Lorsque syndicats et patronat faisaient cause commune
Pierre Cormon
Publié vendredi 14 avril 2023
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#Publication La brochure Histoire de la FER Genève de 1928 à nos jours a été revue et rééditée.
D’où la FER Genève sort-elle? Qu’est-ce qui a poussé des employeurs à se réunir pour créer en 1928 une organisation patronale chargée de défendre les intérêts de ses membres?
La réponse n’est pas celle qu’on pourrait attendre, comme le montre la brochure Histoire de la FER Genève de 1928 à nos jours, qui vient d’être revue et rééditée. Ce sont en effet des syndicats chrétiens qui ont approché des entrepreneurs et leur ont demandé de créer une organisation patronale. Surprenant? Oui, si l’on ne connaît pas les grands traits de la doctrine corporatiste, née dans les années 1870 dans des milieux proches de l’Eglise catholique.
Coopération des classes
Effrayés par les appels à la lutte des classes, les corporatistes veulent lui substituer un autre concept: la coopération des classes. Dans chaque branche, des syndicats de travailleurs, des associations patronales et, dans certains cas, des spécialistes, devraient créer des corporations au sein desquelles ils examineraient ensemble les problèmes d’intérêt commun. La société entière devrait être réorganisée autour des corps collectifs (Eglises, syndicats de travailleurs, d’employeurs, etc.) jugés plus à même de défendre l’intérêt général que les individus.
C’est pour mettre cette doctrine en pratique que des syndicats chrétiens demandent à des employeurs de s’organiser. Ils créent ensemble la Fédération genevoise des corporations, dont le Groupe patronal interprofessionnel (ancêtre de la FER Genève) constitue la composante patronale.
Institutions sociales
La Fédération genevoise des corporations veut éloigner les travailleurs du marxisme en améliorant leurs conditions de vie, dans un contexte où la législation sociale est encore embryonnaire. Elle crée donc de nombreuses institutions sociales: caisses maladie et accident, bureaux de placement, caisses de chômage, etc. Syndicats chrétiens et associations professionnelles corporatistes négocient parallèlement des conventions collectives de travail. Le mouvement prend de l’ampleur: en 1938, il rassemble douze mille travailleurs et mille cent cinquante employeurs, répartis dans trente-quatre associations professionnelles. Cette croissance ne parvient pas à apaiser les tensions sociales. Les syndicats de gauche sont en effet opposés au corporatisme, qu’ils estiment bénéficier essentiellement aux employeurs. Ils ne se sentent pas tenus par les conventions collectives conclues dans ce cadre et mènent une lutte sociale active.
Les corporatistes, de leur côté, leur vouent une vive hostilité, mais les associations patronales ne peuvent pas toujours éviter de négocier avec les syndicats de gauche.
Conseil des corporations
Sur le plan politique, les corporatistes veulent réformer toute la société, en remplaçant par exemple le Conseil des Etats par un Conseil des corporations. Leur alliance de fait avec l’extrême-droite les discrédite et les initiatives populaires qu’ils lancent en ce sens échouent très largement. La Fédération genevoise des corporations est dissoute en 1946. Ses composantes syndicale et patronale continuent leur chemin séparément. Ils donnent naissance à ce qui deviendra le Syndicat interprofessionnel des travailleurs et travailleuses (SIT) et la Fédération des Entreprises Romandes Genève.
Héritage vivant
Si la doctrine corporatiste est abandonnée, son héritage est encore perceptible de nos jours. Syndicats et patronat continuent à gérer des institutions sociales qui, dans d’autres pays, sont du ressort de l’Etat. C’est par exemple le cas de caisses d’assurance chômage, de caisses AVS ou de deuxième pilier.
Le patronat continue à défendre l’une des idées centrales du corporatisme: les partenaires sociaux (patronat et syndicats) sont plus à même que les autorités de fixer des règles encadrant la concurrence entre entreprises et de contrôler leur application. Il continue à être actif dans la conclusion de conventions collectives de travail, ainsi que dans des organes encadrant le marché du travail. C’est par exemple le cas du Conseil de surveillance du marché de l’emploi, des commissions paritaires de branche ou de l’Inspection paritaire des entreprises.
La FER Genève a parallèlement développé de nombreux services à l’intention de ses membres, que ce soit par des formations, des conseils juridiques ou la diffusion d’informations. Elle devrait aller encore davantage dans cette direction, explique dans la brochure Philippe Fleury, directeur général de la fédération dès le 1er juin 2023.
1Histoire de la FER Genève de 1928 à nos jours, Fédération des Entreprises Romandes Genève, 2023, 71 pages.
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