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N'est pas expert qui veut !

Eric Décosterd Chargé de cours HES Publié vendredi 04 février 2022

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Depuis quelques mois, les plateaux de télévision voient défiler le monde médical, le monde politique et le monde des médias qui viennent tous parler de la crise sanitaire.

S’y ajoutent les réseaux sociaux qui amplifient ce mouvement. Bref, il y aura bientôt autant d’infectiologues, de réanimateurs et de ministres de la santé que d’habitants. C’est le moment de rappeler l’ultracrépidarianisme, c’est-à-dire le fait de parler en dehors de son domaine de compétence. C’est bien ce à quoi nous assistons quotidiennement. La pandémie est un terrain de jeu idéal. Les experts surexposés à la médiatisation en arrivent parfois à s’exprimer sur des sujets en dehors de leur zone d’expertise, au risque de perdre tout crédit. Les politiciens parlent de science, les scientifiques parlent de politique et les médias et la population parlent des deux! On a droit à des phrases telles que «je ne suis pas médecin, mais je pense que la politique sanitaire actuelle est un désastre» ou «c’est le rôle du politicien, mais moi je rendrais la vaccination obligatoire». Tout cela dit avec assurance, celle de l’ignorance.

Expert, méfies-toi!

Le terme «ultracrépidarianisme» vient du latin crepidam, la chaussure, et enjoint au bottier de ne pas parler au-delà de la chaussure. L’histoire est savoureuse. Un célèbre peintre travaille durant l’époque romaine dans son atelier, lorsque son cordonnier, s’approchant de l’une de ses toiles, lui signale une erreur dans la représentation d’une sandale. Sachant qu’un cordonnier sait de quoi il parle quand il est question de sandale, le peintre corrige aussitôt sa toile. Le lendemain, le cordonnier, se sentant écouté, s’autorise une remarque à propos de la représentation de la jambe de l’un des personnages sur le tableau. Le peintre, agacé, lui réplique, en latin: Sutor, ne supra crepidam («cordonnier, pas plus haut que la sandale»). Ou, autrement dit: «Tu ne sais pas? Tu te tais!» Ceux qui savent ont eux aussi un défi: ne pas succomber au syndrome de l’expert. De quoi s’agit-il ? En étant réellement un spécialiste dans un domaine, on a tendance à penser du haut de notre expertise que ce que nous savons, tout le monde le sait. Du coup, nous commençons à agir, à nous exprimer et à communiquer comme si tout le monde avait les mêmes connaissances que nous. Or, lorsque nous parlons de notre métier ou de nos affaires, nous sentons bien que les autres ne nous suivent pas ou qu’ils ne sont pas intéressés par ce que nous racontons. Cela crée un vrai problème. Comment s’en rendre compte? Comment réagir? Travailler son langage et l’adapter à son audience. Un dernier mot sur l’expert. Lorsque je travaille en groupe à la résolution d’un problème, j’insiste auprès des participants à nos formations continues de se méfier des experts: ils auront tendance à s’approprier le leadership. En milieu enneigé, pourquoi les guides avertis se font-ils parfois surprendre dans des conditions qu’un novice aurait identifiées comme dangereuses? Expert, méfies-toi, l’avalanche ne sait pas que tu es un expert! Nous tombons tous régulièrement dans ce piège, car après tout, nous sommes tous des experts en quelque chose!

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