#Intempéries Le changement climatique implique davantage de périodes de sécheresse, d’orages ou de crues. Seule une mobilisation générale permettra de mieux y faire face.
A l’orée de l’été 2023, les spéculations pour savoir si nous vivrons une canicule comme celle de l’an dernier vont bon train.
Les conséquences des tragiques inondations en Emilie-Romagne ont fait le tour des médias. A plus large échelle, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) a déjà averti de la mise en place plus que probable d’El Niño, phénomène aux effets mal cernés, qui peut entraîner une hausse des températures mondiales qui s’ajoute au réchauffement climatique.
La Suisse n’est pas épargnée par ce que les météorologues nomment des épisodes extrêmes: orages, crues ou sécheresses drastiques, qui vont devenir la norme.
Détection précoce
Pour y faire face, les autorités et les scientifiques tentent de mieux prévenir d’éventuels dégâts, humains ou économiques. Cela passe notamment par la disponibilité d’informations sur les dangers naturels et la diffusion d’alertes. Depuis 2014, la Confédération publie ainsi des informations actualisées sur les dangers - orages, pluie, chutes de neige, avalanches, feux de forêt, vent, gel, canicules, tremblements de terre ou inondations. MétéoSuisse et la plateforme de la Confédération dédiée aux dangers naturels - dangers.naturels.ch - émettent des alertes. Le cas de la sécheresse est le plus aigu, car il est fficile à détecter de manière précoce.
Il est nécessaire de considérer l’ensemble de la population concernée par les conséquences et la répétition de ces dangers. Actuellement, les cantons de Genève et de Vaud sont les plus avancés en ce qui concerne l’adoption de plans spécifiques de canicule. Ils permettent ainsi de mieux protéger les personnes vulnérables. Mais beaucoup reste à faire.
MétéoSuisse s’adapte aux nouveaux besoins de prévention
L’inquiétude de la population au sujet de l’évolution du temps et du climat a rapidement augmenté ces dernières années. MétéoSuisse s’efforce, dans ce contexte, de tout faire pour renforcer la qualité de ses missions.
L’une des plus scrutée concerne les bulletins de prévisions à court terme, dont les alertes d’éventuels dangers. Mikaël Schwander, prévisionniste à MétéoSuisse, rappelle que l’Office fédéral de météorologie et de climatologie dispose d’outils plus puissants que dans le passé pour livrer ses services. Il s’agit toujours d’analyser les paramètres essentiels que sont le vent, l’humidité et la température. C’est à partir des données mesurées que les logiciels entrent en jeu pour fournir des représentations cartographiques de l’atmosphère. MétéoSuisse est en mesure d’établir davantage de scénarios – en indiquant lesquels sont privilégiés – pour permettre de mieux anticiper les conditions météorologiques. Les technologies de pointe permettent un haut degré de précision, même sur le territoire complexe d’un pays alpin qui présente de forts contrastes. «Nous avons la chance, de nos jours, de pouvoir nous baser sur des cartes dont la résolution pour le territoire national est de 1x1 km, alors qu’elle était encore de 30x30 km il y a vingt-cinq ans. Des algorithmes entrent ensuite en jeu, mais la qualité des données est essentielle, c’est pourquoi les développeurs travaillent pour améliorer encore la finesse du maillage.»
Les prévisions à moyenne ou longue échéance ont toujours une part aléatoire, évaluée en pourcentage de probabilité que l’événement survienne. Certains phénomènes, comme les orages, sont rétifs. «Si nous pouvons nous avancer au sujet des conditions qui les favorisent, il reste très difficile de dire où la foudre tombera, par exemple», reconnaît Mikaël Schwander. Or, le grand public n’est pas toujours indulgent quant à la marge prise par les experts. «Les prévisions de MétéoSuisse sont assez fines, mais je consulte aussi d’autres sources. Certaines, non officielles et misant sur la force des réseaux sociaux, comme Méteo Robin, sont idéales pour le micro-local.»
Le défi de la vulgarisation
Si l’opinion publique est volontiers encline à pointer le changement climatique comme principal responsable de ses ressentis, les scientifiques ont le devoir d’être plus prudents lorsqu’on les interroge sur d’éventuelles corrélations.
«MétéoSuisse, pour donner ses moyennes – de température ou de précipitations – se fonde essentiellement sur les trente dernières années, voire davantage, pour analyser les changements sur le long terme. Or, comme l’humain aussi s’est adapté, notre ressenti est très subjectif», explique le météorologue.
