Médecins au bord de la crise de nerfs

Les médecins suisses sont particulièrement à risque de burn-out et de suicide.
Les médecins suisses sont particulièrement à risque de burn-out et de suicide.
Francesca Sacco
Publié lundi 13 novembre 2023
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#Professions médicales Les professions médicales sont associées à une majoration du risque de décès par suicide de 44% par rapport aux autres secteurs d’activité. Les femmes médecins sont encore plus fragilisées (+94%).

«Cette nuit aux urgences, un patient n’a pas apprécié qu’on ne réponde pas à sa demande. Alors, il a agressé plusieurs soignants, cassant la main d’un infirmier et retardant la prise en charge des autres patients.» Ce témoignage publié sur les réseaux sociaux en dit long sur l’état des professionnels de la santé en Suisse romande. Ils n’étaient déjà pas en grande forme à la sortie de la pandémie de coronavirus; les choses ne se sont pas améliorées depuis.

Plusieurs études récentes indiquent en effet que les médecins suisses sont particulièrement à risque: entre 20% et 40% d’entre eux montrent des signes de burn-out et un tiers environ reconnait être passé par une phase suicidaire liée au travail. Globalement, le taux de décès par suicide oscille entre 3% et 4%, la prévalence des idées suicidaires approchant les 17%. En comparaison, on note un taux de burn-out avoisinant 28% chez le personnel infirmier et de 41% chez les aides-soignantes.

Sont particulièrement à risque de suicide les anesthésistes, les psychiatres, les médecins généralistes et les chirurgiens généraux. La vulnérabilité des anesthésistes pourrait s’expliquer par l’accès à des médicaments mortels et celle des psychiatres par la répétition d’expériences traumatisantes, comme le suicide de certains de leurs patients. Les soins intensifs sont également un haut lieu de burn-out. La littérature révèle que l’épuisement professionnel dans ces services est un phénomène répandu dans le monde entier, quel que soit le niveau de développement du pays.

Or, les médecins victimes de burn-out reconnaissent s’occuper moins bien de leurs patients. Ils essaient de les référer à des collègues, prennent moins le temps d’expliquer les alternatives thérapeutiques, font possiblement des erreurs qu’ils ne commettraient pas autrement. Et, bien sûr, ils souffrent d’un sentiment de culpabilité, car ils sont conscients d’être au-dessous de leurs compétences.

À noter que depuis 1998, il n’est plus possible de connaître précisément le nombre de passages à l’acte chez les médecins, l’Office fédéral de la statistique (OFS) ayant cessé d’enregistrer la profession des personnes qui mettent fin à leurs jours. Une décision que certains observateurs regrettent, dans la mesure où l’OFS a estimé qu’en ajustant à l’âge le risque relatif de décès par suicide, on obtiendrait un risque trois à six fois plus important chez les médecins que dans la population générale.

Souffrance en augmentation

Solitude morale, horaires irréguliers, empiètement du travail sur la vie privée, tâches administratives de plus en plus contraignantes, attentes voire exigences des patients en hausse, relève insuffisante et gestion hospitalière par des économistes: les médecins sont attaqués de toutes parts. «La souffrance des médecins est en augmentation depuis vingt à trente ans, car tout le système de santé est mis sous pression pour des raisons économico-politiques», déclare la doctoresse Carole Weil-Franck, membre de la direction nationale du réseau de soutien réservé aux médecins ReMed1.

Les statistiques de ReMed montrent une augmentation régulière des demandes d’aide, avec actuellement environ 250 médecins par année appelant au secours, contre 170 avant la pandémie de coronavirus et seulement 83 en 2012. Sur le nombre total, 30% de médecins sont actifs en Suisse romande. Il convient de souligner que ce sont en majorité des médecins hospitaliers (60% des appels) qui sollicitent ce réseau d’aide, qui fait un peu penser à la ligne téléphonique de La Main Tendue pour la population générale. «Enfin, quelqu’un m’a écouté», titrait en 2020 le Bulletin des médecins suisses pour présenter ReMed à ses lecteurs.

Lancé tout d’abord dans les cantons de Neuchâtel et de Thurgovie en 2007, ReMed a été étendu à l’ensemble du pays en 2010, avec pour mission de «maintenir la capacité fonctionnelle du médecin, de garantir la sécurité des patients et de promouvoir la qualité des soins». Affilié à la Fédération des médecins suisses (FMH), mais indépendant, ce réseau procure au médecin en difficulté d’obtenir une aide confidentielle et personnalisée dans un laps de temps de 72 heures, en face-à-face ou à distance. Il permet également à ses proches de demander des conseils, avec la garantie qu’aucune démarche ne sera entreprise sans l’accord du principal intéressé. ReMed propose aussi un mentoring et des groupes de parole.

Dans la profession, on tire la sonnette d’alarme depuis longtemps. Depuis 2015, le Bulletin des médecins suisses publie au moins pratiquement chaque année un à deux articles tels que «Moi, médecin, 30 ans, en crise», «Redevenir généraliste après une grave crise existentielle», «Une grande solitude», «Médecin-chef sous pression», ou «Burn-out dans la profession médicale». Selon certains sondages, la moitié des praticiens suisses ont déjà songé à quitter leur profession. Interrogée sur le degré d’inquiétude que lui inspire la situation actuelle pour l’avenir des professions médicales, Carole Weil-Franck répond qu’il est très élevé. «Il me semble qu’il y a malheureusement peu d’espoir, aussi bien dans l’immédiat que dans un futur proche, si la gestion du système de santé ne change pas.»

1 remed.fmh.ch/fr

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