#Monnaie Si la monnaie digitale se développe au quotidien, le billet de banque fait plus que de la résistance. Au niveau mondial, sa position est même très solide.
Elle s’appelle Aktina, mesure quatorze mètres de longueur et vient de naître dans les hauts de Lausanne, dans les très discrets locaux de la firme Koenig & Bauer. Bardée d’équipements numériques et d’écrans, cette machine peut fournir 540 000 billets en une heure, soit une jolie somme, quelle que soit la valeur de la coupure.
Bien implanté
Sur son flanc gauche, on aperçoit une simple loupe pour l’œil. Car c’est l’humain qui décide en bout de processus si son magot est conforme aux normes ou non.
Au-delà de ces exigences techniques et légales, le petit morceau de papier reste bien implanté dans la pensée collective. Selon l’entreprise, la planète accroît son nombre de billets de 3% à 4% par année. En cas de crise majeure, jusqu’à 50% d’entre eux peuvent rester sous les matelas ou dans les chaussettes, une manière d’épargner en dehors du circuit bancaire.
Aux Etats-Unis, 20% de la population n’a même pas de compte en banque. Paradoxalement, le smartphone a favorisé l’essor de la bonne vieille monnaie en Afrique, en permettant de commander des billets dans les endroits les plus reculés. En Occident, il existe des applications sur téléphone pour tester l’éventuelle fausse monnaie dans le portefeuille.
Compliqué
Employant environ six cents personnes pour cette activité, l’entreprise lausannoise travaille forcément avec des gouvernements. Elle assure le design et la conception de l’image magique, des machines, ainsi que la mise au point des plaques d’impression. Ses clients se chargeront de la fabrication et de la distribution du trésor.
L’entreprise admet que les choses sont un peu plus compliquées en ces temps de turbulences géostratégiques. Néanmoins, la clientèle ne change guère, avec quatre-vingts imprimeries d’Etat (dont sept en Chine et deux aux Etats-Unis) et huit grands imprimeurs commerciaux œuvrant pour de nombreux autres pays. Chaque année, cent soixante milliards de billets sont produits sur le globe, dont cent vingt millions pour le franc suisse. Il existe des différences culturelles très fortes. Si le Japon adore les yens tout neufs, les Etats-Unis utilisent des dollars parfois un peu en ruine.
IA à l’aide
Qu’elle soit criminelle ou pas, l’économie informelle fonctionne encore largement à l’argent liquide. Elle s’intéresse aussi à certaines cryptomonnaies, pour autant qu’elle ne soient pas trop traçables. L’amour pour le billet de banque a un coût macroéconomique élevé. La planète dépense près de cinq cents milliards par an pour faire fonctionner le système, entre l’impression, le transport, le bancomat et la sécurité. Les experts lausannois calculent qu’un billet de vingt euros en circulation durant trois années et changeant de mains deux cent cinquante fois par an, finit par valoir deux cents fois son prix de production. L’intelligence artificielle va sans doute aider les banques centrales à mieux piloter ces flux d’argent, dont la valeur économique, technologique et sociale est toujours forte. L’industriel estime que rien ne vaut un billet de banque pour s’initier à la gestion financière du quotidien. Les personnes en situation d’endettement préparent des petites enveloppes avec la somme exacte pour chacun de leurs besoins vitaux. Pour les plus jeunes générations, l’argent imprimé reste un support pédagogique utile afin d’aborder les premières questions économiques.
Et le franc suisse?
Dans sa note de recherches publiée le 28 juin, TA-SWISS1 présente quatre scénarios pour un franc suisse numérique. On peut imaginer une monnaie nationale électronique que l’on obtient auprès de la banque habituelle ou de sociétés agréées. Des institutions privées auraient l’autorisation de produire des francs en les garantissant avec des... francs de la Banque nationale suisse. Troisième futur possible, la banque classique met les dépôts de ses clients sur la blockchain en les garantissant grâce à ses actifs. Le livret d’épargne est tokenisé. Enfin, les acteurs financiers adossent leurs francs dématérialisés à d’autres valeurs, par exemple des emprunts de la Confédération. La monnaie nationale entrerait alors dans l’ère du stablecoin. Si les spécialistes ne cachent pas les avantages économiques de circuits de paiements plus efficients, y compris sur le plan international, ils n’éludent pas non plus des interrogations à propos de la stabilité du système. Le scénario catastrophe serait, par exemple, une crise, qui motive les clients des banques à convertir l’argent de leurs comptes en un clic (digital bank run).Ces monnaies numériques suscitent des craintes de surveillance, ou de contrôle de nos paiements, car notre argent deviendrait programmable.
1 Centre de compétences des Académies suisses des sciences, c’est un organe de conseil financé par les pouvoirs publics.
En autorisant les services tiers, vous acceptez le dépôt et la lecture de cookies et l'utilisation de technologies de suivi nécessaires à leur bon fonctionnement. Voir notre politique de confidentialité.