Les universités suisses souffrent de l'abandon de l'accord cadre

Les chercheurs axant décroché des bourses du programme Horizon Europe doivent quitter la Suisse pour en bénéficier. (photo Uni Mail, Genève).
Les chercheurs axant décroché des bourses du programme Horizon Europe doivent quitter la Suisse pour en bénéficier. (photo Uni Mail, Genève).
Pierre Cormon
Publié vendredi 04 mars 2022
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#Suisse-UE Les hautes écoles suisses perdent la direction de projets de recherche européens de pointe, des chercheurs quittent le pays et aucune solution ne se dessine.

Les conséquences du refus de la Suisse de conclure un accord cadre avec l’Union européenne se font déjà sentir de manière très concrète dans les Hautes écoles et les entreprises. C’est ce qu’a montré un débat réunissant des représentants des mondes académique, économique et politique, le 23 février à l’Université de Genève.

Rétrogradée

Du côté des hautes écoles, les exemples sont très nombreux. La Suisse a été reléguée au statut d’Etat tiers dans le programme de recherche européen Horizon Europe, unique au monde. Ses universités ne peuvent plus diriger des projets dans ce cadre et doivent se contenter de rôles secondaires. Or, obtenir la direction d’un projet Horizon Europe, c’est s’assurer des financements, des postes, la possibilité de recruter des chercheurs de haut niveau et de bénéficier de nombreuses retombées positives.

Des équipes suisses ont travaillé dur en ce sens. Elles l’ont fait en grande partie pour rien. C’est par exemple le cas à l’Université de Berne. La direction d’un projet sur les troubles du sommeil conçu par l’établissement a été confiée à une université belge. «Elle l’a reçu gratuitement de notre part», a confié son initiateur à la NZZ am Sonntag.

La direction d’un projet de recherches sur les véhicules autonomes, qui devait être assurée par l’Université de Genève, a été confiée à une université allemande. Celle d’un projet sur le fédéralisme et d’un projet sur les nanoparticules, qui devaient revenir à l’Université de Fribourg, iront également à des universités étrangères, relève sa rectrice, Astrid Epiney. Les Hautes écoles suisses pourront y participer, mais dans un rôle secondaire.

Plus de bourses

Les chercheurs basés dans les hautes écoles suisses ne peuvent plus non plus recevoir de bourses du programme Horizon Europe, accordées aux tous meilleurs dans leur domaine. Plusieurs personnes travaillant dans des hautes écoles suisses en avaient décroché. «L’UE leur a dit: si vous voulez toucher votre bourse, vous devez vous déplacer», résume Yves Flückiger, recteur de l’Université de Genève et président de swissuniversities, la faîtière des recteurs des universités du pays.

«Tous nos chercheurs ayant reçu des bourses ont été approchés par des universités étrangères», renchérit Joël Mesot, président de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. «On n’a jamais vu cela. C’est bien plus grave qu’en 2014»1. Sentant l’aubaine, la Suède offre d’ailleurs cent mille euros à ses universités parvenant à recruter des chercheurs suisses.

Privés de Champions League 

On compare souvent la situation au football. Un pays qui n’aurait plus la possibilité de participer à la Champions League risquerait de voir les meilleurs joueurs de son championnat s’exiler et celui-ci perdre beaucoup de valeur. C’est la même chose en sciences. Les chercheurs veulent travailler dans des universités dans lesquelles ils ont la possibilité de participer et de jouer un rôle clé dans les programmes de meilleur niveau – et ce sont ceux d’Horizon Europe. Les hautes écoles suisses ont donc de plus en plus de peine à recruter. «La question revient dans tous les entretiens avec des candidats potentiels», relève Joël Mesot.

La Suisse étudie des mesures permettant d’atténuer les conséquences de sa rétrogradation. Il peut s’agir de financements supplémentaires ou d’un renforcement de la coopération avec d’autres pays, comme les Etats-Unis, Israël, Singapour ou le Japon. Ils ne remplaceront cependant jamais une participation aux programmes européens.

Solution Bancale

«Les chercheurs n’ont pas attendu la situation actuelle pour nouer des collaboration avec les universités de ces pays», relève Joël Mesot. «L’EPFZ a deux cents chercheurs à Singapour. Certaines recherches ne peuvent cependant être menées qu’en collaboration avec des partenaires européens. Des chercheurs étudient par exemple comment stabiliser le réseau électrique européen. On ne peut pas le faire avec une université japonaise!»

Les autres pays ne connaissent pas de programme comparable à Horizon Europe. «En mettre sur pied prendrait des années», relève Yves Flückiger. Enfin, Horizon Europe fournit un cadre tout prêt pour la collaboration, «Quand on lance un projet, les aspects liés à la propriété intellectuelle sont déjà réglés», relève Joël Mesot. Ce n’est pas le cas, par exemple, avec les Etats-Unis, où l’on applique des règles différentes en la matière.

Préoccupation

Bref, pour les hautes écoles, les conséquences de la renonciation de la Suisse à conclure un accord cadre sont véritablement préoccupantes. Le danger de voir un affaiblissement sensible de la recherche est réel. Cela aurait des conséquences économiques, puisque l’économie se nourrit de sa collaboration avec les Hautes écoles. Des représentants des entreprises ont d’ailleurs fait par de leurs expériences et de leurs inquiétudes.

1Entre 2014 et 2016, la Suisse n’a été considérée que comme partiellement associée au programme Horizon 2020 (qui a précédé Horizon Europe), à la suite de l’acceptation de l’initiative contre l’immigration de masse.

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