, elles fournissent presqu’un tiers (29%) des approvisionnements mondiaux de blé (dont les prix ont augmenté de 67% en un an), 20% de maïs, 33% de l’orge et plus de trois quarts de l’huile de tournesol. De surcroît, la Russie est l’un des trois premiers exportateurs au monde d’engrais. A la fin du mois de mars, l’indice des prix alimentaires publié par la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) avait augmenté de 34% en un an et de 12,6% par rapport au mois précédent. Il s’agit d’une augmentation mensuelle inédite. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un conflit dans un grenier à céréales aussi vital que celui de la région de la mer Noire entraîne des répercussions globales. Ni que les difficultés d’approvisionnement en engrais causées par les sanctions les exacerbent. Cela se manifeste de manière très différente: depuis le renchérissement du prix du pain en Afrique du Nord jusqu’à l’augmentation massive du prix des aliments pour bétail en Argentine ou au manque d’engrais qui marque le début de la saison des semences au Brésil.

Jusqu’où cela ira-t-il? Dans une très large mesure, le futur de l’inflation alimentaire dépend du futur de la guerre en Ukraine. Plus le conflit durera (et plus cela ira mal), plus les perspectives s’assombriront pour le prix des matières alimentaires. Pourquoi? En Russie, les sanctions imposées par les gouvernements occidentaux renchérissent le financement et les coûts de transport des exportations de produits agricoles. Dans les mois qui viennent, elles pourraient aussi affecter, sinon interdire, l’importation de composants et d’inputs nécessaires à l’activité agricole (comme certaines semences ou pièces détachées de matériels agricoles). Tout cela est inflationniste. En Ukraine, beaucoup de terres n’ont pas été ensemencées en raison du conflit, et lorsqu’elles l’ont été, il n’est pas certain que les récoltes puissent avoir lieu. D’autre part, l’impossibilité qu’a l’Ukraine d’utiliser ses grands ports de la mer Noire réduit drastiquement les capacités d’exportation (d’environ 90% aujourd’hui) et contribue au renchérissement des cours mondiaux des céréales. Selon des estimations fournies par la FAO, le déséquilibre entre l’offre et la demande causé par la guerre pourrait contribuer à augmenter encore davantage les prix de la nourriture dans le monde - de 8% à 22%.

Pour tous ceux qui consacrent une part élevée de leurs revenus à se nourrir, cela équivaut à une catastrophe. Dans les économies les plus riches, les coûts alimentaires représentent de 15% à 20% des dépenses de consommation d’un ménage, avec une forte dispersion autour de la moyenne. Ainsi, la hausse des coûts alimentaires apparaît dérisoire pour les hauts revenus, mais diminue de manière significative le pouvoir d’achat pour les bas revenus. Dans les pays émergents et en développement, la situation est toute autre, car les coûts alimentaires représentent une part bien plus substantielle des dépenses de consommation totale – jusqu’à 40% ou plus en Afrique sub-Saharienne. Lorsque le prix du pain double, comme c’est le cas aujourd’hui au Soudan, la situation peut devenir dramatique pour une large part de la population. Une vingtaine de pays dans le monde (dont l’Afghanistan, la République démocratique du Congo, le Nigéria, le Pakistan, le Venezuela et le Yémen) font ainsi face à une situation catastrophique de quasi-famine.

Les chances que la crise alimentaire globale s’atténue dans les mois qui viennent sont très faibles. C’est la raison pour laquelle les problématiques de sécurité ou de souveraineté alimentaire deviennent aussi critiques – un thème d’investissement fondamental dans les années qui viennent.

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