Main-d’œuvre réfugiée pour pallier la pénurie: une solution gagnante?
Main-d’œuvre réfugiée pour pallier la pénurie: une solution gagnante?
Sophie Malka Coordinatrice de l’association Vivre ensemble/asile.ch Publié vendredi 19 janvier 2024
Lien copié
Voilà plusieurs années que la presse se fait l’écho de l’inquiétude des milieux économiques quant à une pénurie de main-d’œuvre susceptible d’affecter le bien-être du pays. Le 5 janvier 2024, dans une longue interview au Temps, Robin Gordon, directeur général de la société de placement Interiman, a appelé le pays - et le monde politique - à «sortir du déni». Pour lui, le problème n’est pas conjoncturel, mais démographique et structurel: la population vieillit, la natalité est insuffisante. ll insiste dès lors sur la nécessité d’innover. Parmi les solutions évoquées, l’emploi des retraités, des étudiants, le recrutement hors des frontières, avec comme exemple le Maroc ou la Tunisie. «Il faut aller chercher la main-d’œuvre qui n’a pas été assez considérée.» Or, dans sa liste des possibles, il en manque un tout simple: les personnes réfugiées et issues de l’asile. Une population majoritairement jeune et désireuse de travailler, qui vit et a souvent été formée en Suisse.
On ne saurait lui reprocher cette omission. D’abord, parce qu’elle offre une accroche idéale à ce texte. Surtout, parce qu’elle est significative du non-pensé de la population réfugiée comme une opportunité, notamment économique, pour les entreprises. Le groupe Interiman est actif dans des domaines tels que l’hôtellerie-restauration, la santé, la construction et l’horlogerie. Soit un large spectre de l’économie concernée et susceptible d’employer ces réfugiés. Début janvier toujours , un jeune Tibétain raconte avoir, avec son coach en insertion, envoyé aux mêmes entreprises son CV à double: l’un dissimulait son statut d’asile, l’autre le mentionnait. Titulaire d’un CFC en horlogerie, il avait postulé des centaines de fois en vain. Il vit en Suisse depuis dix ans avec une protection appelée «admission provisoire» ou permis F. Le matin de sa postulation, il recevait trois offres d’entretien. Lorsqu’il a mentionné son statut au téléphone, il s’est vu opposer un refus. Ce n’étaient ni les compétences, ni les qualifications, ni le niveau de français qui étaient en cause: seulement le type de permis. Ce genre de témoignage est récurrent et n’est de loin pas circonscrit au secteur privé. Parfois, c’est une case à cocher dans un formulaire qui bloque, ne mentionnant pas le permis F. En cause, généralement, une méconnaissance du cadre légal, qui a fortement évolué ces dernières années: réfugiés et titulaires d’une admission provisoire sont employables dans tous les secteurs et les embaucher ne requiert désormais pas d’autre démarche administrative qu’un clic sur EasyGov.swiss. De nombreux responsables de ressources humaines déduisent aussi très légitimement de l’appellation «provisoire» du permis F que les personnes n’ont pas vocation à rester durablement en Suisse. Or, un récent avis de droit réalisé à la demande de l’Orchestre de chambre de Genève souligne «qu’on ne saurait considérer que les personnes titulaires d’un permis F sont présentes sur le territoire suisse pour une brève période avec un risque de devoir partir du jour au lendemain. Au contraire, il est reconnu par le Tribunal administratif fédéral et par la Cour européenne des droits de l’homme que ces personnes jouissent de facto d’un statut de résident».
Évidemment, il existe des idées préconçues autour de l’expérience ou des qualifications des personnes issues de l’asile. Nos recherches montrent que les trois quarts d’entre elles ont plus de trois ans de pratique professionnelle et que près des deux tiers ont terminé une formation post-obligatoire. Sans compter les parcours de vie, qui ont doté beaucoup de ces exilés de qualités qui ne se lisent pas dans le CV. Les jeunes Suisses, «ça les intrigue de voir ces jeunes requérants d’asile qui sont motivés et qui réussissent. Et ça les motive aussi», relève Jacques Ecoffey, de la Fromagerie de Pringy (FR), qui a trouvé dans la population de l’asile une relève. Plus que des chiffres ou un plaidoyer, c’est en écoutant les professionnels qui ont choisi un jour de ne pas s’arrêter au statut d’asile que l’on réalise combien l’expérience peut être profitable: pour celles et ceux qui ne rêvent que de sortir de l’aide sociale et faire pleinement partie de la société, mais aussi pour l’entreprise et la collectivité.
En autorisant les services tiers, vous acceptez le dépôt et la lecture de cookies et l'utilisation de technologies de suivi nécessaires à leur bon fonctionnement. Voir notre politique de confidentialité.