#Journalisme Enquêter plus facilement, pour un journaliste, sur une entreprise? C’est ce que permet l’OSINT. Face à cette technique, la défense réside davantage dans la prévention que dans la réaction.
«Comment utilise-t-on ces réseaux sociaux? Est-ce que vous avez contacté les auteurs de ces messages et demandé l’autorisation de reproduire les propos?» Frédéric Koller multiplie les questions. Journaliste reconnu pour son travail d’enquête et responsable de la rubrique internationale au Temps, il est intrigué par la présentation de Laura Manent. Lors des dernières Assises de la presse et de la démocratie, cette étudiante de l’Académie du journalisme et des médias de Neuchâtel est venue exposer la possible utilisation de l’open source intelligence (OSINT) appliquée au journalisme d’enquête.
L’OSINT désigne la capacité à collecter, à stocker, à croiser et à exploiter des traces numériques. Parmi elles: les documents en ligne, les contenus des réseaux sociaux, les images satellites et les métadonnées.
Cette technique, utilisée par la police, le renseignement ou les militaires, fait son arrivée dans l’éventail des outils journalistiques. Parmi les exemples récents: des enquêtes sur le crash du vol MH17, celle de Bellingcat sur l’empoissonnement de Navalny ou d’autres autour du conflit ukrainien.
Laura Manent a fait le choix d’utiliser l’OSINT pour un tout autre sujet. Elle a enquêté sur la responsabilité sociale et environnementale «d’une multinationale suisse active dans le domaine des vêtements de sport». Son projet: se focaliser sur l’un des produits phare pour en vérifier les promesses vertes et durables. «L’idée était de remonter la chaîne de production, du produit fini à la matière première, pour vérifier si les promesses sont tenues.»
Une partie émergée de l’iceberg
Un détail de taille: l’investigation s’est déroulée depuis la Suisse, sans aller sur le terrain, en utilisant des outils légaux et gratuits, comme de simples recherches sur internet, des vidéos promotionnelles, la géolocalisation et les hashtags sur les réseaux sociaux. Des images satellites ont permis d’identifier les faits et gestes autour d’une usine. L’utilisation d’une plateforme de tracking a mis en lumière le transport de matières transformées d’une usine à une autre. «Nous avons même pu trouver une vidéo postée par un employé», poursuit Laura Manent. En utilisant tout cela, elle a pu tester des hypothèses à distance et remonter une chaîne de production «complexe, transnationale et multiforme».
Cependant, ce n’est qu’une partie émergée de l’iceberg. D’autres outils payants, non utilisés par Laura Manent, permettent d’outrepasser certains obstacles. BabelX réalise des recherches multilingues de manière synchronisée sur plusieurs canaux (blogs, médias sociaux, sites d’information). Des informations publiques sensibles, existantes hors du réseau de l’entreprise, sont accessibles via theharvester. Une adresse IP, un nom de domaine ou une adresse électronique se trouvent grâce à Spiderfoot. L’extraction des métadonnées d’un document public est possible avec Metagoofil. Dernier exemple: Maltego. Ce logiciel d'analyse est réputé pour sa capacité à présenter sous forme de synthèses (tableaux, graphiques), faciles à lire des quantités énormes d'informations concernant les relations entre les personnes, les entreprises, les domaines et les informations publiques sur internet.
Des leviers limités
Cette pratique ouvre de nouveaux horizons journalistiques. Elle élargit le nombre de sources pour un même contenu, propose des informations complémentaires ou offre une documentation plus fournie. Néanmoins, elle se heurte à des limites. Tout d’abord, l’importance des sujets. Seuls ceux d’envergure mondiale semblent être matériellement intéressants. Autre frein: le droit. Si le contenu porte atteinte à l’honneur d’une personne morale ou physique et qu’il y a urgence à agir, des mesures provisionnelles peuvent être prononcées en droit civil par un juge (demande d’anonymisation de certaines données ou droit de réponse). Des poursuites peuvent potentiellement avoir lieu dans le domaine pénal (pour diffamation, calomnie, violation d’un secret commercial).
«La nouvelle loi sur la protection des données ne permet plus de protéger les données d’une personne morale, contrairement à l’ancienne mouture de la loi», explique David Ternande, juriste au sein du SAJEC. L’entreprise doit donc identifier ce qu’elle veut rendre public ou non. Si un patron considère que son entreprise subit une atteinte liée à des données inexactes diffusées par un tiers, il devrait agir en son nom, pour autant qu’il subisse personnellement une atteinte, et pas au nom de son entreprise, pour obtenir une réparation du dommage. En somme, un journaliste à davantage de possibilités de protéger ses sources, par exemple, qu’un chef d’entreprise à se prémunir d’un dommage.
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