Système national d’alerte prévu en 2025
MétéoSuisse observe une hausse des épisodes de canicule et de leur intensité, en particulier depuis 2015. Bien que cette hausse soit un signe du changement climatique, une partie de ces épisodes peut aussi résulter de la variabilité naturelle du climat. En terme de précipitations, des sécheresses sont déjà survenues par le passé, dans les années 1940 par exemple, mais les récents étés sont plus secs. Cela entraîne des phénomènes connus, comme la chaleur estivale qui, combinée avec moins de pluie, a pour effet d’assécher les sols. Or, quand les intempéries surviennent, elles sont plus intenses, ce qui est confirmé par plusieurs études et mesures. En juin 2018, un orage localisé à Lausanne a provoqué un record national de 41 millimètres de pluie en dix minutes, soit l’équivalent d’un demi-mois de précipitations usuelles. Or, ces forts contrastes ne profitent pas à la nature.
Conscient que sa mission repose aussi sur la qualité de sa communication, MétéoSuisse s’adapte sur ce plan. Les outils numériques permettent d’atteindre sans délai une large audience. L’instantanéité des informations délivrées a des conséquences économiques ou vitales insoupçonnables.
Les vagues de chaleur de l’été dernier ont secoué le monde politique, surtout en termes de risques liés à la sécheresse. Le Conseil fédéral a annoncé son intention de mettre en place un système national de détection et d’alerte précoce, prévu pour 2025. Il reliera les trois offices fédéraux compétents, à savoir l’Office fédéral de l’environnement, MétéoSuisse et Swisstopo, pour obtenir une synthèse des informations. Le projet a nécessité un investissement de 4,75 millions de francs et permettra aux secteurs les plus touchés, comme les agriculteurs ou les fournisseurs d’eau potable, de prendre les mesures appropriées pour prévenir les dommages.
Comment préserver la nature quand la protection de l’humain est en jeu
Il n’est pas toujours possible de concilier des intérêts contraires, mais un projet de recherche publié par l’Office fédéral de l’environnement1 dégage les bonnes pratiques en matière d’aménagement et d’écologie des cours d’eau. Pour les identifier, des écologues et des ingénieurs hydrauliciens de diverses institutions suisses ont mis leurs compétences en commun. Ils se sont notamment intéressés à la question de la préservation de la nature et de la protection contre les crues, deux domaines antagonistes.
Collaboration interdisciplinaire
Les cours d’eau proches de l’état naturel font partie des habitats les plus riches en espèces. Les bancs de gravier et les forêts alluviales se transforment certes à chaque crue, mais les organismes qui y vivent sont parfaitement adaptés à cette situation – ils ont même besoin de la régénération régulière du flux pour se propager, se connecter et se débarrasser de concurrents plus vigoureux. Malheureusement, à l’heure actuelle, de nombreux cours d’eau en Suisse ne sont plus proches de leur état naturel.
La plupart des rivières et ruisseaux sont corsetés, ce qui a altéré leur débit et leur équilibre sédimentaire et fait reculer leur biodiversité. Les changements climatiques, en faisant grimper les températures des eaux, entraînent des conditions d’écoulement plus marquées. Les crues de grande ampleur et la fréquence, en augmentation, des étiages (abaissement exceptionnel du débit d’un cours d’eau) durant les périodes de sécheresse constituent une menace pour l’être humain et ses infrastructures. Il y a lieu de mettre en phase des mesures de protection contre les crues et de revitalisation afin d’améliorer la situation à long terme. Plusieurs disciplines collaborent étroitement à cette fin. Depuis quelques années, le principe de durabilité dans la protection contre les crues est inscrit dans les principaux textes de loi et instructions concernant l’aménagement des cours d’eau.
Ce projet d’étude interdisciplinaire cherche à identifier des idées directrices qui minimisent l’impact sur ces précieux biotopes, même si cela reste difficile. Les chercheurs de l’Institut fédéral de recherche pour l’homme et l’environnement (WSL) sont intervenus pour aider les planificateurs à identifier les tronçons de rivière où certaines espèces à favoriser sont le plus susceptibles d'être présentes. Des modèles permettent ainsi de prévoir quelles zones sont adaptées à un maximum d'espèces en fonction de leur empreinte écologique. Cette planification peut se faire à grande échelle le long des bassins versants et faire progresser rapidement la mise en réseau vitale des habitats le long des rivières.
La modélisation peut aussi être pertinente à l'échelle locale. En collaboration avec les hydrauliciens du Laboratoire d'hydraulique, d'hydrologie et de glaciologie à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, les scientifiques du WSL appliquent des modèles hydrodynamiques pour simuler les crues et le brassage des sédiments fluviaux qui en résultent. L’eau crée des sites potentiels pour des espèces pionnières typiques qui sont les premières à coloniser les bancs de gravier.
Chaque projet d’aménagement fluvial est unique et complexe. Plus la coordination entre les différents acteurs de la planification, de l’environnement et les décideurs politiques est soutenue, plus grandes sont les chances de succès.
1Milieux fluviaux – dynamique sédimentaire et connectivité dans la série Connaissance de l'environnement de l’Office fédéral de l’environnement, 2023.
Un scénario connu il y a cinquante-six millions d’années
Des chercheurs genevois ont publié une étude qui confirme les liens entre réchauffement climatique et émissions de gaz à effet de serre dans les sédiments en eaux profondes.
Il y a cinquante-six millions d’années, la Terre a connu l’un des plus rapides et forts réchauffements climatiques - de de 5 à 8 degrés d’augmentation - de son histoire. C’est sans doute l’éruption de volcans qui a provoqué une forte concentration de dioxine de carbone (CO2) et de méthane dans l’atmosphère. Or, cette période lointaine présente de nombreuses similarités avec ce que nous connaissons actuellement, ce qui est remarqué par plusieurs études scientifiques internationales.
Une équipe de l’Université de Genève (Unige) a démontré que l’augmentation de la saisonnalité des précipitations a entraîné le déplacement de grandes quantités d’argile jusque dans l’océan, le rendant inhabitable pour certaines espèces vivantes pendant près de deux cent mille ans. Le scénario, qui n’est pas sans faire froid dans le dos, livre des enseignements intéressants, qui permettront peut-être de mieux anticiper certaines conséquences et, surtout, de comprendre à quel point le climat est sensible aux émissions de gaz à effet de serre. «Nous avions comme objectif d’étudier l’influence des changements climatiques sur les systèmes sédimentaires. Et de savoir comment ceux-ci ont ensuite été transmis de l’atmosphère jusque dans les profondeurs de l’océan», résume Lucas Vimpere, premier auteur de l’étude et post-doctorant à la section des sciences de la Terre à l’Université de Genève.
Grâce à un échantillon prélevé dans un puits sous-marin au large du Mexique, l’équipe a pu déterminer que ce sont des argiles et non des sables qui ont été charriés par les systèmes fluviatiles jusque dans les océans. Cette observation a permis d’établir que la période avait été marquée non pas par une augmentation du taux annuel de précipitations, mais plutôt par une augmentation saisonnière de celles-ci. «Cette particularité a eu pour conséquence de rendre plus mobile les chenaux – soit les zones les plus profondes d’un cours d’eau – ce qui a entraîné davantage d’argiles fluviales déposées dans les plaines alluviales adjacentes. Ce constat est un marqueur de l’augmentation de la saisonnalité des pluies», explique Lucas Vimpere.
Les résultats de l’équipe de l’Unige mettent donc en avant un risque identique pour la période actuelle, à savoir la déstabilisation des systèmes sédimentaires due à l’intensité des pluies saisonnières. Ces données inédites pourront être intégrées aux modélisations visant à prédire l’évolution et les conséquences du réchauffement climatique.
Une application pour mieux prévenir les risques liés à la pluviométrie
Le hasard fait parfois bien les choses. En 2021, Pmax, un bureau d’ingénieurs, a été chargé par la commune de Saxon de développer un système de protection des eaux potables contre les infections bactériologiques. «Dans le cadre de ce projet, nous avons dû monitorer la pluviométrie du bassin versant de Saxon et avons pu établir une corrélation entre la pluie détectée par notre analyseur et les coulées de boues sur la commune», résume Loïc Jacquérioz, l’un des fondateurs de Pmax.
Vivement intéressée par le potentiel prédictif du système, la commune de Saxon a demandé à Pmax de développer une application centrée sur la prévention des dangers liés à la pluviométrie. La plateforme Rain Alert a vu le jour. L’étendue de ses fonctionnalités est vaste, et ce sont sans doute les futurs utilisateurs qui pourront encore l’adapter à leurs besoins, mais on peut déjà citer les éventuels débordements de rivière, la pollution de l’eau potable ou l’arrivée de laves torrentielles. Ces dernières années, le Valais a essuyé plusieurs accidents plus ou moins graves liés aux fortes pluies. Dès la phase de test, l’efficacité de la technologie Rain Alert a pu être démontrée. Elle a permis d’anticiper suffisamment tôt les fortes coulées de boue qui ont touché Saxon en été 2022. «En lançant une alerte prédictive par SMS dès qu’un certain seuil est atteint, des vies peuvent être sauvées», résume Loïc Jacquérioz.
Pmax a convaincu deux communes, Saxon et Bagnes, de devenir partenaires de ce projet encore en phase de développement. L’idée, pour les mois à venir, est de persuader d’autres collectivités publiques de tester ce système, afin d’avoir une masse critique avant un éventuel lancement à plus large échelle.
Dans l’air du temps, l’application Rain Alert a ainsi été sélectionnée pour participer au Prix Créateurs de la Banque cantonale du Valais et a fait partie des finalistes. Modeste, Loïc Jacquérioz se réjouit de la visibilité qu’il en a retirée. Il évoque ainsi l’utilité de cette application, qui pourra contribuer à la sécurité publique en amont des événements soudains.
Crans-Montana veut contrôler l’arrosage estival
L’été dernier, c’est la vision de plusieurs sources naturelles qui se sont taries au plus fort de la canicule qui a poussé la commune à réagir par un plan d’action pour éviter de gaspiller ses ressources en eau. Laurent Bagnoud, en charge du service Environnement et énergies de Crans- Montana, explique: «Nous voulons agir en premier lieu sur les comportements, en amenant un changement des habitudes concerté avec l’ensemble de la population et plus spécialement de certains groupes particulièrement concernés.»
La commune a annoncé qu’elle instaurait un arrosage contrôlé pendant l’été, entré en vigueur le 1er juin 2023 et destiné à s’inscrire dans la durée. Le territoire a été divisé en secteurs pour pouvoir procéder par tournus d’arrosage prévu exclusivement de nuit. «Nous avons estimé qu’il vaut mieux planifier que restreindre, afin d’éviter de nous retrouver face à des situations critiques qui entraîneraient des décisions plus drastiques. Crans-Montana dispose de suffisamment d’eau grâce à sa situation géographique, mais nous devons apprendre à mieux gérer ce bien», résume Laurent Bagnoud, qui est aussi directeur de SwissmeFin, une société de conseil pour les décideurs des secteurs bancaires et publics.
L’objectif de cette planification est multiple: elle doit permettre d'éviter les pics de consommation, tout comme l'évaporation durant les chaleurs diurnes, elle devrait renforcer la productivité des sols et accorder un répit temporel pour que les réservoirs se remplissent. Les agriculteurs et les vignerons ont été associés à ces discussions, qui les concernent de près. Du côté des travaux publics, la commune fait tester un arrosage des bacs de fleurs décoratives dans les rues grâce à des oyas, soit des pots en céramique microporeuse, de manière à ce que la commune respecte également les horaires d’arrosage. Même la direction du golf, activité qui n’a pas toujours la cote auprès de ceux qui ont une sensibilité écologique, consent des efforts et parviendrait, aujourd’hui, à diminuer considérablement sa consommation d’eau.
Crans-Montana ayant une forte vocation touristique, chaque décision résulte d’une pesée des différents intérêts à long terme. Cette nouvelle approche de la gestion de l’eau a impliqué un investissement de la commune de quatre-vingts millions de francs sur quatre ans afin d’améliorer un certain nombre de ses infrastructures. Des travaux ont déjà débuté pour permettre le rehaussement de la digue du lac de Chermignon, qui ne répond plus aux normes actuelles. A l’issue de ce chantier, la capacité de son réservoir d’eau sera plus que doublée.
Une nouvelle dont se réjouit Laurent Bagnoud: «Le Valais a toujours compris l’importance de gérer son eau et nous avons acquis un savoir-faire en la matière. Je pense par exemple aux bisses qui ont été conçus par nos ancêtres pour les cultures. Aujourd’hui, nous entendons nous inscrire dans cette évolution, avec les adaptations nécessaires et l’usage des technologies actuelles.» Il est notamment prévu de construire deux centrales de potabilisation avec la participation de communes voisines. Plusieurs sources seront assainies, les réseaux anciens seront refaits et un système de goutte à goutte sera instauré.
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